© dr

L’angoisse du déconfinement: quand on a peur de cette liberté retrouvée

Muriel Lefevre

La liberté bientôt retrouvée ne réjouit pas tout le monde. Certains vont même jusqu’à la craindre et y voient une réelle source d’angoisse.

Le pays de la liberté semble cette fois-ci réellement en vue. Cette bonne nouvelle ne réjouit pourtant pas tout le monde. Beaucoup de Belges craignent ainsi de reprendre une vie sociale normale, tant ils ont trouvé un certain confort dans cette vie de semi-reclus.

Le professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain et membre Groupe d’experts Psychologie et Corona, Olivier Luminet, confirme ce constat tout en le nuançant. Ce stress a plusieurs degrés et peut avoir plusieurs causes. « Il y a, par exemple, ceux qui souffrent d’anxiété sociale. Un trouble qui fait que l’on ne supporte pas – souvent par peur d’être jugé- de se trouver dans des lieux trop peuplés et les lieux publics en général. Ce trouble du comportement ne concerne néanmoins qu’une minorité, puisqu’on estime que trois à quatre pour cent des Belges en souffrent.

Viennent ensuite les personnes d’assez à très fortement introverties. Ces personnes n’ont pas une peur phobique des autres, mais ne sentent pas à leur aise quand il y a du monde. Elles ne sont dans leur zone de confort qu’en petit comité. Pour les introvertis, les confinements ont donc été vécus comme un répit. On estime qu’ils représentent plus ou moins 20 % de la population.

.
.© Getty

Dans ceux qui angoissent, on distingue encore un troisième groupe qui souffre ce qu’on appelle l’anxiété médicale. Ces personnes vivent dans la peur panique de tomber malade et que la pandémie a encore renforcée. Ceux qui souffrent d’anxiété médicale sont pétrifiés par la simple idée que l’on va pouvoir à nouveau librement circuler. Pour eux, cette liberté signifie seulement qu’on lâche la bride au virus, les poussant à se cloitrer encore davantage. L’anxiété médicale représente tout de même près de 10% de la population.

Réapprendre nos anciennes nouvelles habitudes

Enfin, il y a un quatrième groupe, de loin le plus important, qui a été tellement drillé par des mois de confinement qu’il n’arrive tout simplement pas à changer ses habitudes. Les gestes de sécurité – comme tenir ses distances, ne pas donner la bise ou encore porter un masque dès que l’on sort – sont devenus des gestes quotidiens, pour ne pas dire réflexes. Se défaire d’habitudes, comme les acquérir d’ailleurs, demande plusieurs semaines, voire des mois si elles sont vraiment intégrées. Tout laisser tomber d’un coup ne sera donc pas possible. Cela devra se faire par étapes. Les Belges vont devoir apprendre à réapprivoiser cette liberté. Et pour certains cela se fera un peu plus vite que pour d’autres. Les jeunes, par exemple, devraient être les premiers à embrasser sans retenue cette liberté tant attendue. Ces derniers ont viscéralement besoin de contacts, c’est dans leur nature. Ce qui les poussera plus facilement à retrouver la foule. Pour les introvertis de nature cela risque par contre d’être très compliqué. Le capital social, comme toute autre forme de capital, doit en effet être un minimum entretenu. Si voir les autres demandait déjà un effort et que l’on n’a pas un minimum cultivé sa sociabilité durant un an, cela va demander de gros effort pour revenir au même niveau.

Un déconfinement est plus difficile qu’un confinement

« Paradoxalement », précise encore Luminet, « ce déconfinement sera probablement plus difficile que le premier confinement. En effet, en mars 2020, la population n’a pas eu le choix. Elle s’est confinée dans un réflexe de survie. Ce premier confinement n’a d’ailleurs pas été si long et a donc été relativement « facile » pour beaucoup et avait l’attrait de la nouveauté. Il n’en sera pas le même pour le second débuté à l’automne. Ce confinement, qui bien que moins contraignant, va laisser beaucoup plus de traces et ce pour plusieurs raisons. La première est qu’il a été beaucoup plus long et est véritablement devenu un nouveau quotidien. La seconde c’est qu’il a baigné dans la désillusion (ce n’était plus une surprise, pourquoi n’a-t-il pas pu être évité ?). Il y a aussi eu le froid et l’obscurité de l’hiver, l’incertitude sur un éventuel troisième confinement et la fatigue immense due à l’accumulation ». Tout cela fait que, pour beaucoup, ce second confinement a été nettement plus pénible que le premier et qu’il s’est incrusté dans l’esprit des gens.

Le confort de l’habitude

Pour le supporter, beaucoup l’ont en effet intégré, lui ont donné le confort de l’habitude. « Or, on le sait, chaque changement a un coût psychologique, et repasser en mode liberté, soit refaire un changement radical, va demander un effort plus ou moins important selon les personnes et ne se fera pas toujours sans heurts« .

L'angoisse du déconfinement: quand on a peur de cette liberté retrouvée
© MURIEL DE SEZE/GETTY IMAGES

Olivier Luminet précise encore que de toute façon personne ne ressortira le ou la même de cette crise. Elle a duré trop longtemps pour que cela n’entraine pas des conséquences sur le moyen-long terme. Ainsi, on ne voyagera probablement plus de la même façon. « Avant, on pouvait très facilement aller pour 48h à New York. Aujourd’hui, c’est plus compliqué, beaucoup se sont retrouvés coincés. Je pense que désormais on voyagera moins loin. Cela va aussi avoir des conséquences sur le relationnel. On a perdu l’habitude du contact physique, et on ne va plus spontanément faire la bise. Si le contact physique spontané finira bien par revenir un jour, il ne faut pas s’attendre à ce que cela soit sur le court terme. Enfin, les confinements auront tout de même permis à un recentrage relationnel« .

La qualité plutôt que la quantité

Contrainte et forcée, la population s’est aperçue que c’est la qualité bien plus que la quantité qui avait son importance dans les échanges humains. Qu’il valait mieux n’avoir que quelques vrais amis qu’une pléthore de connaissances. Dans cette optique, cela n’a donc rien de surprenant que sans être un anxieux social, médical ou sévèrement introverti pour autant, on éprouve moins le besoin de repartir dans la folle farandole des obligations sociales et des week-ends surchargés d’activités. Il se peut donc que ce stress de déconfinement cache plus prosaïquement une révision de ses priorités et que l’on souhaite tout simplement se concentrer uniquement sur quelques relations choisies avec soin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire