Des « grenades génétiques » pour cibler les bactéries résistantes aux antibiotiques
Comment contrer la résistance aux antibiotiques, sujet d’inquiétude majeur des autorités sanitaires mondiales ? Parmi les pistes explorées, des chercheurs ont mis au point une « bombe génétique » capable de cibler les bactéries résistantes sans tuer celles qui sont bonnes pour l’organisme.
« Le développement de ces approches ciblées est essentiel » pour lutter contre la résistance croissante des bactéries aux antibiotiques, déclare à l’AFP Didier Mazel, chercheur à l’Institut Pasteur. Il est l’auteur principal d’une étude coréalisée avec l’Université polytechnique de Madrid et publiée lundi dans la revue Nature Biotechnology.
Quand on prend un antibiotique, le traitement ne fait pas de sélection: il s’attaque aux bactéries responsables des maladies mais aussi aux bactéries bénéfiques qui vivent dans notre intestin. Cela entraîne un déséquilibre de la flore bactérienne, qui peut favoriser le développement de bactéries résistantes à l’antibiotique. « En tuant toutes les bactéries, on fait une place énorme à celles qui résistent, puisqu’elles n’ont alors plus de compétiteurs », explique Didier Mazel.
Pour éviter cet effet « tapis de bombes », lui et son équipe ont développé une stratégie alternative. Ils ont créé une structure qu’ils comparent à une « grenade génétique », porteuse à la fois d’une charge explosive et d’une goupille de sécurité. Elle véhicule une toxine qui n’est activée qu’en présence d’une molécule spécifique de la bactérie ciblée: cela permet de tuer les bactéries responsables de maladies sans s’attaquer aux bonnes bactéries de la flore intestinale. Cette « bombe » est délivrée grâce à un mécanisme propre aux bactéries, qui s’échangent des gènes via un processus appelé « conjugaison ».
Les chercheurs ont ensuite affiné leur arme pour qu’elle puisse cibler uniquement les souches de bactéries résistantes aux antibiotiques, porteuses de gènes particuliers. Le mécanisme a été testé sur un bactérie nommée Vibrio cholerae, qui a pour hôtes naturels certains poissons et crustacés. Les chercheurs ont réussi à tuer spécifiquement cette bactérie chez le poisson zèbre et des larves de crustacés.
Vibrio cholerae est responsable du choléra chez l’homme. « De plus, les vibrios regroupent un grand nombre d’espèces pathogènes pour l’homme (V. parahaemolyticus, V. vulnificus), mais aussi pour les animaux aquatiques, poissons, huîtres, crevettes, pour lesquels on pourrait appliquer facilement notre approche », assure Didier Mazel. « Le système est en place et peut être facilement adapté à d’autres bactéries », poursuit le chercheur, selon qui « le vrai défi est maintenant d’améliorer le processus de délivrance » par conjugaison.
Les autorités sanitaires mondiales alertent régulièrement sur le danger de la surconsommation d’antibiotiques, qui rend résistantes de redoutables bactéries. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale ». « Si nous ne prenons pas des mesures d’urgence, nous entrerons bientôt dans une ère postantibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles », s’alarme l’OMS.
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