Covid: pourquoi nous sommes encore loin d’une immunité collective suffisante, malgré l’excellent taux de vaccination
Vague Omicron, perte d’efficacité des vaccins sur les transmissions, immunité à court terme…: face à ces obstacles, l’objectif ultime d’immunité collective face au Covid semble compromis. Mais pas totalement impossible. Le Vif fait le point sur la question en compagnie de l’épidémiologiste Yves Coppieters et de l’immunologiste Michel Goldman (ULB).
La notion d’immunité collective au coronavirus crée le débat. Souvent évoqué comme objectif en début de pandémie, puis qualifié d’utopie ou de mythe par certains, le concept n’a cessé de faire parler de lui.
Si bien qu’au fil de l’évolution épidémique, et avec l’arrivée de nouveaux variants, il est devenu de plus en plus compliqué d’y voir clair sur le sujet. Est-il possible d’atteindre cette immunité collective, et de la maintenir dans le temps ? Est-ce encore pertinent de placer un « seuil » de personnes immunisées pour envisager un retour à la normale ? Est-ce envisageable de briser définitivement la circulation du virus ? Le Vif fait le point en compagnie de l’épidémiologiste Yves Coppieters et de l’immunologiste Michel Goldman (ULB).
La forte contagiosité d’Omicron relance-t-elle un espoir d’immunité collective ?
Yves Coppieters : « L’espoir d’immunité collective date déjà de la vague Delta, en novembre et décembre dernier. Cette vague était assez forte en Belgique. A ce moment-là, on était déjà à de très bons taux de couverture vaccinale. Depuis cette quatrième vague, associée à l’immunité vaccinale, l’immunité collective est une notion qui devient de moins en moins théorique. Omicron arrive sur une population déjà fortement immunisée, post vaccination deux et trois doses, et post infections. En étant beaucoup plus contaminant, Omicron touche encore des personnes qui n’auraient pas une immunité parfaite. Il s’en sort moins bien en termes de virulence. Car on a déjà une bonne immunité, qui fait en sorte qu’on a moins de formes graves. C’est à la fois dû au fait qu’Omicron est moins virulent, mais aussi car le variant arrive dans une population beaucoup plus protégée. Omicron est l’espoir d’augmenter encore cette immunité, aussi bien chez les personnes non immunisées que chez les immunisées, qui renforceraient leur système immunitaire. »
Michel Goldman : « Clairement, le pourcentage d’individus protégés vis-à-vis d’Omicron et du variant Delta va augmenter. Toutefois, la progression des contaminations nous indique que nous sommes encore loin de l’immunité collective. Et ce, malgré notre excellent taux de vaccination. »
Cette immunité collective pourrait-elle durer dans le temps?
Yves Coppieters : « La durée de l’immunité collective post Delta et post Omicron est impossible à évaluer. On sait que l’immunité au coronavirus est une immunité qui ne dure pas longtemps. On sait aussi que le système immunitaire est régulièrement stimulé, que ce soit via des infections ou par la vaccination. Cela contribue à inscrire une mémoire immunitaire à plus long terme à travers l’immunité cellulaire, les lymphocytes T essentiellement. Ça ne se traduit pas par le dosage des anticorps. Le but est d’arriver à un point où l’on a suffisamment stimulé cette immunité cellulaire pour qu’elle devienne durable. C’est la clé. Mais cette hypothèse n’a pas encore fonctionné, la preuve étant qu’on retombe malade avec Omicron. »
Michel Goldman : « C’est impossible à prédire. Le fait que les anticorps qui apparaissent après infection par Omicron soient actifs contre le variant delta laissent espérer une immunité prolongée. Mais tout va dépendre de l’émergence éventuelle de nouveaux variants. »
Les fameux « 70% de personnes vaccinées/immunisées » évoqués pour un retour à la vie normale restent fort ancrés dans les esprits. Or, on les a dépassés depuis un moment sans pour autant sortir de la crise. Pourquoi ce chiffre de 70% n’est-il plus valable aujourd’hui ?
Yves Coppieters : « Les 70% de personnes immunisées pour un retour à la vie normale, c’était le chiffre nécessaire avec la souche initiale. C’était encore valable avec le variant Alpha britannique, en janvier 2021, même si on revoyait déjà ce chiffre à la hausse. Le chiffre de l’immunité collective à atteindre dépend de deux choses. Un : de la capacité de contagion du virus. Plus la capacité de transmission est forte, plus il faut atteindre une immunité importante. Deux : de l’efficacité des mesures qui sont mises en place. Par exemple, si on maintient une série de mesures préventives, on pourrait alors espérer un niveau plus faible dans l’immunité de la population. »
Michel Goldman : « Simplement parce que nous avons appris que si les vaccins actuels sont très performants pour prévenir les formes graves qui mènent à l’hôpital, ils le sont beaucoup moins pour bloquer complètement l’infection et la transmission du virus.
Quel seuil faudrait-il désormais atteindre ? La notion de « seuil » d’immunité collective est-elle devenue obsolète ?
Yves Coppieters : « Les mutants sont devenus de plus en plus contaminants. Le variant Omicron est quasi aussi contagieux qu’un virus comme la rougeole. Fatalement, on doit atteindre une immunité collective qui se situe entre 90 et 100%. Mais fixer un chiffre précis ne sert à rien. Le but est d’augmenter l’immunité au maximum, pour ensuite déterminer à quel moment le virus se retrouve face à un mur immunitaire, qui puisse l’empêcher de créer des nouvelles chaînes de contaminations. Pour la rougeole, il faut 95% des enfants vaccinés ou immunisés pour empêcher le virus de se propager. Il faut arriver à cette barrière pour empêcher les chaînes de contaminations. Actuellement, on est à quasi 90% de couverture vaccinale avec deux doses. Au moins 2 millions de Belges sont tombés malades depuis le début de la pandémie. Et malgré cela, on est 20.000 contaminations par jour. Donc, on est encore loin d’une immunité collective suffisante pour empêcher la propagation du virus. Par contre, on arrive peut-être à un stade suffisant pour empêcher les formes graves. «
Michel Goldman : « L’expérience de la rougeole montre qu’en deçà de 95% de couverture vaccinale, le virus pourra recirculer et des maladies graves pourront réapparaître. Les premières personnes touchées seront celles qui n’ont pas été protégées par la vaccination. Et beaucoup d’entre elles auront reçu un schéma de vaccination de complet, voire une 4ème dose. Il s’agit de toutes les personnes dont le système immunitaire est affaibli pour différentes raisons (âge, co-morbidité). On peut évaluer leur nombre à plus de 200.000 en Belgique. Comme le souligne un article récent du New York Times, ce sont les ‘oubliés de la pandémie' ».
Dans l’absolu, est-ce que briser définitivement la circulation du virus semble réaliste ? Si oui, quelles seraient les hypothèses pour y parvenir?
Yves Coppieters : « Réaliste, ça l’est, oui. C’est d’ailleurs l’objectif de santé publique. Cela passe par cette barrière immunitaire et par l’application des gestes barrières. Le problème, c’est que face à ce variant Omicron tellement contagieux, c’est presque mission impossible actuellement, en attendant que la vague passe. Malgré tout ce qui est entrepris, les gens tombent malade. Aux Pays-Bas, où tout le monde est confiné, la courbe est la même que la nôtre. On peut en déduire que leur confinement n’est pas plus efficace que ce qui est mis en place actuellement en Belgique. Omicron est un combat perdu à l’échelle des contaminations. »
Michel Goldman : « Il va s’agir d’un effort de longue haleine qui nécessitera une collaboration sans précédent à l’échelle du monde. En effet, tant qu’il subsistera des personnes non-protégées sur la planète, elles contribueront à entretenir la circulation du virus et à l’émergence de nouveaux variants. »
Risque-t-on de voir l’émergence d’autres variants qui viendraient briser cette immunité collective, tant que les pays pauvres ne sont pas davantage vaccinés ?
Yves Coppieters : « Omicron va beaucoup circuler à l’échelle mondiale, et toute circulation du virus augmente la probabilité de mutation. Des nouveaux variants, il y en a des milliers par jour. Mais ceux qui émergent doivent prendre le dessus sur Omicron. Pour surclasser Omicron, il faut être plus contagieux. Et ça, cela s’annonce compliqué. On espère que la létalité diminue si la contagiosité augmente.
« Oui, il y a des risques de nouveaux variants qui aient un échappement immunitaire, comme Omicron. Car face à une pression vaccinale et immunitaire tellement forte, les mutants doivent trouver une solution. Des mutations qui permettent un échappement à cette barrière. »
L’hypothèse d’un virus qui deviendrait entièrement saisonnier est-elle pertinente ?
Yves Coppieters : « C’est en tout cas l’hypothèse qu’on peut le plus soutenir pour l’instant, sans toutefois pouvoir la confirmer. On pourrait espérer qu’après Omicron, l’immunité collective soit acquise. Il faudra l’entretenir, avec des doses de rappel et/ou des vaccins plus adaptés. On pourrait dès lors imaginer que les variants suivants arrivent de façon saisonnière, au moment où ils ont le plus de possibilités de pouvoir émerger dans une population immunisée, c’est-à-dire en automne/hiver. On peut espérer que, de façon saisonnière, ces virus soient moins virulents. On rentrerait alors dans les coronavirus plutôt banals, comme ceux que l’on rencontre déjà chaque hiver. Il y a sept familles de coronavirus : quatre familles plutôt banales, et trois familles létales.
Alexander De Croo a récemment affirmé qu’on en aurait encore pour deux ou trois ans. Vous êtes du même avis ?
Yves Coppieters : « La pandémie pourrait se terminer dans un an, comme dans cinq ans. En fait, on n’en sait rien. Personne n’a les éléments pour le dire. Surtout après le premier épisode de vaccination, qui a fortement aidé à contrôler l’épidémie, mais qui ne nous en a pas sortis. S’avancer de la sorte me paraît un peu présomptueux. Il faut avoir de l’humilité face à ce virus qui trouve à chaque fois des solutions. Alexander De Croo n’est pas un scientifique, il est dans un message politique. Son but via cette phrase pourrait être de dire aux gens « Attention, on n’est pas encore sorti de l’auberge. »
Pour tenter d’atteindre cette immunité collective, le rappel vaccinal va-t-il s’inscrire dans une fréquence régulière ?
Yves Coppieters : « Les vaccins actuels sont de moins en moins adaptés aux souches circulantes.Le vaccin actuel n’est pas un vaccin qui a été fait pour Omicron. Il a été fait pour la souche de Wuhan et la souche Alpha. Et puis, par bonheur, il a également fonctionné pour les souches Beta, Gamma et Delta. Pour Omicron, il y a une efficacité avec la troisième dose, mais c’est moins évident. Continuer avec des injections de ces vaccins actuels me paraît compliqué dans le temps. Obtenir un vaccin universel qui puisse avoir une réponse immunitaire plus complète sur les composantes du virus ou des coronavirus, ce serait évidemment la bonne nouvelle.
« Ces vaccins de troisième génération vont mettre du temps à arriver, car il faut que les technologies s’adaptent, il faut trouver des portes d’entrée pour attaquer le virus. Les vaccins de deuxième génération arriveront, eux, relativement vite ; il s’agira de vaccins à ARN messager adaptés à Omicron. Mais pour combien de temps seront-ils d’actualité ? On ne le sait pas. »
« Enchainer les doses de rappel tous les 4 mois est tout à fait probable tant que les nouveaux vaccins n’arrivent pas. Chez les populations fragiles, on est parti pour un rythme de doses de rappel tous les 3-4-5 mois. Mais je pense que ce sera limité dans le temps, jusqu’à l’arrivée des nouveaux vaccins. »
« Les antiviraux, c’est plus qu’un espoir. L’antiviral n’a rien à voir avec la vaccination ; l’antiviral est un traitement, alors que la vaccination est une prévention. L’antiviral ne pourra être administré qu’à des personnes à risques. Son efficacité doit encore être réévaluée face à Omicron, mais il fonctionnait bien face aux autres variants. Ce n’est pas la solution miracle, c’est un outil en plus. »
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