Covid: les vaccins administrés par… voie nasale, nouvel espoir des scientifiques
Une nouvelle génération de vaccins se prépare. Diffusés par voie nasale, ils promettent d’empêcher le virusde se disséminer dans l’organisme et de bloquer sa transmission au niveau des fosses nasales.
Deux, trois, bientôt quatre doses (dans l’immédiat, pour les immunodéprimés et les plus de 80 ans)… Et, plus les injections augmentent, plus une partie de la population se questionne sur leur utilité, surtout en présence d’un variant moins dangereux et plus contagieux que l’on peut transmettre malgré la vaccination. Celle-ci demeure, en tout cas, « une merveille de la science moderne », selon les mots de Hans Henri Kluge, directeur régional de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Europe.
Fin novembre, une étude menée par l’institution, en collaboration avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), estimait que la vaccination avait, à elle seule, sauvé la vie de près d’un demi-million de personnes de plus de 60 ans. Dans le monde scientifique, comme au sein même de l’OMS, pourtant, on sait qu' »il est peu probable qu’une stratégie de vaccination fondée sur une multiplication des doses de rappel du vaccin sous sa forme d’origine soit adaptée et durable. Il faut des vaccins contre le Covid-19 qui, en plus de prévenir les formes graves de la maladie et les décès, ont un impact marqué sur la prévention des infections et sur la transmission. Il serait bon de les mettre au point. »
Il faut des vaccins contre le Covid-19 qui, en plus de prévenir les formes graves de la maladie et les décès, ont un impact marqué sur la prévention et la transmission.
En réalité, les chercheurs n’ont pas attendu cette consigne de l’OMS, communiquée le 11 janvier dernier. Des dizaines d’équipes planchent depuis des mois pour tenter d’élaborer ces nouveaux vaccins. Parmi elles, certaines ont fait le choix de neutraliser le virus là où il nous attaque. Chacun connaît aujourd’hui la porte d’entrée du Sars-CoV-2, son premier site de prolifération : le système respiratoire supérieur, la gorge et, surtout, le nez.
Le vaccin nasal est ainsi devenu le nouveau Graal. Une vingtaine d’essais cliniques ont été lancés, qui sont déjà en phase 3, avec des résultats que les laboratoires estiment prometteurs. Lovaltech, une biotech née à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), et l’université de Tours travaillent ainsi à un vaccin protéique à instillation nasale. Ce cocktail de protéines, encapsulé dans des nanoparticules à base d’amidon et de lipides, totalement éliminées par le corps en quelques heures, et sans aucun adjuvant, pourrait être commercialisé au mieux à la fin 2023.
Parmi ces protéines se trouve la « spike », principale cible sur laquelle reposent les vaccins actuels et qui concentre l’essentiel des mutations observées sur les variants. Mais d’autres protéines ont été ajoutées au mélange, qui ne sont pas soumises à des mutations. Une particularité qui laisse espérer une efficacité du vaccin contre les variants connus. L’Institut Pasteur, par le biais d’une association avec TheraVectys, développe son propre projet de vaccin intranasal contre le Covid-19. Ici, le principe est différent. Il s’agit d’un « véhicule viral » qui transporte le principe actif (la protéine spike) jusqu’aux cellules immunitaires, qui en activeront d’autres, pour riposter contre l’intrus.
Pas assez et surtout pas les bons
La voie intranasale, pour les infections respiratoires, bénéficie, en théorie, de plusieurs atouts. D’abord, et c’est logique, un vaccin administré dans le nez déclenche une réponse immunitaire dans la muqueuse nasale. Là même, donc, où le virus pénètre dans l’organisme. L’ idée est d’offrir alors une immunité stérilisante, c’est-à-dire qui bloque la transmission du virus au niveau des fosses nasales, l’empêchant de se multiplier, puis de se disséminer dans l’organisme. Sur les modèles animaux du projet de LovalTech, aucune charge virale n’a été détectée dans les fosses nasales des hamsters dorés vaccinés – leurs symptômes face au Sars-CoV-2 sont très proches de ceux des humains. Pour celui développé par Pasteur-TheraVectys, la charge virale a été divisée par mille chez la souris. Et chez le hamster doré, le vaccin, utilisé en rappel d’une injection intramusculaires, inhibe le développement de lésions pulmonaires. Mieux : chez la souris, il protège non seulement les poumons mais aussi le système nerveux central.
Bref, pour juguler plus rapidement l’infection, il faut donc produire des anticorps dans les muqueuses. Or, « les vaccins actuels en génèrent peu à cet endroit », note le Pr Peter Hellings, chirurgien ORL et maxillo-facial à l’UZ Leuven. Pas assez et surtout pas les bons. Après les injections intramusculaires, utilisées par tous les vaccins anti-Covid-19 actuellement commercialisés, on retrouve certes pendant quelque temps des anticorps IgG – présents dans le sang. Mais leurs cousins, les IgA, localisés dans les muqueuses nasales et pulmonaires, plus sensibles et plus prompts à agir pour bloquer l’entrée du virus, sont presque indétectables. Or, ces anticorps de type « IgA » jouent un rôle crucial dans la fonction immunitaire des muqueuses. « Ils agissent localement et rapidement pour neutraliser les pathogènes », relève Peter Hellings.
L’ administration nasale offre, par ailleurs, des couches de protection supplémentaires. Elle stimule la production de « cellules B mémoires », productrices d’IgA ou d’IgG. Ces cellules mémoires, spécialisées ensuite contre ce pathogène, persistent dans la muqueuse respiratoire, même lorsque les IgA, plus éphémères, se sont évanouis. Et, plus tard, si ce même virus devait à nouveau surgir en infectant les muqueuses nasales ou respiratoires, elles seront immédiatement réactivées et mèneront bien plus vite une attaque spécifique et efficace, en mobilisant leurs armes, les anticorps IgA.
Enfin, les vaccins intranasaux mobilisent un autre mécanisme protecteur contre l’assaillant : les « cellules T mémoires », qui résident également dans les muqueuses respiratoires. Ces cellules combattent les cellules infectées par l’agent pathogène. Elles possèdent d’ailleurs une mémoire élargie : elles seront réactivées en cas de nouvelle attaque par toute la « nichée coronavirus » et pas seulement sa seule protéine spike.
Réduire la transmission
Mais l’espoir majeur, avec un virus aussi contagieux que le Sars- CoV-2, est de réduire la transmission entre individus. « Si l’on veut réellement arrêter le cycle et vivre normalement, il faut vraiment s’attarder maintenant à diminuer les transmissions, poursuit Yves Van Laethem, infectiologue au CHU Saint-Pierre et porte-parole interfédéral. Les vaccins à ARN sont très efficaces pour lutter contre le virus, mais ils n’ont pas été conçus pour être efficaces contre les transmissions. Ils le font un peu, mais ce n’est pas leur but premier. »
Une étude, publiée en août 2021 dans Science Translational Medicine, a ainsi évalué le vaccin nasal AstraZeneca, qui, comme le vaccin intramusculaire, est créé à base d’un vecteur adénoviral refermant la protéine spike. Les chercheurs ont comparé les deux modes d’administration chez l’animal. « Chez le hamster doré, le groupe vacciné par voie nasale transmet cent fois moins le virus que le groupe vacciné par voie intramusculaire ou que le groupe non vacciné », conclut l’étude. Ce vaccin d’AstraZeneca est un des candidats vaccins par voie intranasale les plus avancés parmi la dizaine recensée par l’OMS en cours d’évaluation clinique : les essais chez les humains ont déjà commencé.
Avec la voie nasale, des précautions s’imposent cependant. La muqueuse se trouve à proximité du cerveau et des nerfs faciaux, ce qui interdit l’utilisation de certains composants. Par exemple, les vaccins à base d’ARN messager utilisent du polyéthylène glycol : ils ne pourraient être utilisés par voie nasale. « C’est beaucoup plus compliqué à doser car les muqueuses, contrairement au sang, doivent assurer de la tolérance, observe le Pr Peter Hellings. On y trouve des bactéries et des virus, qui jouent un rôle essentiel. L’ équilibre est très délicat. » De plus, avec le temps, la muqueuse nasale devient capricieuse. « Soumise constamment à des agressions virales ou bactériennes, elle ne peut accumuler de mémoire immunitaire contre tout ce qu’elle rencontre. »
Les vaccins intranasaux sont plus compliqués à doser car les muqueuses, contrairement au sang, doivent assurer de la tolérance.
L’autre inconnue demeure la durée de protection. Il reste aussi à faire des essais de rappel, des mesures des IgG et des IgA et, surtout, à opposer le vaccin à Omicron et à vérifier sa durabilité. Là, un des grands défis de ces vaccins « tardifs » sera précisément de trouver des volontaires prêts à tester l’efficacité du produit, alors que la part de population vaccinée dans le monde est en constante progression et qu’il existe déjà des vaccins très efficaces. L’idée, dès lors, est de les proposer en rappel, comme « booster ». Une personne déjà vaccinée par voie intramusculaire pourrait bénéficier d’une nouvelle dose d’un vaccin intranasal pour soutenir la réponse immunitaire muqueuse. « Dans quelques mois, à l’automne, la notion de rappel sera toujours aussi cruciale », conclut Yves Van Laethem.
Ce serait donc un double effet : contre la transmission et contre les formes graves. Un schéma qui pourrait laisser espérer, enfin, le retour à une vie prépandémique. V
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