Covid: les patients guéris, immunisés mais punis
Qui dit plus d’infectés dit aussi plus de guéris. Les personnes qui ont contracté la Covid-19 ont a priori développé une immunité protectrice, au moins pour quelques mois. Faut-il dès lors les soumettre aux mêmes restrictions de libertés? La question dérange, scientifiquement, politiquement et socialement.
Il y a de la crainte, bien sûr. De découvrir « positif », en ouvrant le fameux sms. Mais durant l’attente, parfois fort longue, qu’il faut pour que l’écouvillon sonde les profondeurs nasales et livre ensuite son verdict par message, il y a aussi parfois de l’espoir. Celui de l’avoir effectivement chopé, ce virus. D’enfin en finir avec l’anxiété perpétuelle, d’être tranquille, au moins pour un temps. Apaisante immunité. A la Trump, lui qui, lors de son premier meeting électoral post-Covid, se vantait de se sentir « si puissant » et voulait filer de « gros bisous » à tous les « gars et les belles femmes ». Comme ces volontaires, recrutés par un laboratoire britannique développant un vaccin, prêts à se faire injecter le corona pour « aider la science » et s’en sortir à la fois avec 4.000 euros et les anticorps adéquats.
Il est totalement disproportionné de confiner les résidents qui ont de l’immunité.
« Moi je m’en fous, maintenant, je l’ai fait »: la phrase commence à circuler. En mars, il y avait si peu de tests que la certitude d’avoir été touché n’était pas permise. Mais depuis le début de cette deuxième vague, plus de 66.000 PCR (ou antigènes) sont effectués par jour, et aux dernières nouvelles le taux de positivité était de 19,7% en moyenne. Plus de 321.000 cas ont été confirmés depuis le début de la pandémie.
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Que faire, de ceux-là? Faut-il les reconfiner, alors qu’ils y sont déjà « passés »? Faut-il restreindre drastiquement leurs libertés, alors qu’ils sont a priori immunisés? Vont-ils eux-mêmes longtemps continuer à l’accepter?
Ces questions peuvent choquer. Elles se posent néanmoins. Même Elio Di Rupo n’y aurait pas échappé lui qui, de source politique bien placée, aurait rechigné à s’appliquer les mêmes mesures de quarantaine que les autres membres du gouvernement wallon lorsque certains d’entre eux avaient été diagnostiqués positifs début octobre. Un test sérologique ayant révélé chez lui la présence d’anticorps (bien qu’il n’ait développé aucun symptôme), il ne voyait apparemment pas l’utilité d’être logé à la même enseigne.
24 recontaminés dans le monde
Ces questions se posent d’autant plus que les recontaminations sont (très) peu nombreuses. Vingt-quatre cas… dans le monde ont été recensés et reconnus scientifiquement (sur plus de 43 millions d’infections). Certes, apporter les preuves d’une réinfection est complexe. D’abord, parce qu’il faut qu’un premier test valable ait été réalisé lors de la première vague, alors qu’ils étaient pratiqués au compte-gouttes. Ensuite, car un PCR (le fameux coton-tige dans le nez) peut se révéler positif à plusieurs mois d’intervalle à cause de l’infection initiale. Le test détecte alors des « restes » d’ARN viral, bien que le virus infectieux, lui, ait disparu.
Par ailleurs, pour prouver une recontamination, « il faut séquencer les codes génétiques des virus et les comparer pour vérifier qu’ils ont des souches distinctes », détaille Nicolas Dauby, postdoctorant FNRS à l’Institut d’immunologie médicale de l’ULB. Opération loin d’être routinière, qui implique aussi d’avoir conservé le premier échantillon.
Pour toutes ces raisons, les récidives sont sans doute plus fréquentes que ces 24 cas (dont une Belge, une femme de 51 ans, identifiée en août dernier par le virologue Marc Van Ranst). Mais a priori pas courantes non plus. « S’il existe d’autres cas non répertoriés, cela reste marginal », assure Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB. Le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC) le note également, dans une analyse publiée le 21 septembre dernier: « Ainsi, bien que nous puissions prévoir une augmentation des cas de réinfections identifiés à mesure que la capacité de test augmente (y compris chez les individus légers ou asymptomatiques), à l’heure actuelle, les preuves indiquent que la réinfection est un événement rare ». Si tel n’était pas le cas, le principe même du vaccin serait inefficace.
« Je fais une Covid, je guéris, j’ai une immunité et je risque peu d’être à nouveau malade, résume Béatrice Swennen, chercheuse au département d’épidémiologie de l’Ecole de santé publique de l’ULB. Cela peut permettre d’être plus rassuré. » Du moins pour un temps: celui de la survie des anticorps. Qui reste une inconnue. La récence du Sars-CoV-2, comme on le surnomme dans le jargon scientifique, ne permet pas de déterminer précisément la durée de la protection que le corps développe.
Protection longue durée?
Ce qui est sûr: « l’immunité n’est pas acquise pour toute la vie, pose la spécialiste. On sait déjà que les anticorps diminuent avec le temps. » Ce qui est presque sûr: « la réponse immunitaire va durer plusieurs mois », expose Jean Ruelle, virologue et chercheur à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain. Certaines études évoquent cinq à six mois, d’autres trois à six… « Plus l’infection a été sévère, plus le taux d’anticorps est élevé », précise-t-il. Ce qui est donc supposé: les personnes infectées seraient tranquilles pour au moins trois mois.
Pour elles-mêmes. Car subsiste une dernière incertitude: les autres. L’immunité combat le virus et empêche le développement de symptômes, mais le corps peut-il malgré tout être un simple transporteur, donc un contaminateur? Les avis scientifiques varient. Nathalie Jacobs, virologue à l’ULiège, estime « qu’il n’y a pas assez de recul pour le savoir. Les premières études scientifiques vont affirmer que oui, les autres que non… Il ne faut pas se précipiter ». Béatrice Swennen (ULB) considère que l’éventualité est possible, comme son collègue Nicolas Dauby qui juge qu’un « portage du virus ne peut pas être exclu ».
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« Alors quoi? On pourrait autoriser des Covid-party entre personnes infectées? C’est dangereux, de dire ça!, prévient la première. Il subsiste trop d’inconnues, on ne peut pas construire une politique de santé publique là-dessus. » « On peut ne pas être malade mais transmettre le virus, abonde le second. Donc il faut continuer à insister sur les gestes barrières et le port du masque. » Le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies plaide pour appliquer un « principe de précaution » et pour que chacun « soit traité de la même manière ».
Jean Ruelle (UCLouvain) explique pour sa part que les personnes guéries, immunisées, constituent « des barrières pour la suite des transmissions » et n’infectent plus les autres via leurs gouttelettes. « Une personne immunisée ne va pas produire de particules virales, relève-t-il. Mais elle pourrait éventuellement transmettre le virus via les mains, dans l’hypothèse où elle touche une surface fortement contaminée et déplace le virus vers une autre surface touchée par un individu non- immunisé. » Mais la Covid se propage majoritairement par voie respiratoire.
Passeport immunitaire
Pour Yves Coppieters (ULB), « si on a une immunité, avec des anticorps, cela empêche la pénétration dans les cellules et on ne peut pas le transmettre ». Même s’il reste à analyser la qualité de cette immunité, la nécessité de l’application indistincte de mesures liberticides aux guéris est « une bonne question de recherche ». « On pourrait étudier l’opportunité d’instaurer un passeport immunitaire de deux ou trois mois« , propose-t-il.
L’idée avait déjà été lancée en avril dernier par une start-up britannique, Onfido, qui l’imaginait comme un outil de déconfinement. Les personnes immunisées auraient reçu un document numérique ou papier qui les autoriserait à reprendre une vie quasi normale. En Estonie, l’application ImmunityPasseport est actuellement utilisée. Les personnes qui se sont fait tester peuvent partager leurs résultats à l’aide d’un code QR à leurs familles, amis, collègues, patrons… Pour les rassurer avant de mettre fin à l’éloignement.
Respect de la vie privée, confidentialité des données médicales, incitation à l’infection volontaire, discriminations… Un passeport immunitaire soulèverait de nombreuses questions sensibles. S’il serait moralement difficile à appliquer à l’échelle d’une population, pourrait-il être instauré au sein de certains groupes?
Le député fédéral Georges Dallemagne, médecin de formation (CDH), souhaite que la question puisse être envisagée pour les maisons de repos. Il a relayé une analyse effectuée dans un établissement bruxellois. La sérologie des résidents et du personnel a été mesurée, d’abord en juin puis en octobre. Globalement, 37% des personnes sont immunisées et aucune d’entre elles n’a perdu ses anticorps en quatre mois. Chez certaines, le taux a augmenté, chez d’autres il a diminué, « sans tendance nette dans un sens ou dans l’autre ».
Si on a une immunité, avec des anticorps, on ne peut pas transmettre le virus.
« Il est totalement disproportionné de confiner ces résidents qui ont de l’immunité, s’indigne Georges Dallemagne. Bien sûr, ils doivent continuer à être prudents. Mais des mesures additionnelles, comme limiter les contacts sociaux, semblent tout à fait exagérées. Certaines personnes âgées en meurent, d’être isolées! Leur seul plaisir de vivre est de voir leurs enfants, leurs petits-enfants. Par ailleurs, les personnes ont le droit de savoir qu’elles possèdent une immunité plutôt efficace, et de ne plus être stressées par cette deuxième vague. C’est le droit fondamental du patient. Et cela permettrait aussi de se concentrer sur les personnes à risques. Enfin, quel intérêt de réaliser des PCR réguliers sur des résidents immunisés? Cela coûte cher et peut être traumatisant. » L’élu a tenté de faire remonter ces questions au niveau politique. En vain. Un ministre compétent a aussi plaidé pour une gestion de crise dans les maisons de repos basée sur l’immunité. Idem. Tant pis pour les guéris.
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