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Comment le confinement brouille complètement notre notion du temps

Caroline Lallemand Journaliste

La pandémie et les mesures de confinement qu’elle engendre brouillent sur le long terme notre notion du temps. A nous de le réinventer.

L’idée a été lancée par Frédérique Jacobs, cheffe de service en infectiologie de l’hôpital Érasme : célébrer les fêtes de fin d’année en été, pour contrer le Covid-19. Fêter Noêl autour d’un BBQ au jardin ou réveillonner en pleine vacances de Pâques, la perspective à première vue saugrenue semble bel et bien se rapprocher de la réalité dans une crise sanitaire inédite qui perdure. Le Comité de concertation n’a en effet donné aucun signe d’espoir d’assouplissement des mesures de lutte contre le coronavirus vendredi dernier, laissant la population en manque criant de jalons et de perspectives de réjouissances, à l’approche des fêtes de fin d’année.

La pandémie et les confinements qu’elle impose perturbe grandement notre notion de temps. Notre quotidien organisé d’ordinaire sur le mode de la flèche (passé-présent-futur) s’en retrouve complètement chamboulé. Le temps est devenu flou. Tout comme le calendrier sportif et culturel. Regarder les matchs de Roland-Garros à la rentrée et pas en pleine session d’examens, suivre le Tour de France en septembre et plus pendant les vacances scolaires… le Covid-19 brouille tous ces repères mais aussi nos propres biorythmes, nos horloges internes. Les jours se ressemblent tous, les fins de semaine ne marquent plus de vraie pause avec le week-end, autrefois tant attendu. En revanche, les mois semblent avoir filé à une vitesse folle et le « monde d’avant » la pandémie semble un très lointain souvenir.

« Un jour sans fin »

« Désormais, ce n’est plus : c’est lundi, donc je vais au bureau. C’est : je vais au bureau, donc c’est lundi. La nuance peut paraître ténue mais elle est déstabilisante, laissant entendre que ce ne sont plus les emplois du temps qui rythment nos existences, comme c’était le cas depuis l’époque monastique, mais l’activité elle-même », constate Le Monde.

Le philosophe Pascal Chabot nomme « hypertemps » cette dynamique de synchronisation permanente entre nos activités et nos rythmes de vie. Avec comme conséquences, la sensation curieuse et déprimante pour beaucoup d’entre nous de vivre en boucle le même jour, nous laissant errer comme dans un « Jour sans fin », du nom de ce film à succès dans lequel le héros (Bill Murray) se retrouve englué dans un présent perpétuel. L’expression a même été utilisée par Emmanuel Macron lors de son allocution du 28 octobre annonçant le reconfinement dans l’Hexagone.

Des néologismes apparaissent pour qualifier ces jours vidés de structure : « lundimanche« , crée lors du premier confinement ou « blursday« , un mot-valise inventé par les Anglos-Saxons. Fin octobre, le Washington Post a lancé une lettre d’information quotidienne intitulée What Day is it ? (« Quel jour sommes-nous ? ») afin d’aider ses lecteurs à retrouver une certaine structure temporelle et d’éviter l’isolement social.

La généralisation du télétravail est aussi responsable de la suppression de nos repères spatio-temporels, ne laissant que très peu de démarcation entre notre vie professionnelle et privée. « Ce passage d’un temps rituellement organisé à un temps sans limites claires est permis et accentué par les outils informatiques« , poursuit Le Monde.

Comment le confinement brouille complètement notre notion du temps
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Benoît Heilbrunn, enseignant à l’école de commerce française ESCP, pointe les responsabilités de « la société digitale ». « Synonyme d’ubiquité – on est à la fois chez soi et au travail -, elle alimente cette perturbation profonde de l’appréciation du temps, devenu non plus linéaire mais subjectif. Elle va dans le sens de la logique permanente d’accélération qui encourage le principe très à la mode du « je bosse quand je veux« , même si ce leitmotiv commence à devenir franchement anxiogène« , analyse-t-il dans Le Monde.

« C’est comme si on me privait d’une partie de mon existence »

Une étude publiée par le journal PLOS One rapporte que 80 % des personnes confinées au printemps ressentaient une distorsion dans leur rapport au temps. Ruth Ogden, chercheuse à l’université John Moores de Liverpool, qui a réalisé cette étude a aussi établi que le stress lié à cette perception était directement lié pour les personnes interrogées à leur « niveau de satisfaction sociale« , soit au nombre et à la qualité des interactions avec autrui. Un constat qui, selon la sociologue, explique que les plus jeunes, qui sont aussi les plus actifs, ont le sentiment que leurs journées passent plus vite, contrairement à leurs aînés, moins occupés et plus isolés.

Le retour du confinement, même avec des règles un peu différentes, suggère, par ailleurs, un douloureux retour à la case départ, « comme si la pandémie nous tenait prisonniers dans une boucle temporelle dont on ne pourrait s’extraire« , analyse Le Monde.

Certaines personnes vivent ce manque de repères et de contacts sociaux comme une période de repli et de perte de sens. « C’est comme si on me privait d’une partie de mon existence« , confie au quotidien français une cadre de 50 ans. « Au premier confinement, on avait encore la perspective des beaux jours qui s’annonçaient, mais là, avec les journées courtes et sombres, c’est le blues assuré, on a rien pour se réjouir« , témoigne une employée de bureau en télétravail.

La situation pèse aussi lourdement sur le moral des personnes à la retraite, dont les semaines sont d’habitude rythmées d’activités en tout genre. Ces personnes se retrouvent alors dans une réalité qu’elles disent dénuée de sens. « Ce qui nous perturbe, c’est de disposer d’un temps supplémentaire dont nous avons la maîtrise mais sans pouvoir se projeter dans l’avenir. Or, ne pouvoir être sûr de rien renvoie à des peurs ancestrales. Celle du vide, de manquer, de mourir« , observe une psychologue.

S’inventer de nouvelles habitudes

Dans cette nouvelle réalité au temps élastique où les projets d’avenir sont désormais de véritables chimères – au-delà du jalon des fêtes de fin d’année, ce sont désormais les vacances de carnaval qui sont hypothéquées selon le biologiste Geert Molenberghs – les professionnels de la santé et les sociologues invitent à s’inventer de nouveaux rituels, pour s’ancrer dans un présent qui nous échappe et ne pas sombrer dans la déprime hivernale.

Ces nouvelles habitudes peuvent être simples et symboliques comme noter dans un agenda une action différente à réaliser chaque jour, ou s’obliger à éteindre son ordinateur à heure fixe après sa journée de télétravail, et pour marquer le coup fermer la porte de son bureau. Un autre rituel qui permet de remplacer le sas de décompression passé normalement dans les transports en commun est de faire une balade déstressante en fin de journée, ou le matin, avant d’allumer son PC.

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