Antoine Flahault: « On doit rechercher une baisse raisonnable du risque d’infection » (entretien)
Pour l’épidémiologiste Antoine Flahault (université de Genève), le risque zéro est illusoire. Transmissibilité et dangerosité du variant, efficacité des vaccins, mesures pour éviter la désorganisation de la société… : tout savoir sur Omicron.
Avec le variant Omicron du Sars-CoV-2, l’épidémie de coronavirus prend une autre orientation depuis quelques semaines. Les contaminations explosent. Plus de 400 000 cas enregistrés en 24 heures aux Etats-Unis, plus de 220 000 en France, plus de 180 000 au Royaume-Uni, plus de 100 000 en Espagne, chiffres atteints dans les derniers jours de 2021. La hausse des infections commence à gagner la Belgique (un doublement entre le 23 et le 29 décembre, avec quelque 15 000 cas observés). Mais heureusement, les hospitalisations ne suivent pas la même courbe. Le variant Omicron serait donc plus contagieux, mais moins dangereux. Revue des questions que pose cette nouvelle vague de contaminations avec Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève (1).
Dans quelle proportion la transmissibilité du variant Omicron du Sars-CoV-2 est-elle plus grande ? Quel est l’impact de cette contagiosité accrue ?
On pense aujourd’hui que la transmissibilité du variant Omicron serait trois à quatre fois plus élevée que celle du variant Delta qui avait lui-même une transmissibilité 50 % plus élevée que celle du variant Alpha. L’impact est double. D’une part le nombre de reproduction est plus élevé et donc les courbes épidémiques repartent à la hausse là où le nouveau variant circule. D’autre part, le nouveau variant tend à s’imposer rapidement comme variant dominant partout où il circule dans le monde.
Pourquoi certains pays semblent-ils plus exposés à une augmentation rapide des contaminations au variant Omicron, le Royaume-Uni, la France… ?
Certains pays ont des plateformes de séquençage des virus très performantes permettant de détecter plus rapidement et plus exhaustivement le phénomène d’émergence de nouveaux variants et d’en quantifier l’impact. Le mode de propagation du coronavirus par chaînes de superpropagation peut conduire à une certaine hétérogénéité de la distribution épidémiologique des cas, notamment au début de l’installation d’un variant émergeant. En quelques semaines, cependant, une homogénéisation de la circulation devrait survenir à l’échelle du continent européen car il est très interconnecté.
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Est-il établi que le variant Omicron est moins dangereux que ses prédécesseurs ? Si oui, dans quelle mesure ?
Il semble, d’après les premiers rapports nous étant parvenus d’Afrique du Sud et du Royaume-Uni, que les cas liés au variant Omicron soient moins souvent sévères qu’avec les souches précédentes. Il faut cependant prendre ces informations préliminaires avec prudence. En effet, Omicron est relativement récent dans son émergence et les premières contaminations sont survenues plutôt dans les segments de la population jeunes et actifs, moins à risque de développer des formes sévères conduisant à l’hospitalisation. Il faudra attendre quelques semaines pour avoir une idée plus complète du profil de gravité de cette nouvelle souche.
Les vaccins actuels protègent-ils de la même manière contre le variant Omicron que contre ses prédécesseurs ?
La vaccination dans un schéma à trois doses semble clairement protéger efficacement contre les formes symptomatiques et sévères de l’infection par Omicron. Il semble aussi que le schéma à deux doses confère une bonne protection contre les formes sévères, alors que la protection conférée semble moindre sur les formes symptomatiques bénignes. En revanche, nous ne savons pas le degré de protection des vaccins sur les formes asymptomatiques et donc sur la transmission du nouveau variant.
Troisième dose en Europe, quatrième en Israël : s’oriente-t-on vers l’administration de vaccins à intervalles réguliers pour surmonter l’épidémie de coronavirus ?
Un schéma vaccinal à trois doses avec des rappels à intervalles réguliers est connu pour d’autres vaccins comme la diphtérie, le tétanos ou la poliomyélite. Le vaccin contre la Covid-19 pourrait en effet suivre pareil chemin à l’avenir.
La diminution de la période d’isolement pour les cas contact, décidée dans certains pays comme en Belgique pour éviter une interruption de l’activité des entreprises ou des services publics, pourrait-elle avoir des effets négatifs sur le nombre de contaminations ?
La diminution de la période d’isolement pour les personnes infectées à cinq jours, c’est-à-dire, la durée de la période de contagiosité pour plus de 95 % des cas paucisymptomatiques (NDLR : qui présentent peu de symptômes) ou asymptomatiques, est particulièrement justifiée pour un virus très contagieux en raison du très grand nombre de cas attendus et du risque de paralysie de la société si les durées d’isolement sont trop prolongées. On ne doit pas rechercher le risque zéro mais une diminution raisonnable du risque de propagation du virus dans la communauté. Les quarantaines des personnes contacts ne sont alors pas nécessaires chez les personnes asymptomatiques testées négatives à sept jours du contact.
L’obligation vaccinale ou ses formes déguisées (pass vaccinal) vous semblent-elles opportunes ?
Ce sont des décisions politiques. Les scientifiques recommandent la vaccination du plus grand nombre, avec trois doses. Les dirigeants politiques choisissent alors la façon la plus opérationnelle de mettre en oeuvre une telle recommandation, et ça peut aller jusqu’à l’obligation vaccinale en fonction du contexte social et politique.
A propos de la vaccination des enfants, vous évoquez une « vaccination altruiste ». Pouvez-vous expliquer cette vision ?
La vaccination des enfants est avant tout souhaitable parce qu’elle apporte un bénéfice individuel direct immédiat qui est de protéger les enfants eux-mêmes contre les formes graves conduisant à l’hospitalisation voire au décès. Ce sont des événements certes plus rares chez l’enfant que chez l’adulte plus âgé mais si on peut les éviter par un vaccin sûr et efficace, vaccin que plusieurs millions d’enfants dans le monde ont reçu sans problèmes particuliers, pourquoi les en priverait-on ?
Il y a aussi la protection contre les Covid longs, formes chroniques qui peuvent altérer la qualité de vie des enfants et leur scolarité. Ensuite, il peut y avoir des bénéfices à la vaccination des enfants pour toute la population, c’est l’aspect altruiste additionnel de cette vaccination. Un récent rapport de l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control, Centre européen de prévention et de contrôle des maladies) a chiffré à 15 % la réduction de la transmission du coronavirus dans la population, grâce à la vaccination des 5 – 11 ans, pour un pays où la population adulte est déjà bien vaccinée, comme la Belgique.
L’enjeu du contrôle de l’épidémie reste d’éviter la saturation des hôpitaux. Depuis deux ans, les Etats n’auraient-ils pas dû accroître leur capacité à accueillir des patients en réanimation et les possibilités de formation de nouveaux soignants ?
Vous avez raison de souligner que les mesures fortes prises en Occident le sont avant tout pour éviter la saturation des hôpitaux, notamment des soins intensifs. Il s’agit donc bien d’un indicateur majeur pour guider la politique publique. Augmenter les lits de réanimation permettrait de retarder un peu leur niveau de saturation mais n’aurait aucun effet frénateur sur l’épidémie. J’ai comparé cette option politique à celle qui avait été imaginée dans les années 1970 en France pour prendre en charge les accidentés de la route. C’était à une période où la mortalité routière était plus de trois fois supérieure à celle d’aujourd’hui. Certes, les accidentés ont pu être traités correctement alors mais cela n’a en rien réduit l’accidentologie de la voie publique. Il a fallu, parallèlement, instaurer des limitations de vitesse, de meilleures infrastructures, des ceintures de sécurité, des freins ABS et des airbags aux véhicules, des contrôles d’alcoolémie, etc… Si dimensionner le parc hospitalier pour qu’il réponde correctement aux problèmes de santé de son pays est une nécessité dans le cadre de cette pandémie, cela ne doit pas retarder la mise en oeuvre de mesures visant à limiter durablement la propagation du virus.
En Belgique, le monde de la culture s’est rebellé contre la décision de fermer théâtres et cinémas. Il a obtenu gain de cause auprès du Conseil d’Etat, et le gouvernement a fait marche arrière. L’équilibre entre protection sanitaire, respect des libertés et cohésion sociale risque-t-il de devenir de plus en plus délicat à maintenir ?
Il n’y a pas beaucoup de rapports de clusters ni de chaînes de contaminations survenues dans les lieux de culture comme les cinémas, théâtres ou salle de concert. Les mesures fortes qui ferment des lieux publics doivent être mises en oeuvre avec beaucoup de prudence et pourraient être mieux guidées par l’épidémiologie. On pourrait en priorité viser les lieux reconnus comme les plus à risque de transmission. Plutôt que de fermer ces établissements, on pourrait tenter, d’abord, de mieux monitorer la qualité de l’air intérieur et améliorer la ventilation partout où elle est insuffisante. On pourrait alors décider de fermer les seuls lieux clos recevant du public qui ne respecteraient pas des normes de qualité de l’air contraignantes et partagées.
(1) Auteur de Covid : le bal masqué, éd Dunod, 2021, 240 p.
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