« Partage ton amour » ; derrière le rassemblement des craies, l’appel d’un groupe d’étudiantes
Mardi 22 mars, la Belgique tout entière était frappée de plein fouet par une série d’attaques terroristes. Face au drame, la population a préféré dire « non » à la peur pour se réunir au grand jour sur le piétonnier de Bruxelles. Un rassemblement, devenu symbole de solidarité à travers le monde, né de la volonté d’un petit groupe d’étudiantes de privilégier la parole au silence.
Bruxelles, mardi 22 mars 2016. Vers huit heures du matin, des explosions retentissent dans le hall des départs de l’aéroport de Zaventem. Deux terroristes ont déclenché les explosifs qu’ils transportaient, tuant près de quinze personnes et blessant des dizaines d’autres. Rapidement, forces de l’ordre et médias arrivent sur les lieux, les uns pour évacuer les passagers en proie à la panique, les autres pour tenter de comprendre l’étendue du drame qui vient de se jouer.
Quelques minutes plus tard, vers 9h11, une nouvelle déflagration fait trembler le métro sous-terrain à Maelbeek, au coeur du quartier européen. Une nouvelle bombe s’est déclenchée à l’intérieur d’une rame. Bilan provisoire : vingt victimes et des dizaines de blessés. Le chaos s’installe.
Besoin de s’exprimer
Pendant ce temps-là, Juliette, Victoria et Elodie, trois étudiantes de 1ère Master en communication à l’Ihecs, sont déjà au cours. Très vite, les réseaux sociaux saturent d’infos sur des attentats qui se seraient déroulés à quelques rues de leur école, située près de la Grand Place.
Alors que, d’heure en heure, le bilan provisoire des victimes ne cesse de s’alourdir, la matinée s’écoule mais tout le monde en classe a déjà la tête ailleurs. C’en est trop pour les trois amies qui, une fois dehors, décident d’aller acheter plusieurs boites… de craies. Direction la rue et le lancement de l’initiative « Partage ton amour ».
« L’idée nous est venue spontanément, raconte Juliette. C’est en allant le matin à nos cours qu’on a appris l’info. La surprise passée, on a eu envie de s’exprimer là-dessus. On voulait partager ce trop plein d’émotions en nous. »
Une émotion également ressentie de plein fouet par Victoria : « j’ai aussi eu besoin de faire quelque chose », confie-t-elle.
« Je n’avais pas envie de rentrer chez moi, d’être dans mon kot sans rien faire en me disant ‘encore une alerte 4, c’est comme ça que ça marche, cours annulés et basta’. Rien que le fait de suivre les infos à la télé, c’était juste intenable et on a préféré sortir. Juliette a eu l’idée des craies, on s’est dit ‘on essaye, si les gens veulent participer ils le font, sinon tant pis’. »
Un engouement inattendu
« On a commencé dans notre quartier, et vu que ça marchait déjà bien, on s’est installé sur la place Fontainas, poursuit Juliette. Au fur et à mesure, de plus en plus de gens arrivaient spontanément au point qu’après vingt minutes, l’espace était déjà rempli. »
Un intérêt qui n’allait plus cesser et obligea les filles, rejointes entre-temps par plusieurs de leurs amies sous l’objectif de Vice, à déplacer leur atelier de plein-air vers la place de la Bourse, l’un des coins les plus fréquentés du piétonnier bruxellois.
« On avait à ce moment-là aucune idée de l’impact que ça pouvait avoir, avoue Victoria. Mais, de plus en plus, les gens regardaient, osaient prendre une craie. Au début, beaucoup étaient timides, mais une fois qu’on allait vers eux, ça démarrait tout seul. »
Un phénomène qu’elle attribue non-seulement à la portée du drame sur la conscience des gens, mais aussi à la facilité du moyen de communication. « Ce qui est génial avec la craie, c’est qu’elle parle à tout le monde ! On avait toutes sortes de personnes, des enfants, des personnes âgées, des étrangers. Beaucoup de messages ont été écrits dans toutes les langues. Et sans forcément comprendre tout ce qui se dit, ça reste des marques d’attention fortes et un bel échange multiculturel ».
Le double-jeu des médias
Les étudiantes sont les premières à le reconnaître ; sans les réseaux sociaux et les médias, ce qui n’était à l’origine qu’une petite initiative privée aurait pu difficilement devenir le lieu de communion dont les images ont été relayées hier dans le monde entier.
« L’engouement des réseaux sociaux a été une belle surprise, surtout que je n’avais pas consulté mon GSM de 11 à 19h, déclare Juliette, amusée. Des amies nous ont appelé la journée en disant avoir vu des photos sur le net et elles sont venues participer. C’est magnifique que les gens soient sortis de chez eux en voyant ce qui se passait. »
Il n’aura pas fallu longtemps pour que les médias, belges et étrangers, viennent s’intéresser de plus près à ce rassemblement spontané. Au point même de le transformer en pôle d’attention médiatique.
« On a parfois ressenti cette présence comme un peu excessive, déplore Juliette au regard de la soirée. A un moment, on s’est tous mis à chanter en cercle et les caméras se sont infiltrées en plein milieu, comme si on tournait un film ! »
Témoignage : « les journalistes m’ont dégoutée »
« Mais d’un côté, ils ont joué leur rôle en amenant plus de gens, grâce aux photos, aux tweets, etc. De l’autre, leur présence finissait par être oppressante. Pas mal de gens venaient là pour se recueillir, ce qui n’était pas évident avec toutes les caméras autour, les gens qui rigolaient fort et jouaient au foot, etc. »
Leur initiative aura toutefois débouché sur une émouvante démonstration de solidarité, chose qu’elles étaient loin de soupçonner en achetant leurs craies de couleurs à la sortie des cours.
Et tandis que Bruxelles panse doucement ses plaies encore béantes, d’autres manifestations sont prévues sur tout le territoire et devraient se poursuivre jusque dimanche et au-delà, à Louvain-La-Neuve et à Liège par exemple.
« Je ne sais si c’est grâce à nous (rires) mais contre l’horreur, on a un outil, notre liberté d’expression, et il faut pouvoir l’utiliser, conclut Juliette. Hier, on a commencé à trois et fini à 300, cela montre bien que les gens ont besoin de se mettre ensemble et de s’exprimer. Plus que jamais. »
Guillaume Alvarez
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