Guerre en Ukraine: une protection inédite pour les réfugiés
La protection spéciale pour les Ukrainiens, que valide la grande majorité des Etats européens, confère automatiquement aux réfugiés des droits proches de ceux des nationaux.
Moins d’une semaine après le début de l’invasion russe, un demi-million d’Ukrainiens avaient déjà traversé la frontière pour échapper aux combats et aux bombardements. On ignore quelle sera l’ampleur de la vague migratoire dans les prochaines semaines, les prochains mois, mais selon les projections du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), elle pourrait atteindre les cinq millions d’individus. Des hommes, des femmes, des enfants qui attendent de l’Europe qu’elle se montre aussi impliquée sur le plan humanitaire que militaire.
Leurs espoirs ne devraient pas être douchés puisque l’Europe s’apprête à activer la directive européenne de « protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées ». Une décision inédite, comme l’explique Sylvie Sarolea, professeure de droit international à l’UCLouvain et avocate spécialisée en droit des étrangers.
Procédure on/off
« La mesure existe depuis vingt ans mais elle n’a jamais été activée. Elle avait été adoptée pour répondre aux défis du moment, notamment la crise yougoslave. A l’époque, il existait des statuts disparates qui ne répondaient que partiellement au problème. Mais malgré les demandes d’activation lors de la crise syrienne, l’Europe n’a jamais appuyé sur le bouton « on ». Aujourd’hui, la situation est différente, car la Pologne et la Hongrie, qui sont directement concernées, mesurent l’utilité de ce principe qui prévoit une répartition des réfugiés entre les différents pays européens. »
Dispensés de visa, les Ukrainiens peuvent déjà se rendre librement dans les pays de l’Union européenne mais pas s’y établir, la durée de séjour étant limitée à nonante jours. La protection que confère la directive est, elle, nettement plus étendue: outre la garantie d’accueil et de protection, elle prévoit la prise en charge complète du réfugié, l’ autorise à développer une activité professionnelle, lui donne accès à des aides financières, à un logement, à l’éducation dans les mêmes conditions que les nationaux, au regroupement familial, etc., précise Sylvie Sarolea. Le délai est également plus long: un an (avec possibilité de prolonger de deux) au lieu des nonante jours pour une procédure classique. Pour qu’une telle prise en charge soit activée, il faut évidemment que les conditions soient réunies, à savoir un afflux massif et imminent et un besoin de protection immédiate et temporaire. Ce qui est le cas.
Chaque Ukrainien qui arrivera ici sera assuru0026#xE9; d’une protection automatique. Tous pourront rester un an dans l’UE, sans du0026#xE9;marrer une procu0026#xE9;dure de demandeur d’asileu0022.
Doctorante au Centre Perelman de philosophie du droit de l’ULB, Nina Hetmanska concentre ses recherches sur les mobilisations du droit par les sans-papiers. De nationalité polonaise, elle suit de très près les événements et les flux migratoires à la frontière ukrainienne: « Les Ukrainiens sont dans une meilleure situation que les réfugiés des précédentes vagues migratoires. La Pologne avait déjà confirmé qu’ils seraient accueillis sur son territoire même s’ils n’avaient pas de documents valables et que leur séjour légal serait prolongé. » La capacité d’accueil de la Pologne reste néanmoins limitée, décrit la chercheuse. « La Pologne compte six centres fermés aux conditions désastreuses où sont regroupés 1 750 étrangers en demande d’asile mais elle n’a pas de réelles infrastructures pour accueillir un grand nombre de réfugiés. »
« Ce qu’on observe, poursuit Nina Hetmanska, c’est que des hotspots ont été mis en place par le gouvernement polonais, ainsi que plusieurs centres d’information dans les aéroports et les grandes gares. Les gens reçoivent des plats chauds et un accès aux soins médicaux. Des écoles primaires ont été vidées temporairement mais le réseau d’aide aux réfugiés déplore le manque de concertation avec le gouvernement qui prend seul les décisions. On peut donc dire qu’il y a une réelle volonté d’aider les Ukrainiens mais encore faut-il que l’action soit efficace… Heureusement, les Polonais se montrent très volontaires pour venir en aide aux Ukrainiens et pour les accueillir chez eux. Il y a une grande proximité entre les deux peuples, géographique, évidemment, mais aussi de langue. Généralement, les choses se passent bien pour eux là-bas. Ce qui donne à la Pologne une capacité d’absorption importante. » L’Ukraine partage sa frontière avec d’autres pays, la Roumanie, la Moldavie, la Slovénie, la Hongrie, qui devront également absorber une partie du flux migratoire. D’autant que pour ces pays limitrophes, les réfugiés Ukrainiens pourraient représenter une main-d’oeuvre qui serait la bienvenue, souligne la chercheuse.
Quel rôle la Belgique sera-t-elle amenée à jouer? Dans l’attente d’une décision à l’échelon européen, le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi (CD&V), a confirmé en début de semaine qu’en vertu de la directive sur laquelle s’accorderaient les Etats membres, « chaque Ukrainien qui arrivera ici sera assuré d’une protection automatique. Tous les citoyens pourront rester un an dans l’Union européenne, sans démarrer une procédure de demandeur d’asile. » La Belgique, a-t-il ajouté, est occupée à organiser cet accueil « même si l’on sait que la plupart des Ukrainiens préfèrent rester dans les pays voisins, sachant qu’ils y ont parfois de la famille ».
Traitement de faveur
A la Croix-Rouge, on se tient prêt mais on attend surtout d’en savoir plus en ce qui concerne le traitement des dossiers de demande de protection internationale des personnes en provenance d’Ukraine. D’ici là, les procédures habituelles (demande de protection par inscription et intégration d’un centre d’accueil) restent d’application, nous précise-t-on.
Le secrétaire d’Etat a aussi évoqué un « devoir moral » d’aide aux réfugiés. Une position qui tranche avec celles adoptées lors des précédentes vagues migratoires, note Sylvie Sarolea. « Lors du conflit syrien, nous avions été nombreux à dire qu’il fallait activer la directive mais certains pays ne voulaient pas participer à la répartition. L’hypothèse pour expliquer cette différence de traitement, c’est que nous nous reconnaissons davantage dans cette population. C’est aussi un bon moyen pour signifier que l’Europe fait bloc. »
Une différence de traitement que pointe également Nina Hetmanska: « A la frontière biélorusse, on laisse les gens originaires d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, du Kurdistan, du Sénégal ou du Soudan mourir d’hypothermie et de faim parce qu’ils ne sont pas blancs et chrétiens. On peut effectivement dire que les réactions aux flux migratoires ne sont pas du tout les mêmes. »
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