Brexit: souveraineté certes mais encadrée
Succès politique pour Boris Johnson, l’accord sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne après le Brexit est moins réjouissant pour les Britanniques.
Il faut s’y résoudre. Se rendre à Londres sera plus compliqué pour un citoyen européen. Y travailler sera moins aisé. Les marchandises sortiront du Royaume-Uni et y entreront moyennant des formalités administratives restaurées. Et les étudiants du Vieux Continent peuvent rayer de leur liste préférentielle du programme Erasmus+ les universités britanniques. Dès le 1er janvier, les relations avec nos amis britanniques changent. Et cela ne va pas dans le sens des bonnes résolutions d’une nouvelle année.
Au moins, la volonté du peuple britannique exprimée le 23 juin 2016 a-t-elle été respectée et les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne seront-elles régies par un accord mutuellement consenti, scellé le jeudi 24 décembre. Pour autant, le Premier ministre britannique Boris Johnson est-il fondé à affirmer: « Nous allons rependre le contrôle de notre monnaie, de nos frontières, de nos lois, de notre commerce et de nos eaux« ? A voir.
La finance ignorée
La besace de Noël du pourfendeur des technocrates de Bruxelles contient certes un accès au marché européen sans droits de douane ni quotas. Mais le Royaume-Uni s’est engagé à respecter les règles de concurrence en matière d’environnement, de lutte contre le dérèglement climatique, de droit social, de fiscalité et d’aides d’Etat. Et si Boris Johnson a obtenu que la législation britannique ne soit pas tenue de s’aligner sur les futures normes européennes, des sanctions seront possibles en cas d’écarts trop importants entre les dispositions des deux partenaires. Certes, une réduction du volume de poisson que les pêcheurs européens peuvent attraper dans les eaux territoriales britanniques est inscrite dans l’accord. Mais son ampleur, 25% d’ici à 2026, est très éloignée des 80% réclamés initialement par le gouvernement de Londres.
S’il gagne en souveraineté, relative, avec l’application du Brexit, le Royaume-Uni perd en revanche en cohésion.
Les échanges commerciaux, portant annuellement sur 700 milliards d’euros, entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne sont donc préservés. Mais l’arrangement ne prévoit rien en matière de services financiers. Les opérateurs de la City de Londres ne pourront donc plus vendre leurs produits financiers au sein de l’Union européenne, sauf à créer des filiales sur le continent. Boris Johnson voulait un hard Brexit et c’est ce qu’il a finalement conclu, même si l’absence d’accord eut été encore plus préjudiciable.
Le Brexmas – Brexit for Christmas – débouche ainsi, entre les anciens partenaires de l’Union, sur une coopération moins étroite que celle en vigueur entre les cousins éloignés de l’Espace économique européen (UE et Norvège, Liechtenstein et Islande), ou celle entre l’UE et la Suisse. Les Helvètes les plus circonspects à propos d’une intégration européenne en viennent à jalouser les Britanniques d’avoir notamment obtenu que la Cour européenne de justice ne fasse pas office de cour d’arbitrage pour le règlement de leurs différends avec les Européens.
Premier ministre provisoirement conforté
En réalité, l’accord du 24 décembre est surtout un succès politique pour le Premier ministre conservateur. Lui a réussi là où sa prédécesseure Theresa May avait échoué. Au prix de concessions qui n’altèrent pas, pour le moment, le soulagement et la satisfaction d’en avoir fini avec ces maudites et interminables négociations (quatre ans et demi, tout de même). De surcroît, Boris Johnson peut s’enorgueillir d’avoir consolidé sa majorité conservatrice et resserré ses rangs lors des élections législatives de décembre 2019 (365 des 650 élus de la Chambre des représentants) alors que Theresa May lui avait fait perdre des plumes lors du scrutin, anticipé parce que provoqué par ses soins, du 8 juin 2017 (317 sièges, – 13). Cette déconvenue l’avait obligée à une alliance gouvernementale avec le Parti unioniste démocrate d’Irlande du nord qui n’avait pas facilité sa position dans la négociation avec l’Union européenne.
Aujourd’hui, Boris Johnson a, sauf incident de parcours, quatre ans devant lui, avant les législatives prévues fin 2024, pour surmonter les répercussions négatives du Brexit et asseoir la transformation du Royaume-Uni en un acteur international et plus seulement européen. C’est ce qu’il ambitionne en proposant une alternative mondiale au programme Erasmus+ avec l’Union européenne qui, à son estime, lui coûtait plus qu’il ne rapportait aux étudiants britanniques.
Les nations écartelées
Le préavis au sujet d’une consultation sur l’indépendance de l’Ecosse pourrait être plus rapproché et donc plus problématique pour le Premier ministre britannique. Des élections législatives y sont programmées en mai 2021. Or, la Première ministre Nicola Sturgeon, membre du Parti nationaliste écossais (SNP) au pouvoir depuis 2007, a relancé l’idée d’un référendum en marge des négociations sur l’après-Brexit. Lors de la consultation officielle de 2014, 55,3% de ses concitoyens s’étaient prononcés en faveur du « non ». L’obligation de réintroduire une demande d’adhésion à l’Union européenne pour une Ecosse devenue indépendante et de tradition très proeuropéenne avait handicapé le camp du « oui ». Mais aujourd’hui, l’Ecosse se retrouvant hors de l’Union contre son plein gré, le contexte a fondamentalement changé. Selon un sondage YouGov d’août dernier, 53% des Ecossais seraient désormais tentés par la séparation avec le Royaume-Uni. L’horizon n’est cependant pas aussi dégagé que cela pour les indépendantistes. La tenue d’un nouveau référendum est soumise à l’approbation, improbable vu la majorité conservatrice, du parlement de Westminster. Il n’empêche, un large succès du SNP aux élections législatives écossaises de 2021 remettrait un sérieux coup de pression sur la classe politique britannique.
Ainsi, s’il gagne en souveraineté, relative, avec l’application du Brexit, le Royaume-Uni perd en revanche en cohésion. L’accord sur les relations avec l’Union européenne implique en effet aussi la constitution d’une frontière virtuelle entre la Grande-Bretagne et la province britannique d’Irlande du Nord pour éviter la reformation d’une frontière physique entre celle-ci et la République d’Irlande, membre de l’UE, qui serait contraire aux Accords du Vendredi saint de 1998 ayant mis fin à la guerre civile en Ulster. Celle-ci reste donc soumise aux règles du marché commun européen et de l’union douanière. Un exemple parmi d’autres du gâchis produit par le Brexmas.
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