Rendez-la-nous !

Adulée par les petits et les grands, elle crève l’écran et la bienséance avec son franc-parler et sa gueule racrapotée. Sa furtive disparition, qui a fait les choux gras de la RTBF, a révélé toute son aura. Malvira, on la déteste, et c’est pour ça qu’elle nous plaît

Les flics de Bruxelles ont eu beau la cuisiner, pendant une partie de la nuit –  » Avoue, sorcière ! C’est toi qui as tout organisé.  » -, la vieille revêche n’a pas craqué. Elle s’est même retenue (quelle performance !) de lancer sa plus célèbre tirade à l’inspecteur qui l’inondait de questions. Celle dont les bambins se gaussent devant le petit écran, au grand dam de leurs parents :  » Vous, ta gueule !  » Non, l’enlèvement de Malvira n’est ni un canular ni un coup de pub savamment orchestré par la RTBF pour les 50 ans de la télévision. La marionnette la plus sexy du paysage audiovisuel belge a bel et bien disparu pendant près de deux semaines. Son  » père « , Patrick Chaboud, s’est bêtement fait chouraver sa voiture, place Madou à Bruxelles, le 8 octobre dernier. Et Malvira, qui était en train de piquer un roupillon dans le coffre du carrosse, s’est envolée avec les larrons.

Son  » kidnapping  » a aussitôt été relayé par toutes les radios et les journaux du royaume, et même par le JT (celui du service public, évidemment). Il y eut un tel battage médiatique que, lorsque le véhicule de Chaboud fut retrouvé cinq jours plus tard, le bahut était vide. Cette fois, la teigne échevelée avait réellement été enlevée, ses ravisseurs espérant sans doute une récompense en échange du glorieux pantin. Mais il n’était pas question de verser une rançon pour une bique aussi odieuse ! Finalement, le 21 octobre vers 4 heures du matin, la police de Bruxelles a reçu un appel anonyme. Malvira venait d’être relâchée dans un buisson près… du Soldat inconnu. Joli clin d’£il ! En Belgique, même les scélérats ont de la dérision.

Au Boulevard Reyers, tout le monde est soulagé. Car la poupée (au sens propre du terme, uniquement) était invitée à participer à la grande soirée de gala célébrant les 50 ans de la télé, diffusée ce vendredi 31 octobre sur la Une. Sans Malvira, les réjouissances auraient forcément été moins drôles. Aujourd’hui, grâce au tapage suscité par sa disparition involontaire mais remarquablement récupérée par la maison  » ertébéenne « , elle sera la reine de la fête. Vive Malvira 1re ! Mais comment en est-on arrivé là ? Les Belges francophones ont-ils atteint un tel degré dans l’échelle de l’humour surréaliste qu’ils sont capables d’idolâtrer une laideronne de pâte de bois, fripée et mal fagotée ?

 » Idolâtrer « , c’est encore peu dire. L’affreuse, dont la cote de popularité égale celle de la belle Fabienne Vande Meersche dans les sondages cathodiques, peut se targuer – elle ne s’en prive d’ailleurs pas – d’avoir une statue de bronze à son effigie en plein centre de Flobecq, la commune hennuyère de Rudy Demotte. Elle a, en outre, poussé le bon goût jusqu’à poser en tenue d’Eve pour la circonstance, engageant les marmots à venir lui caresser les fesses pour que ça leur porte bonheur. Beurk ! Significatif également : pendant sa récente éclipse forcée, des centaines de messages, e-mails, lettres, SMS sont parvenus à Patrick Chaboud, de la part de fans dépités, de commerçants qui proposaient d’organiser une campagne d’affichage et même de ministres atterrés par la perte d’un personnage folklorique aussi apprécié.

Malvira est une star. Fêtes locales, festivals de marionnettes ou des arts forains : elle est invitée partout, y compris, il y a quelques mois, à un forum du syndicat chrétien, la CSC-Hainaut, consacré aux sans-emploi. Elue  » femme de l’année  » par les lecteurs du Télé-Moustique en 2001, elle possède son propre site Internet (www.malvira.cx.be) et elle s’est offert, l’année dernière, une biographie ( Vous, ta gueule !, aux éditions Le Grand Miroir). La légende veut qu’elle soit née, il y a plus d’un millénaire, en Laideronnerie, un pays où la laideur est érigée en vertu. Immortelle, elle a traversé les siècles, fréquentant d’illustres personnages tels Jésus, Krishna, Nostradamus ou Mickey L’ange (sic), avant de croiser la route, au début des années 1980, d’un certain Philippe Geluck, qui promenait son chat dans les couloirs de la RTBF. Ce fut le coup de foudre. De cette idylle inattendue est né un magnifique bébé  » odieux visuel « . L’émission Lollipop, avec sa liberté de ton et son humour effronté, a décoiffé toute une génération de téléspectateurs en culottes courtes.

C’est ce même public, devenu adulte, qui s’est plu à retrouver les goujateries et la voix criarde de Malvira, lorsque cette dernière a signé en décembre 2000, après une longue hibernation, un come-back remarqué, en prime time, sur le plateau des @llumés.be, animé par Jean-Louis Lahaye. Si elle avait perdu quelques-unes de ses mauvaises manières – elle ne rotait et ne crachait plus -, la vilaine sévissait toujours dans le registre de l’insolence, avec le langage fleuri qui lui vaut sa réputation et qui a réussi à séduire, outre les nostalgiques de Lollipop, les lardons d’aujourd’hui.

Durant près de trois saisons, il y eut de fameux duels entre l’abominable mémé et quelques pointures de la politique : d’Elio Di Rupo à Louis Michel, en passant par  » Jojo  » Milquet qui lui a offert – la gaffe ! Malvira n’a pas de portugaises – ses boucles d’oreille. Mais aussi des vedettes du show-business, du sport et… du clergé : la rencontre fut franchement déjantée avec Benoît Poelvoorde, joyeusement musclée avec Robert Waseige, carrément mystique avec  » Gottfriet  » Danneels. Il ne manquait que le prince Laurent à son palmarès. L’hystérique hirsute a, pourtant, poursuivi Monseigneur de ses assiduités, en allant même frapper à la porte du Palais royal. Rien n’y fit. L’amoureux des animaux n’a pas succombé, trop pressé, à l’époque, de convoler avec Claire, sa colombe.

Si, malgré ses innombrables défauts, Malvira parvient à séduire, sinon les princes, du moins plusieurs générations de spectateurs, n’est-ce pas parce qu’elle ose dire tout haut ce que d’aucuns oseraient à peine murmurer ? Irrévérencieux sans être foncièrement méchant, son personnage apparaît comme l’ultime refuge de l’impertinence. En remplissant ce rôle de fou du roi, elle en est devenue presque humaine… De sources bien informées, nous pouvons tout de même révéler qu’elle existe grâce au talent téméraire et à l’étonnant sens de la repartie de Patrick Chaboud. Cet artiste d’origine française a élu domicile dans notre tranquille Belgique pour y créer le prolifique Magic Land Théâtre, à Schaerbeek. Mais ne démystifions pas davantage Malvira. Elle nous en voudrait à mort. Qu’elle se rassure, la vieille pie : on l’aime comme elle est. Maintenant que les responsables de la RTBF ont bien profité de sa mésaventure, qu’ils nous la rendent, sur le petit écran, avec tous les allumés qu’ils souhaiteront.

Thierry Denoël

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