Porte d’entrée
Propulsée par la conscience qu’un tas de murs invisibles entourent et sclérosent le théâtre, une classe préparatoire aux écoles supérieures verra le jour à Namur à la rentrée prochaine. Un tremplin bienvenu et une secousse nécessaire pour tout le secteur.
Le projet a été annoncé officiellement en décembre par la ministre wallonne de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo): la création dès l’année scolaire 2022-2023 d’une classe « pour préparer les examens d’entrée en arts de la scène et agir pour plus de diversité ». Cette classe pilote est en gestation depuis plusieurs années. L’idée a germé au sein de l’Esact, le conservatoire de Liège, face à un constat interpellant. « On y observait deux choses depuis un certain moment, détaille Virginie Demilier, en charge du projet avant sa récente nomination à la tête du Théâtre de Namur et qui le poursuit dans ses nouvelles fonctions. La première, c’est que beaucoup de Français se présentent aux concours de l’Esact et des quatre autres écoles supérieures (NDLR:les conservatoires de Mons et de Bruxelles, l’Insas et l’IAD) avec un niveau de préparation nettement supérieur à ce que peuvent proposer la plupart des candidates et candidats belges. L’Esact a pratiqué de la discrimination positive à l’égard des Belges pour ne pas faire rentrer uniquement des profils français. Comment faire pour que les Belges arrivent mieux préparés? La deuxième observation, c’ est que les candidates et candidats sont essentiellement des Blancs, de classe moyenne, avec un certain niveau d’éducation. Et c’est ce profil que l’on retrouve sur les plateaux de théâtre. »
Le plus compliqué, c’est comment interpeller ces jeunes moins favorisés, nous qui sommes blancs, privilégiés et qui n’avons pas encore beaucoup considéré d’autres corps, d’autres accents, d’autres histoires.
Pour plus de diversité et plus de Belges dans les écoles et sur scène, l’Esact propose de développer une classe préparatoire à l’intention des jeunes issus de classes sociales moins favorisées (avec une série de facilitateurs économiques), à l’image de ce qui est organisé en France depuis plusieurs années et dans les pays anglo-saxons depuis plus longtemps encore. Envisagée d’abord à Liège, cette classe s’implantera finalement à Namur, dans une ville géographiquement centrale, et en terrain neutre, puisque Namur n’a pas d’école supérieure de théâtre.
Avant et après
« On ne peut pas lancer une classe préparatoire sans penser à ce qu’il y a avant et à ce qu’il y a après, souligne Virginie Demilier. Il faut développer un dispositif de cours qui, pendant une année, outille, donne de la légitimité, de la confiance, mais en définitive, le plus compliqué, c’est comment interpeller ces jeunes, nous qui sommes blancs, de milieux privilégiés et qui avons des pratiques qui n’ont pas encore beaucoup considéré d’autres corps, d’autres accents, d’autres histoires… »
La passerelle nécessaire vient des gens de terrain, ceux qui côtoient des jeunes au quotidien. Ilyas Mettioui est de ceux-là. Acteur (notamment dans La Cour des Grands, à voir à l’Atelier 210 en avril), auteur et metteur en scène ( Contrôle d’identité, Ouragan) formé à l’IAD, porteur avec Zoé Janssens des ateliers théâtre Boom à Bruxelles, il a été impliqué dans la réflexion sur cette classe et l’organisation des premiers stages – cinq lors de la saison 2020-2021, sept au printemps et à l’ été 2022, tous gratuits (1). Lui-même, à travers son parcours semé d’embûches, d’humiliations et d’entraide salvatrice, a pu expérimenter la distance qui , malgré les bonnes intentions, sépare les deux mondes que le projet de classe préparatoire entend relier. « J’étais le seul enfant d’immigrés dans ma classe à l’IAD et, clairement, il y avait, un fossé de représentations. C’est un serpent qui se mord la queue car chaque fois que tu vas au théâtre, il n’y a jamais personne qui te ressemble sur scène, tu ne t’identifies pas. Est-ce que tu te dis que tu as ta place là-dedans? Et puis, on peut entrer dans une école et mal s’y sentir parce que ça ne va que dans un sens: on essayera de t’adapter, toi, à l’école alors que l’école aussi doit faire un pas vers toi. J’ai l’impression que certains profs ne réalisaient même pas qu’il y avait un pas à faire. »
L’ après-classe préparatoire doit, lui aussi, être repensé. Ce qu’a pu remarquer Virginie Demilier face aux expériences françaises: « Une des difficultés, c’est que les jeunes, une fois admis dans l’école, peuvent s’y sentir complètement perdus, et abandonner après quelques mois. Il faut que les établissements soient conscients qu’ils ont tendance à prendre certaines références comme références uniques d’une compétence à jouer. » « Ce projet très prometteur pose beaucoup de questions dérangeantes, relève Ilyas Mettioui. Ce n’est pas seulement une façon de former des gens, c’est aussi un message adressé aux écoles existantes. En tant que praticien, c’est un de mes combats: j’ai besoin d’acteurs différents, d’autres univers, d’autres rencontres. Je suis fatigué de cet entre-soi social. » Pour l’heure, il prépare une nouvelle création, Ecume – Knokke-le-Zout (2), premier volet d’un triptyque dont le casting mélange joyeusement les générations, les origines et les expériences de vie. » Ecume, c’est une sorte de réflexion sur ce qui est déjà écrit, sur la possibilité de changer les choses ou pas. Est-ce qu’on a une marge d’action ou le futur est-il juste une continuation du passé? » Le sujet fait joliment écho à ce projet de classe qui contribuera à faire bouger les lignes.
(1) Infos: www.prepatheatre.be
(2) Ecume – Knokke-le-Zout,à l’Atelier 210, à Bruxelles, du 14 au 18 juin.
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