Débat: Droit passerelle, chômage temporaire… Faut-il prolonger les aides fédérales ou aller vers des mesures plus ciblées?
Les aides fédérales liées à la crise sanitaire ont été prolongées plusieurs fois. Faut-il mettre fin, le 30 septembre, au droit passerelle ou au chômage temporaire pour force majeure? Pour Geert Langenus et Stefan Van Parys, économistes au département des études de la Banque nationale de Belgique, il est temps d’opter pour des aides ciblées. Tout au plus.
Combien le chômage temporaire et le droit passerelle ont-ils coûté jusqu’ici à l’Etat fédéral?
Stefan Van Parys: Selon le rapport du comité de monitoring de juillet dernier, l’allocation de chômage temporaire a coûté 4 milliards d’euros en 2020 et 1,6 milliard en 2021. Pour le droit passerelle, les dépenses s’élèvent à 3,4 milliards en 2020 et à 2,4 milliards en 2021. Ces derniers mois, les conditions étaient déjà plus restrictives pour avoir accès à ces mesures de soutien. D’où la baisse observée, déjà avant l’été, du nombre de bénéficiaires mensuels.
Entre les contraintes budgétaires et la reprise économique, vous paraît-il opportun de mettre fin à ces mesures le 30 septembre?
Geert Langenus: Nous n’avions jamais connu un tel choc depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais le redressement a, lui aussi, été spectaculaire, et plus rapide que ce que l’on pensait. La résilience des investissements des entreprises et des ménages a été importante, tandis que les conséquences sur le marché du travail ont été plus limitées que prévu. L’impact structurel sur les chiffres économiques sera plus faible également. Pour 2021, on projette une croissance de 5,5%, ce qui devrait nous permettre d’atteindre le niveau pré-crise dès la fin de cette année. Par ailleurs, les contraintes budgétaires font que la Belgique ne peut plus se permettre d’arroser toute l’économie avec des milliards. Pour ces deux raisons, le moment est opportun. Une aide dédiée au pouvoir d’achat ne nous paraît pas non plus nécessaire: ce sont essentiellement les restrictions en place et la peur du virus, et non le pouvoir d’achat, en hausse durant la crise, qui limitent encore la consommation des ménages. Précisons que tous ces filets de sécurité ne disparaîtront pas nécessairement le 30 septembre: c’est leur accès facilité qui devrait prendre fin.
Comment les aides résiduelles devraient-elles être organisées?
G.L.: Il faudra toujours remplir certaines conditions pour bénéficier d’un soutien, notamment en matière de perte de chiffre d’affaires. Ce soutien doit idéalement cibler des entreprises, et non des secteurs, vu les disparités observées. Les résultats financiers d’un hôtel bruxellois ont été très différents de ceux d’un gîte à Durbuy. Mais il nous semble que le nombre d’entreprises à aider sera assez faible.
Une aide dédiée au pouvoir d’achat ne nous paraît pas nécessaire: ce sont essentiellement les restrictions en place et la peur du virus qui limitent encore la consommation des ménages.
Ne craignez-vous pas que les dommages pour l’économie et le marché du travail surviennent essentiellement après la fin des mesures de soutien?
G.L.: C’était effectivement l’une de nos hypothèses au début de la crise, mais il s’avère que l’impact négatif sur la croissance et le marché de travail sera beaucoup plus limité à long terme. D’une part, parce que la reprise économique a déjà mené à une réduction importante du nombre de chômeurs temporaires et de bénéficiaires du droit passerelle. Et d’autre part, parce que le nombre d’emplois vacants est pratiquement revenu au niveau d’avant-crise. Quand les mesures prendront fin, un grand nombre de travailleurs encore concernés par le chômage temporaire devraient pouvoir retrouver un emploi ailleurs. Bien qu’il ait particulièrement souffert de la crise, le secteur Horeca, par exemple, peine à retrouver des travailleurs pour le moment, puisque beaucoup d’entre eux ont déjà trouvé un travail ailleurs. Lors des premières enquêtes de l’Economic Risk Management Group (NDLR: un groupe de travail de crise coprésidé par le gouverneur de la BNB, Pierre Wunsch), on s’attendait à cent mille chômeurs supplémentaires en Belgique. Or, le chômage n’a finalement presque pas augmenté. Ni en 2021, ni même en 2020.
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Quid d’un risque accru de faillites sans les aides actuelles?
G.L.: Là aussi, on a avancé à un moment des projections ahurissantes de faillites dans certains secteurs. Mois après mois, ces chiffres se sont améliorés, même malgré la fin du moratoire, en janvier dernier. On avait évoqué un tsunami de faillites au début de la crise, mais il ne sera probablement même plus question d’une vague.
S.V.P.: D’autant que l’Etat et les Régions ont proposé des prêts aux entreprises avec des mécanismes de garanties. Or, les montants initialement prévus pour ces lignes budgétaires n’ont pas été entièrement dépensés. C’est bon signe pour l’économie. Ces prêts n’étant pas limités à cette année, ils pourront permettre aux entreprises bénéficiaires de s’organiser pour survivre sur le long terme.
L’hypothèse d’une nouvelle vague de Covid-19 ne peut être écartée. La Belgique a-t-elle encore les moyens de financer des mesures de soutien élargies?
G.L.: Dans le scénario du pire où la vaccination ne fonctionnerait pas suffisamment, la première question est de savoir si on peut encore se permettre de refermer notre économie comme on l’a fait au printemps 2020. Si on prend une telle décision, comme cela se passe en Australie, le gouvernement aura l’obligation de limiter les dégâts causés, mais avec des aides ciblées et limitant le risque de fraude.
L’Etat peut-il envisager le retour de la rigueur budgétaire en 2023, plutôt qu’en 2022, au risque de creuser encore la dette publique?
G.L.: L’année 2023 sera proche des élections. Or, c’est une période peu propice pour faire des économies. De notre point de vue, il faut remettre le train sur les rails. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit plus rien faire pour l’économie, comme en atteste le plan de relance.
S.V.P.: L’avis du Conseil supérieur des finances (NDLR: dont le gouverneur de la BNB est le président), en mars dernier, est toujours d’actualité. Il préconise de préparer des mesures d’assainissement structurelles produisant des effets dès 2022. Mais il est possible de les compenser par des mesures de relance, de manière à ce que les conséquences fiscales soient plutôt neutres l’année prochaine. Attendre une année de plus serait en revanche trop tard, vu l’agenda électoral.
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