Un an après le coup d’Etat, comment s’en sort la Birmanie?
Un an après le coup d’Etat du 1er février 2021 en Birmanie, les putschistes sont confrontés à une opposition qui s’élargit et à des partenaires économiques qui déguerpissent. Mais la Chine continue de leur apporter un soutien inconditionnel.
Le contexte
Le 21 janvier, TotalEnergies et Unocal-Chevron ont annoncé leur retrait de Birmanie. La compagnie française a invoqué « le contexte, qui ne cesse de se dégrader […] en matière de droits humains et plus généralement d’Etat de droit » pour justifier sa décision. Ce contexte, a-t-elle ajouté, « ne permet plus à TotalEnergies d’apporter une contribution positive suffisante dans ce pays ». Près d’un an après le putsch du 1er février 2021 qui a mis fin à une expérience démocratique controversée, la décision tardive des sociétés qui exploitaient le champ de gaz de Yadana depuis les années 1990 est un adjuvant pour l’opposition et une épreuve pour la junte.
Enjeu stratégique limité pour les Occidentaux et maillon protégé de la zone d’influence chinoise, la Birmanie ne participe pas à l’enfièvrement du monde sur fond de tensions entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine comme peuvent y contribuer les évolutions politiques et militaires en Ukraine et à Taïwan. Cette relative indifférence ne sert pas les militants démocrates qui s’opposent, depuis près d’un an, aux militaires responsables du coup d’Etat du 1er février 2021. En quelques questions-réponses clés, état des lieux d’un pays où avait émergé, il y a une dizaine d’années, un grand espoir de démocratisation.
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Le régime militaire est-il fragilisé?
Le général Min Aung Hlaing, commandement en chef de l’armée, a été le principal maître d’oeuvre du putsch du 1er février 2021. Il préside le Conseil administratif d’Etat (SAC) qui dirige de facto le pays et assume aussi la fonction de Premier ministre d’un gouvernement intérimaire qu’il a formé en août 2021. Après la dénonciation sans fondement de fraudes électorales lors des législatives du 8 novembre 2020 qui avaient vu le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), rafler une large majorité de parlementaires, les militaires ont dû recourir à une répression sanglante pour mater une contestation protéiforme composée de militants de la LND, d’aspirants au pluralisme, et de représentants des minorités ethniques. La répression, qui a culminé en février et mars 2021, aurait coûté la vie à 1 500 civils, dont 175 au moins à l’intérieur même des lieux de leur détention.
Le plus grand préjudice porté aux intérêts des militaires pourrait résider dans le retrait du pays des pétroliers TotalEnergies et Chevron.
La répression conjuguée au sentiment de trahison ressenti par nombre de Birmans face à la mascarade à laquelle aura finalement été réduite l’expérience de démocratisation menée avec Aung San Suu Kyi, qui partagea le pouvoir avec les militaires de 2016 à 2021, a accru la défiance envers une armée qui bénéficiait encore de l’aura de la lutte d’indépendance contre les Britanniques. Mais pas au point, sans doute, d’inspirer une révolution de palais ni de menacer son hégémonie. La force des militaires réside dans la société en vase clos qu’ils ont forgée, avec ses ramifications économiques et ses avantages sociaux. Un capitaine de l’armée birmane ayant fait défection depuis le coup d’Etat de 2021 explique au spécialiste de la Birmanie, Frédéric Debomy, qui rapporte ses propos dans son dernier livre Birmanie: la révolution de printemps (1) que « les trois quarts des troupes auraient quitté la Tatmadaw (NDLR: appellation de l’armée) si la sécurité de leurs familles n’avait pas été en jeu ».
Quels sont les atouts de l’opposition?
Deux organes symbolisent l’opposition démocratique au régime militaire. Le Conseil représentatif du Pyidaungsu Hluttaw (CRPH) est le parlement de l’ombre. Et le gouvernement d’unité nationale (GUN), son exécutif. Ils sont dominés par des responsables de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, héritage de l’élection volée de novembre 2020. Mais ils se sont aussi ouverts à d’autres composantes de la société birmane, dont des représentants de minorités ethniques.
Pour Frédéric Debomy, le rapprochement entre l’opposition démocratique et les groupes armés défenseurs des peuples minoritaires pourrait marquer un tournant dans la lutte contre l’armée. « Le putsch […] rebattit les cartes: le 20 février (2021), les dix signataires de l’accord de cessez-le-feu national (NDLR: conclu le 15 octobre 2015 avec les militaires au pouvoir) le dénoncèrent conjointement, condamnant la répression en cours et demandant la libération de l’ensemble des manifestants et des grévistes arrêtés. » Et le spécialiste de pronostiquer un possible « glissement d’un clivage ancien majorité birmane/minorités à un nouveau clivage Tatmadaw/population(s) résultant de la brutalité nouvelle avec laquelle [a été] traitée la majorité birmane, ce qui [a entraîné] chez elle une prise de conscience accrue des souffrances des minorités [jusqu’aux Rohingyas] », la minorité musulmane cible de nettoyages ethniques par l’armée en 2016 et 2017 dans une large indifférence de la communauté bamar dominante. Opposition démocratique et groupes ethniques armés comprendraient de mieux en mieux quel est leur ennemi commun: l’armée et le Conseil administratif de l’Etat. Mais cette évolution nouvelle a des limites, nuance Frédéric Debomy: d’importants mouvements armés, notamment ceux représentant les ethnies shan et wa, refusent de se rallier à ce front commun de l’opposition. L’attitude de l’United Wa State Army n’étonne pas: contrôlant un territoire quasiment autonome au nord-est de la Birmanie, elle est très liée à la Chine.
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Les pressions extérieures peuvent-elles peser sur le régime?
La Chine reste le meilleur allié des militaires birmans. Géopolitique oblige, elle a affiché à leur égard un soutien quasiment sans faille, d’autant que les contestataires s’en étaient pris à leurs intérêts dans le pays en incendiant quelques usines en février 2021. Elle s’oppose donc à toute mesure de rétorsion au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. La Russie a adopté la même attitude en tant que grand vendeur d’armements. Les pays de la région, divisés sur la condamnation de partenaires de longue date, sont restés attentistes. Au-delà des sanctions visant les responsables du recul de la démocratisation, les pays occidentaux ne se sont pas empressés d’agir.
La diplomatie autorisant peu de moyens d’action, le plus grand préjudice porté aux intérêts de Min Aung Hlaing et de sa clique pourrait résider dans le retrait du pays des pétroliers TotalEnergies et Chevron, après celui d’autres plus petites entreprises européennes. Ils y exploitaient le champ gazier de Yadana pour une production annuelle de six milliards de m3. Les compagnies française et américaine passeront le relais d’ici à six mois à leurs partenaires thaïlandais (la société PTTEP) et birman (la Myanmar oil and gas enterprise, MOGE, contrôlée par les militaires). Mais rien ne garantit que la première comblera la perte des quelque deux cents millions de dollars annuels versés à l’Etat par TotalEnergies et Chevron. Surtout, ce retrait privera Paris et Washington d’un prétexte pour sanctionner les opérateurs birmans du secteur et pour saisir l’occasion d’affaiblir plus substantiellement le régime militaire.
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