« Même sans nouvelles aventures, Tintin ne va pas disparaître »
Tintin doit-il reprendre du service ? Pour Alain Berenboom, l’avocat de Moulinsart, donner une suite aux grandes oeuvres littéraires n’a pas de sens.
L’avenir du petit reporter passe-t-il, tôt ou tard, par la reprise de ses aventures ?
Fanny Rodwell, héritière de l’oeuvre d’Hergé, a toujours dit qu’elle ne voulait pas aller contre la volonté exprimée par le dessinateur au milieu des années 1970. C’est respectable, car sur le plan financier elle aurait tout intérêt à autoriser la poursuite de la série. Les nouvelles aventures de Blake et Mortimer, vendues à des millions d’exemplaires depuis 1996, donnent une idée des tirages que pourraient atteindre de nouveaux albums de Tintin. Cela dit, même si ses aventures ne reprennent pas, le reporter ne va pas disparaître : comme celle des grands auteurs de la littérature française, l’oeuvre d’Hergé est éternelle. Mais il est vrai qu’elle s’adresse de moins en moins aux plus jeunes, alors que ma mère m’a fait découvrir les aventures de Tintin quand j’avais 5 ans.
Sur le principe, une relance de la série est-elle souhaitable ?
Personne n’imagine donner des suites aux grandes oeuvres littéraires. Qu’il s’agisse des romans de Flaubert ou d’ Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell, seul l’original compte. Les reprises, quand il y en a, sont des bouquins dépourvus d’intérêt et vite tombés dans l’oubli. Se glisser dans les bottes d’Alexandre Dumas serait ainsi du plus haut ridicule. Dans le domaine de la bande dessinée, les suites ne sont pas toujours des réussites et relèvent souvent d’une démarche commerciale. Beaucoup jugent médiocres les Bob et Bobette publiés après la mort de Willy Vandersteen. Dans le cas des Blake et Mortimer, le génie d’Edgar P. Jacobs tient au fait que son style et le cadre de ses histoires ont évolué, pour rester contemporains : rien de commun entre l’ambiance de guerre mondiale du Secret de l’Espadon, commencé en 1946, et le thème de la cybernétique développé dans Les Trois formules du professeur Sato, l’ultime épisode paru au début des années 1970. Les albums des nombreux repreneurs de la série ne respectent pas cette logique : tous se déroulent dans les années 1950 (NDLR : sauf deux des plus récents, situés dans les années 1940) et apparaissent comme des sous- Marque jaune.
Si Tintin sort un jour de sa retraite, quelle option choisiront les repreneurs ?
Comme Jacobs, Hergé collait magnifiquement à son époque : Le Lotus bleu, prépublié en 1934-1935, ou encore Les Picaros, paru en 1976, ont pour contexte les événements politiques de leur temps. Tintin au Tibet correspond à l’époque de la redécouverte du bouddhisme en Occident. Si Tintin reprenait un jour du service, ce qui ne sera sûrement pas le cas de mon vivant, la tentation serait forte, une fois de plus, d’imaginer des aventures vintage. Johan De Moor a procédé ainsi quand il a repris dans les années 1980 les histoires de Quick et Flupke d’Hergé, mais il est vrai que moderniser les aventures d’avant-guerre des gamins de Bruxelles aurait été absurde.
Tintin est-il un cas à part dans le petit monde de la BD classique franco-belge ?
Pas tout à fait : Gil Jourdan est également un héros sans postérité. Après la mort de Maurice Tillieux, en 1978, sa femme et ses filles, devenues propriétaires du personnage, ont refusé le projet des éditions Dupuis de faire reprendre la série. En octobre dernier, Dupuis a publié Les Bijoux de la Bégum, tome 1 de la série Atom Agency. Yann et Schwartz, les auteurs, l’ont conçu comme un Gil Jourdan : histoire policière du même genre, profil des trois héros similaire. Mais ils ont dû rebaptiser les membres de ce trio, faute d’avoir obtenu l’autorisation de reprendre les personnages de Tillieux.
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