Comment Macron l’Européen est servi par les crises (analyse)
Au-delà de ses grands discours, Emmanuel Macron a-t-il tenu ses promesses européennes? La guerre en Ukraine met-elle l’Union sur la voie de sa vision géopolitique? Comment ses adversaires à la présidentielle se positionnent-ils sur l’Europe?
Esplanade du Louvre, Paris, 7 mai 2017, 22 h 30. Emmanuel Macron, venu fêter sa victoire à la présidentielle devant des milliers de partisans, traverse la cour et rejoint la scène d’un pas solennel au son de L’Ode à la joie de Beethoven, l’hymne européen, diffusé plein pot. Un premier message, symbolique, apprécié par les europhiles de l’Hexagone et d’ailleurs. Contrairement à bon nombre d’autres figures actuelles et anciennes de la scène politique française, Macron n’a pas l’Europe honteuse. Au fil de son mandat, il a fait de son attachement à l’Union, vu comme le prolongement de son ambition pour la France, sa marque de fabrique.
Chaque dimension de l’action publique du président français intègre la perspective européenne. Il n’a jamais cédé à la tentation de faire de l’Europe un bouc émissaire. »
Eric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman.
Pour Eric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman et spécialiste de l’Europe, Emmanuel Macron a un positionnement non pas « proeuropéen », mais « européen ». Explication: « Chaque dimension de l’action publique du président français intègre la perspective européenne. Il n’a jamais cédé à la tentation de faire de l’Europe un bouc émissaire. Il ne lui a pas imputé ses difficultés internes, qui n’ont pas manqué durant son quinquennat, de la révolte des gilets jaunes à la contestation des restrictions sanitaires. Si, à l’inverse d’autres responsables politiques, il ne stigmatise pas les décisions de Bruxelles, c’est parce qu’il sait que ces mesures sont, en réalité, prises par les Etats membres et non par une entité fédérale. »
Cinq mois après son entrée à l’Elysée, il a dévoilé, dans un discours à la Sorbonne, son projet pour « refonder » l’Europe. Il a plaidé pour une Union « souveraine, unie et démocratique » et décliné des propositions pour aller vers plus d’intégration en matière de défense, d’ économie, de fiscalité, d’éducation, de politique migratoire. Son constat: l’Europe n’a « pas le choix » si elle veut exister face à la Chine et aux Etats-Unis – il ajouterait aujourd’hui la Russie – et résister à « l’obscurantisme » porté par les partis nationalistes.
Au terme de son quinquennat, Emmanuel Macron est jugé à l’aune de ce discours fondateur. Annoncer, comme il l’a fait le 26 septembre 2017, une « refondation » de l’Union, même accompagnée d’une feuille de route sur dix ans, crée une attente de résultats concrets. Alors que la France assume la présidence tournante du Conseil de l’Union depuis le 1er janvier 2022, bon nombre de dossiers attendent encore un aboutissement: taxe carbone aux frontières, régulation des grandes plateformes numériques, salaire minimal européen… Le point faible du président français est régulièrement pointé du doigt en Europe: l’homme est « moins bon maçon qu’architecte », il est plus brillant dans la formulation d’idées que dans la mise en oeuvre de projets. Son manque de patience et de lucidité expliquerait, selon certains analystes, les résistances observées dans plusieurs Etats membres. Le trop-plein d’ambition du président s’est révélé indigeste pour Angela Merkel, qui a reçu ses idées avec prudence.
Volontarisme ou arrogance?
« Dans un premier temps, Emmanuel Macron est venu au Conseil européen avec ses gros sabots, un comportement typique des présidents français, assure l’eurodéputé belge Philippe Lamberts, coprésident des Verts européens. Il a présenté ses idées et s’attendait à ce que ses homologues se mettent au garde à vous et s’exécutent. On a vu les limites de cette attitude. Il lui a fallu comprendre qu’un dirigeant européen n’a pas raison tout seul, qu’il doit négocier, accepter des compromis. » Eric Maurice complète: « Très « jupitérien » à l’échelon national, Macron a voulu s’imposer sur la scène européenne avec ce même volontarisme flamboyant, perçu parfois comme de l’arrogance. Les élections européennes de mai 2019 l’ont contraint à repartir, dès 2018, en campagne électorale. Avec, pour objectif, de casser la grande coalition entre conservateurs du PPE et socialistes du S&D, les deux formations en situation de monopole. Et d’imposer, à l’échelle européenne, sa force libérale-centriste et son agenda politique. »
Le responsable de la Fondation Robert Schuman poursuit: « Le président français a tout de même bénéficié d’un état de grâce. Ses principaux partenaires européens ont été soulagés, en pleine tourmente causée par le Brexit et la présidence antieuropéenne de Donald Trump, d’avoir comme interlocuteur à l’Elysée un européiste, et non l’eurosceptique Marine Le Pen, son adversaire au second tour de la présidentielle de 2017. Relevons aussi, en cette fin de quinquennat, qu’Emmanuel Macron, plus expérimenté, se montre plus sage, coopère plus spontanément avec ses partenaires. Il a pris la mesure des contraintes de fonctionnement de l’Union européenne. »
Philippe Lamberts répartit les candidats à la présidentielle de 2022 en trois catégories. D’abord, les européistes. Parmi eux, Emmanuel Macron, la socialiste Anne Hidalgo, qui plaide pour une « Europe forte » face, notamment, à la Russie, et l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, pour qui l’Europe est un « projet de civilisation ». Un Jadot que Lamberts, membre de la même formation européenne, égratigne: « Il ne s’est pas comporté en Européen lors du grand oral de Macron à Strasbourg, le 19 janvier dernier, à l’occasion du lancement de la présidence française du Conseil de l’Union. Son interpellation, qui relevait de la politique nationale, a suscité la polémique (NDLR: Jadot a été accusé, jusque dans son propre camp, de faire « un discours de campagne », qui n’avait pas sa place dans l’hémicycle européen).
A son crédit, son engagement en vue de faire adopter le plan de relance post-Covid, qui rompt avec la politique européenne d’austérité et de rigueur dont la Grèce a tant souffert. »
Marc Tarabella, eurodéputé socialiste belge.
La deuxième catégorie est celle des antieuropéens: les candidats d’extrême droite Marine Le Pen et Eric Zemmour. « Notez toutefois que la cheffe du Rassemblement national a renoncé à faire sortir la France de l’euro et que Zemmour assure qu’il n’est pas un adepte du Frexit. » Le troisième pôle est celui composé de candidats qualifiés par Lamberts d' »euroambigus« : l’insoumis Jean-Luc Mélenchon ne propose plus de « plan B » pour changer l’Union, mais une clause d’ opt-out (désengagement) pour se soustraire à certaines obligations européennes liées aux traités. Valérie Pécresse, la candidate LR (droite), appelle à « un sursaut » de l’Europe pour qu’elle sorte de sa « naïveté », mais « son parti a manifesté, notamment par la voix de Michel Barnier, ex-négociateur européen du Brexit, sa volonté de rejeter la primauté du droit européen ». « Si l’on additionne les forces d’extrême droite, d’extrême gauche et de droite, on voit que l’arc politique français est majoritairement euroréservé, voire eurohostile, partisan d’une simple coopération entre nations », déplore le député européen.
Cavalier seul avec Poutine
Marc Tarabella, eurodéputé socialiste belge, relève, lui aussi, qu’Emmanuel Macron l’Européen est « à la tête d’un pays largement eurodubitatif, voire eurosceptique. Le choix du président de brandir, en toute occasion, la bannière bleue aux douze étoiles ne manque donc pas de courage. A son crédit, j’ajoute son engagement en vue de faire adopter le plan de relance post-Covid, qui rompt avec la politique européenne d’austérité et de rigueur dont la Grèce a tant souffert. En revanche, en tant que progressiste, je reproche à Renew, le groupe centriste au Parlement européen, dont les élus macronistes constituent la plus forte délégation nationale, de voter souvent avec le PPE, la droite conservatrice, en matière économique et sociale. »
Philippe Lamberts décoche trois autres flèches au président français. La première est de format géopolitique: « Macron a trop longtemps joué cavalier seul face à Vladimir Poutine. Il a invité le maître du Kremlin sous les ors de Versailles, en mai 2017, et au fort de Brégançon, en août 2019. Il a cru qu’il parviendrait, en solo, à obtenir un « reset » de la relation Russie-Europe. Il a fallu attendre la séquence ultime, quand la menace d’une invasion russe de l’Ukraine s’est précisée, pour qu’il se décide à consulter les Allemands, les Polonais, les Baltes… Je ne reproche pas pour autant à Macron d’avoir été un médiateur impuissant, de ne pas avoir réussi à influencer Poutine. Personne ne serait parvenu à l’empêcher d’envahir l’Ukraine. »
La deuxième flèche de l’eurodéputé belge est verte: « Le bilan macronien en matière environnementale, compétence européenne, est désastreux. Il a planté un coup de poignard au projet de faire de l’Europe le leader mondial de la finance verte: il a orchestré un lobbying intensif sur Ursula von der Leyen pour que l’énergie nucléaire soit intégrée dans les énergies de transition. On m’assure qu’il a exercé sur elle un chantage, menaçant de saboter l’agenda du Green Deal si le nucléaire n’était pas inclus dans la taxonomie européenne. »
La troisième flèche est plus inattendue: « L’entourage de Macron vante son rôle décisif dans l’adoption, en juillet 2020, en pleine crise sanitaire, du plan de relance et du principe de la mutualisation des dettes, constate Lamberts. Ce plan est conforme aux souhaits du président français, mais Macron, en faisant la leçon à ses partenaires européens, a plus été un handicap qu’un atout dans la recherche d’un consensus entre les Vingt-Sept, comme l’a soufflé Charles Michel, le président du Conseil, à des proches. C’est surtout Angela Merkel, issue pourtant du camp adverse, celui des « pays frugaux », qui a aidé à la conclusion d’un accord à l’unanimité. Il en résulte aujourd’hui une mini-Union budgétaire à durée limitée, dont l’architecture est à mettre au crédit d’Ursula Ursula von der Leyen, aidée par Berlin et Paris. »
Le bilan d’Emmanuel Macron en matière environnementale, compétence européenne, est désastreux. »
Philippe Lamberts, eurodéputé belge, coprésident des Verts européens.
Pour l’eurodéputé PTB Marc Botenga, le plan de relance et la décision d’emprunter en commun sont de « grands pas en avant », mais le discours d’Emmanuel Macron sur « l’Europe qui protège » n’ a « pas été suivi d’une avancée de l’Europe sociale: l’octroi de fonds aux Etats membres aurait dû être conditionné par des garanties d’emploi, de non-délocalisation d’entreprises bénéficiaires… De même, le plan de refonte de l’espace Schengen proposé par Macron reste pour l’essentiel de la rhétorique. »
Renforcer la coopération militaire européenne
La gestion européenne de l’immigration n’a pas été rendue plus humaine, détaille Botenga: « Les opérations policières se sont accrues avec le renforcement de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. J’applaudis l’intention de Macron de refonder la relation avec l’ Afrique, mais ce New Deal économique et financier se double d’un refus de lever les brevets de laboratoires pharmaceutiques et d’autoriser les transferts de technologie. »
Après avoir tenté, tout au long de son quinquennat, de « vendre » à ses partenaires européens les concepts d’« autonomie stratégique » et de « souveraineté européenne », Emmanuel Macron les appelle, dans le contexte de la guerre russe en Ukraine, à renforcer la coopération militaire européenne. « Notre défense européenne doit franchir une nouvelle étape », a lancé la semaine dernière le président français, en annonçant la tenue d’un sommet des Vingt-Sept à Versailles ces 10 et 11 mars. Pour Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman, la guerre aux portes de l’Union rend plus pertinente que jamais la « Boussole stratégique », livre blanc appelé à définir les grandes orientations de la sécurité et de la défense européenne jusqu’en 2030.
« Cette boussole, dont l’adoption est prévue fin mars, sera plus explicite sur la menace russe que les textes préparatoires. Nos deux priorités stratégiques sont l’est de l’Europe et l’ Afrique. Encore faut-il se donner les moyens d’y répondre. Les sanctions économiques contre Moscou, insuffisantes, doivent être complétées par l’acquisition conjointe de capacités de défense, ce qu’Emmanuel Macron prône depuis son arrivée à l’Elysée. Les rivalités géopolitiques exigent de renforcer la cyberdéfense et la protection de nos moyens spatiaux. Les événements en Ukraine accéléreront la mise en oeuvre de la vision géopolitique de Macron, une victoire pour le président sortant. »
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