Pourquoi Macron se raccroche à l’image du général de Gaulle
Le président se raccroche à l’image du général rassembleur et souverainiste pour négocier au mieux le virage de l’après-Covid-19 et s’ouvrir la voie vers une réélection en 2022. Mais n’est pas de Gaulle qui veut.
Quatre-vingt ans après l’Appel du 18 juin à la résistance face à l’envahisseur allemand, 2020 est une » année de Gaulle » en France qui commémorera, en novembre, sa naissance il y 130 ans et sa mort voici un demi- siècle. L’image du général sauveur ne survit cependant pas que dans le souvenir. Elle imprègne encore le débat politique dans l’Hexagone.
Emmanuel Macron en a fait la démonstration en s’essayant depuis trois ans à un exercice jupitérien du pouvoir et en le mâtinant d’accents souverainistes depuis l’irruption de la plus grave crise sanitaire après la Seconde Guerre mondiale. A l’occasion de sa quatrième allocution consacrée aux conséquences de l’épidémie de coronavirus, le président, au-delà de la bonne nouvelle d’un déconfinement élargi, a appelé le dimanche 14 juin les Français à recouvrer la maîtrise de leur vie et de leur destin. En se donnant comme priorité de reconstruire » une économie forte, écologique, souveraine et solidaire » ou en promettant d’investir dans » l’indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole » du pays, il s’est inscrit dans la droite ligne de l’indépendance nationale défendue par le général de Gaulle. Mais en étendant son ambition de souveraineté à l’Europe, il s’en est écarté.
De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle se tient unie. » emmanuel macron
De même, sa promesse, à mille lieues de la pratique de son début de mandat, de redonner plus de libertés et de responsabilités aux élus locaux, aux responsables d’hôpitaux et d’universités, aux entrepreneurs, s’éloigne de la conception centralisatrice du fonctionnement de l’Etat privilégiée par le général. Ce qui a conduit le commentateur politique Alain Duhamel à affirmer, sur BFMTV, que l’Emmanuel Macron du » en même temps » avait réussi à faire du » gaullisme girondin « , en référence aux députés de l’Assemblée nationale tentés par une révolte fédéraliste du temps de la Révolution française.
Résistance et unité
Si Emmanuel Macron convoque le souvenir du général de Gaulle, ce n’est pas seulement parce que la commémoration de la Seconde Guerre mondiale le lui impose et que les présidents aiment à se confronter à ce monument de l’histoire de France. C’est aussi parce qu’en raviver la mémoire le sert dans la perspective de l’élection de 2022.
Le 17 mai, malgré les rigueurs du confinement, le fondateur de la République en marche s’astreint à un déplacement sur les terres de l’Aisne, dans le nord de la France, pour commémorer devant un public sélectionné la bataille de Montcornet. En 1940, le colonel de Gaulle y a engagé les hommes de sa 4e division cuirassée contre ceux de la 10e Panzerdivision de l’armée allemande. Combat inégal. Mais au moins, la défaite tricolore a-t-elle permis de ralentir l’avancée nazie. Surtout, l’officier de Gaulle y a puisé les ressources pour poursuivre le combat et se profiler comme celui qui deviendra le chef de la France libre. » Au moment même où l’ombre de la résignation et du renoncement s’étendait sur notre pays, l’esprit de la résistance se leva « , expose Emmanuel Macron lors de la cérémonie. » De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle sait son destin, quand elle se tient unie, quand elle cherche la voix de la cohésion au nom d’une certaine idée de la France qui nous rassemble par-delà les discordes alors devenues accessoires et les désaccords souvent trop vétilleux. »
Les dysfonctionnements de l’Etat
Dans la perspective d’une confrontation, à ce stade hypothèse la plus plausible, avec Marine Le Pen au second tour du scrutin présidentiel en 2022, Emmanuel Macron gagne à s’inspirer du général de Gaulle pour se forger une image de rassembleur, qu’il n’a pas nourrie au cours des trois premières années de son mandat, alors que la cheffe du… Rassemblement national garde l’étiquette d’une personnalité encore plus clivante. Et en inscrivant son action dans la continuité de la philosophie du général, il renvoie de façon subliminale sa rivale préférée dans le camp du maréchal Pétain et de la France honteuse.
Mais le parallélisme avec l’action de Charles de Gaulle peut s’avérer aussi dangereux. Ainsi quand le président Macron vante l’esprit de résistance né à Montcornet, le président de la région des Hauts-de-France et candidat potentiel à la présidentielle de 2022, Xavier Bertrand, dresse, entre l’entame de la guerre 40-45 et la crise sanitaire actuelle, des analogies qui font mal au pouvoir. » Que nous enseigne mai 1940 ? » s’interroge l’ancien ministre des Républicains dans une tribune au Journal du dimanche. » D’abord, face à la menace, l’Etat n’était pas prêt. Il n’avait pas les équipements nécessaires : les avions manquaient. Pire, le gouvernement de passage avait menti à la population crédule, leur laissant croire que la France attendait l’ennemi de pied ferme. (…) Lorsque le conflit éclata, nous avons pris les mauvaises décisions. (…) L’Etat avait cessé de penser et donc d’exister. » A quelle France pense ce dirigeant de région, réputé efficace ? A celle de 1940 désarmée face aux belliqueux Allemands ou à celle de 2020 démunie face au pernicieux coronavirus ? Et si Emmanuel Macron n’avait pas encore compris l’allusion, Xavier Bertrand se montre un peu plus explicite : » De Gaulle nous apprend aussi en mai 1940 ce que doit être un chef. Un chef ne doit pas parler en permanence, à tort et à travers. Il doit mener son pays d’une main ferme sans se préoccuper de sa popularité. »
Autoflagellation et autosatisfaction
Pour le président, la gestion de la crise sanitaire par la France ne mérite pas pareille autoflagellation. » Nous avons bien fait « , a-t-il assuré lors de son intervention du 14 juin avec une assurance que beaucoup ont moquée et que le quotidien Libération a résumée en titrant » Macron félicite Macron « . Cet excès d’autosatisfaction découle de la volonté d’un chef d’Etat qui veut réinsuffler une dose d’optimisme à une population qui en exprime si peu. Mais ce n’est pas gagné. Dans Charles de Gaulle : Un rebelle habité par l’histoire (Gallimard, 128 p.), l’historien Michel Winock explique que le général incarne trois figures emblématiques aux yeux des Français : le sauveur, le rassembleur et le grand législateur. Pour Jean Garrigues, le président du Comité d’histoire parlementaire et politique, Emmanuel Macron ne peut revendiquer aucune de ces vertus. La défiance envers le personnel politique a atteint des niveaux inégalés en France et elle se cristallise sur la personne du président, comme l’a amplement prouvé la révolte des gilets jaunes à l’automne 2019.
La chance de Macron réside dans l’incapacité des autres partis à faire émerger un candidat crédible.
La chance d’Emmanuel Macron réside dans l’incapacité des autres formations politiques à faire émerger un candidat crédible à la présidentielle et, corollairement, dans la réduction de la course à un duel avec Marine Le Pen. L’historien Jean Garrigues la voit en effet irrémédiablement entravée par le plafond de verre qui frappe tout candidat d’extrême droite, même si elle peut faire prévaloir, par rapport à ses adversaires, l’avantage de la virginité du pouvoir.
Dans ce contexte, à condition que le gouvernement parvienne à surmonter tant bien que mal les affres de la crise sociale et économique qui se déploie, le seul spectre qui hante sérieusement les résidents de l’Elysée aujourd’hui en vue de la présidentielle est celui d’une candidature surprise, rebattant les cartes à la manière d’un Christophe Mercier, le professeur blogueur candidat de la France en colère dans la série Baron noir. La menace d’un humoriste populaire et populiste comme Jean-Marie Bigard n’est pas très crédible. L’est plus celle d’une personnalité du style du souverainiste Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées poussé à la démission en 2017 par Macron. Le président sortant aurait alors eu raison d’engranger les leçons de vie politique d’un général pour éviter de devoir en affronter un autre.
L’appel du 18 juin
Dans Charles de Gaulle : Un rebelle habité par l’histoire (Gallimard, 128 p.) l’historien Michel Winock rappelle le contexte dans lequel cet officier encore peu connu de ses concitoyens lance le signal de la résistance à l’ennemi le 18 juin 1940. » En France, le maréchal Pétain a lancé sur les ondes un ordre honteux : « C’est le coeur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat », alors même que l’armistice n’est pas signé. De Gaulle, incontinent, décide de lancer un appel le lendemain sur les ondes de la BBC ; il s’agit pour lui de « sauver l’honneur de la France ». Il écrit le texte de son appel le matin du 18 juin, mais il est repoussé par les autorités britanniques qui, dans l’attente des conditions de l’armistice, croient devoir garder le lien avec le gouvernement de Bordeaux (NDLR : dirigé par Paul Reynaud qui a démissionné le 16 juin et a été remplacé par Pétain). Le sort de la marine française est devenu le principal enjeu : il importe qu’elle ne tombe pas aux mains des Allemands. Spears (NDLR : Edward Spears, représentant personnel du Premier ministre britannique en France), cependant, finit par convaincre Churchill de laisser de Gaulle prononcer son discours. L’Appel est ainsi diffusé le 18 juin à 22 heures, à la fois sur ondes courtes, ondes moyennes et grandes ondes. (Il s’achève par) un cri de guerre : « La flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas » « .
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