Les variants du Covid: les certitudes et les inquiétudes (décryptage)
Particulièrement contagieux, les variants britannique et sud-africain du coronavirus se propagent. Et inquiètent les autorités sanitaires européennes.
Une drôle de bataille est en train de se jouer contre l’épidémie de coronavirus. Les indicateurs semblent rester stables. Pas de quoi s’affoler, en théorie. Pourtant, les experts guettent avec inquiétude les semaines à venir. Il y a urgence, disent-ils. Désormais, deux dynamiques épidémiques se superposent: celle du Sras-CoV-2 « ancien » et celle des nouveaux variants. Or, les mesures mises en place pour contrôler le premier risquent de ne pas être suffisantes pour maîtriser le second. Décryptage.
Des versions plus contagieuses?
Trois variants ont, pour l’instant, été repérés: le britannique, le sud-africain et le brésilien. Les trois présentent la même mutation génétique, qui implique la protéine de spicule, celle-là même qui permet au virus de pénétrer dans l’organisme en se fixant sur l’enzyme ACE 2: la N501Y, connue pour augmenter nettement l’affinité, c’est-à-dire la liaison chimique, entre le virus et les cellules humaines. Ce qui favorise l’infection.
Le mutant britannique, nommé « VoC202012/01 », montre une plus grande transmissibilité. La preuve définitive n’est pas encore faite, mais de très nombreux indices appuient cette hypothèse. Des travaux conduits, sur la base de modélisations, par plusieurs équipes de chercheurs ont conclu que cette déclinaison du virus est de 50% à 70% plus contagieuse que la majorité des Sras-CoV-2 en circulation depuis le début de la pandémie. Ils pointent également sa dynamique. Bien qu’ici également, les experts manquent de données, il semble que le variant britannique contribue à augmenter le taux de reproduction (RO), soit le nombre de personnes contaminées par un sujet infectieux. Ce clone pourrait à lui seul augmenter le RO de 0,4 à 0,7 point par rapport au virus habituel.
La maîtrise du temps fait partie des meilleures armes.
En revanche, ce variant ne semble pas plus létal, c’est-à-dire qu’il ne provoquerait pas des formes plus sévères de la maladie ni un plus grand nombre de morts pour une quantité égale de personnes infectées. Mais un virus plus contagieux peut se montrer plus méchant qu’un virus plus mortel. C’est tout simplement mathématique. La létalité se fonde sur une logique proportionnelle. Ainsi, un taux de létalité multiplié par deux conduit à un doublement du nombre de décès. Néanmoins, cette hausse demeure constante dans le temps. En revanche, la contagiosité, mesurée par le RO, repose sur une logique exponentielle. Ici, il ne s’agit pas d’une augmentation unique, mais multiple. Pour la Covid-19, si son RO (évalué à 3) double, 1 000 personnes n’en contaminent plus 3.000, mais 6.000 ; puis ces 6.000 en infectent 36.000, etc. Bref, chaque individu infecté contamine à son tour davantage de personnes. D’où, plus d’hospitalisations et plus de décès. D’où, aussi, le risque d’une nouvelle saturation de l’appareil hospitalier: c’est là surtout que se situe le potentiel danger du mutant britannique.
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Celui d’Afrique du Sud, dit « 501Y.V2 », se révèle également plus contagieux et peut-être le plus préoccupant. Repéré en octobre en Afrique du Sud, où il est devenu dominant, ce variant est moins bien connu par les scientifiques. Lui aussi recèle une constellation de mutations, dont N501Y, mais il présente, de surcroît, une mutation, E484K, qui semble le rendre moins sensible aux anticorps que produisent les vaccins.
Cette mutation s’affiche aussi sur une lignée apparue au Brésil, baptisée « 501Y.V3, et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie d’« inquiétante ».
Le variant britannique est-il plus contagieux chez les jeunes?
Les premières études de l’Imperial College, le comité scientifique consulté par le gouvernement britannique, ont mis en évidence une surreprésentation de près de 25% chez les moins de 19 ans parmi les contaminés, comparativement aux autres variants. Plus contagieux chez tous les sujets, il y a « mécaniquement » davantage de jeunes atteints par le variant, qui infectent alors davantage de personnes, dans leur entourage et à l’école. « Il faut se rappeler dans quel contexte l’Angleterre se trouvait quand ce variant a commencé à se répandre en décembre, explique Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral. Le pays était confiné mais les écoles étaient ouvertes. De fait, elles étaient les seuls lieux où une transmission importante pouvait se produire. » On n’exclut pas un biais épidémiologique, plutôt qu’une plus grande susceptibilité des jeunes: l’échantillon, issu de la veille épidémiologique, pourrait ne pas être représentatif sur la période considérée. En d’autres termes, la population testée alors était surtout celle des moins de 60 ans. Autre hypothèse: les jeunes pourraient présenter des symptômes plus apparents avec ce variant, les poussant à se faire davantage tester. Pour trancher, des comparaisons internationales pourraient être riches d’enseignements. Ainsi, que se passe-t-il dans les pays où les mesures sanitaires sont appliquées différemment, par exemple, dans les pays où s’appliquent un confinement et une fermeture des établissements scolaires?
Enfin, ce dont les experts sont sûrs, c’est que les enfants développent très rarement des formes graves. On sait aussi que leur taux d’infection et les niveaux de charge virale semblent équivalents à ceux des adultes.
Les variants pourraient-ils affecter l’efficacité des vaccins?
BioNTech et Pfizer ont rapidement assuré que leur vaccin était efficace contre la mutation N501Y commune aux variants britannique, sud- africain et brésilien. En revanche, ils se montrent plus prudents sur l’autre mutation, E484K, puisqu’ils ne l’ont pas testée. Optimiste, Moderna affirme, elle, ne pas douter de l’efficacité de son vaccin contre les variants britannique et sud-africain. D’abord parce que son vaccin produit non pas un seul anticorps, mais plusieurs dizaines. Ensuite, des analyses bioinformatiques confirmeraient l’efficacité de son produit sur les deux variants. Des vérifications sont, cependant, en cours.
L’incertitude demeure, donc, quant à la mutation E484K. Plusieurs chercheurs estiment que cette mutation pourrait diminuer l’efficacité du vaccin, sans la compromettre entièrement. Il faudrait pour cela qu’aucun anticorps ne reconnaisse la protéine S. « Si E484K empêche l’action de certains anticorps, d’autres, qui se fixent à d’autres points de la protéine, continuent par contre à neutraliser le virus », avance Muriel Moser, chercheuse et professeure d’immunologie à l’ULB, qui rappelle par ailleurs que les anticorps ne sont qu’une composante de la défense immunitaire. En parallèle, il existe les lymphocytes B (producteurs d’anticorps, dont une partie est stockée pour réagir plus vite en cas de réinfection) et, surtout, les lymphocytes T (soldats de l’immunité, produits dans la moelle osseuse, qui tuent les cellules infectées). A la différence d’une infection naturelle, qui peut entraîner une réponse immunitaire décalée et ralentie, le vaccin, lui, est conçu pour assurer une immunité globale. Jusqu’ici, on ignore encore si, précisément, les lymphocytes T demeurent efficaces contre les variants.
Chez Moderna comme chez Pfizer, en tout cas, on assure se préparer à « l’éventualité qu’une future mutation pourrait nécessiter un changement de souche vaccinale ». Théoriquement, « la flexibilité de la technologie de l’ARN messager permet de faciliter une telle mise à jour », et ce en six semaines. Encore faut-il assurer leur production à l’échelle mondiale.
L’immunité collective devra être revue à la hausse
Jusqu’ici, les autorités politiques et sanitaires espéraient immuniser au moins 70% de la population. Ce chiffre se base sur le RO du virus, estimé à 3, et sachant que 1.000 personnes en contaminent 3.000, 3.000 en contaminent 9.000, etc., selon la logique épidémique exponentielle.
D’où ce calcul: si la moitié des individus sont immunisés, 1.000 n’en contaminent plus 3.000, mais 1.500. Et si on atteint 70%, 1.000 personnes en contaminent un peu moins de 1.000. Le RO passe en dessous de 1 ; un sujet infectieux ne contamine pas plus d’une personne. Or, dans l’hypothèse où les variants nettement plus contagieux, augmentent à eux seuls le RO du virus, il faudra sans doute immuniser davantage d’individus. Combien? Charlotte Martin, virologue et cheffe de clinique au CHU Saint-Pierre, évoque « jusqu’à 80% » – pour la diphtérie, c’est 85% de la population, pour la rougeole, le seuil est beaucoup plus élevé, soit 94%. Ce qui soulève, encore une fois, des questions en termes de production et de déploiement des vaccins ainsi que d’adhésion à la campagne de vaccination.
Pour contrer les nouveaux variants, faut-il renoncer aux masques en tissu?
Les modes de transmission n’ont pas changé, mais le virus se révèle plus transmissible et sa charge virale, plus importante. Un sujet infecté est, donc, lui aussi plus contagieux et devrait donc porter un masque à plus fort pouvoir filtrant. Ce qui reviendrait à abandonner les masques en tissu, à l’image des Autrichiens et des Bavarois, qui doivent désormais porter le masque FPP2, filtrant 94% des aérosols, dans les transports communs et les commerces? Le masque chirurgical simple, lui, permet d’éviter de projeter de gouttelettes émises par celui qui porte le masque. A l’inverse, il ne protège pas contre l’inhalation de gouttelettes en suspension dans l’air. Même principe pour le masque en tissu, mais moins fiable que le masque chirurgical.
C’est surtout ce dernier qui se trouve dans le viseur. Ainsi, parmi les experts, c’est l’inquiétude du moment. Plusieurs d’entre eux, dont Yves Coppieters, épidémiologiste à l’ULB, et Emmanuel André, microbiologiste à la KULeuven, recommandent publiquement de ne plus porter de masques artisanaux et en tissu lavable, du moins, dans certains lieux.
Ils veulent, en tout cas, une réponse rapide. « La maîtrise du temps fait partie des meilleures armes », conclut Marius Gilbert, épidémiologiste à l’ULB.
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