Polexit : « Les élites européennes se sont de plus en plus tournées vers des idées de gauche radicale » (entretien)
Professeur d’histoire romaine à l’ULB, installé à Varsovie, David Engels défend le bon droit du gouvernement polonais face à « des élites européennes qui se sont tournées de plus en plus vers des idées de gauche radicale ».
David Engels est professeur d’histoire romaine à l’ULB et professeur de recherche à l’Instytut Zachodni de Varsovie, un institut gouvernemental spécialisé dans l’étude des relations entre la Pologne et l’Europe occidentale.
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La décision du tribunal constitutionnel polonais traduit-elle clairement la primauté du droit polonais sur le droit européen?
Qu’une cour constitutionnelle considère que des décisions européennes soient « ultra vires » (NDLR: expression technique juridique signifiant un dépassement de compétences) n’est pas nouveau ; encore récemment, l’ Allemagne a douté de la légalité des mesures financières de la Banque centrale européenne. Ce qui motive réellement la Pologne dans son choix est le constat que les instances européennes sont aujourd’hui dominées par un activisme idéologique de gauche se manifestant dans la tendance de la Cour de justice de l’Union européenne à instrumentaliser des termes assez vagues comme « tolérance », « diversité », « Etat de droit » ou « protection des minorités » dans un sens de plus en plus contraire aux valeurs des pères fondateurs de l’Europe et entrant en collision directe avec la Constitution polonaise.
Si ce conflit de valeurs devait perdurer, la Pologne pourrait bel et bien être forcée de suivre l’exemple du Royaume-Uni.u0022
David Engels, professeur d’histoire romaine de l’ULB, installu0026#xE9; u0026#xE0; Varsovie.
A l’origine des tensions entre l’Union européenne et la Pologne, figure la réforme de la justice du gouvernement. Ne traduit-elle pas la volonté du Parti droit et justice de restreindre la liberté des juges?
Le gouvernement de gauche libérale de Donald Tusk (NDLR: Premier ministre de novembre 2007 à septembre 2014) avait désigné à l’avance les successeurs des juges constitutionnels devant prendre leur retraite durant la législature suivante. Une série de scandales lui a fait perdre la majorité, et le peuple a élu le gouvernement actuel qui a revendiqué le droit de procéder lui-même à ces nominations. Cela a conduit à un dédoublement temporaire de certaines fonctions judiciaires, à des dissensions politiques internes au sein des juges, à des tentatives du gouvernement de rectifier la situation par une série de lois, et au conflit avec l’Union européenne, mettant désormais en cause le lien entre le droit polonais et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pourtant, la réforme judiciaire a seulement tenté de limiter l’activité politique des juges et de renforcer le droit du Parlement à avoir son mot à dire dans la composition de la haute magistrature, comme c’est d’ailleurs le cas dans de nombreux autres pays occidentaux, notamment en Allemagne. Dans la pratique, ces mesures ont entraîné l’affaiblissement de certains juges ayant des sympathies pour la gauche au profit de nouveaux juges nommés par la majorité conservatrice. Cela a déstabilisé certaines cliques influentes remontant souvent à l’ époque communiste, de sorte que la réforme judiciaire a été violemment combattue par l’opposition qui, sous la houlette de Donald Tusk, ayant été président du Conseil européen, jouit d’une influence considérable à Bruxelles et à Berlin.
La Pologne peut-elle rester dans l’Union européenne tout en n’en respectant pas les règles, en l’occurrence en ne reconnaissant pas les arrêts de sa Cour de justice?
Le problème, c’est que ce sont justement les instances européennes qui ont changé les règles du jeu en cours de route. Lorsque la Pologne a rejoint l’Union européenne, elle était convaincue que ce projet reposait sur le respect d’institutions fondamentales telles que la famille classique, la propriété privée, l’identité nationale ou la civilisation occidentale. Mais les élites européennes se sont de plus en plus tournées vers des idées de gauche radicale telles que le multiculturalisme, la théorie du genre, l’idéologie LGBTQI+, le mondialisme ou une économie basée sur la dette, imposées indirectement et sans possibilité de recours par la CJUE comme cadre juridique à tous les Etats membres. Si ce conflit de valeurs devait perdurer, la Pologne pourrait bel et bien être forcée de suivre l’exemple du Royaume-Uni.
Quel effet pourrait avoir des sanctions de l’Union européenne? Un ralliement accru au Parti droit et justice, au pouvoir, sur le mode de la « forteresse assiégée », ou une désaffection à son égard en vertu de l’attachement proeuropéen d’une majorité de Polonais?
Difficile à dire. En tout cas, déjà maintenant, les résultats de cette prise en otage de la population polonaise par les institutions européennes dans le but ouvert de faire tomber un gouvernement régulièrement confirmé par des élections libres et dont la politique correspond à peu près à ce que la démocratie chrétienne européenne a considéré comme normal pendant des décennies sont désastreux. Car ils aliènent du projet européen de nombreux conservateurs non seulement en Pologne, mais partout sur le continent.
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