Les bons et les mauvais migrants: le Vlaams Belang face aux réfugiés ukrainiens (analyse)
Toujours très actif sur la thématique de l’immigration, le Vlaams Belang s’est d’abord montré discret sur la question de l’accueil des réfugiés ukrainiens. Avant de trouver un angle qui sert son discours ethno-centriste: les Ukrainiens, eux, sont de culture européenne. Donc on peut les aider…
La position du Vlaams Belang sur les réfugiés venus d’Ukraine a quelque chose du sketch des Inconnus sur les chasseurs, sauf qu’ici ce sont des chassés. Il y a les bons et les mauvais. Mais quand on essaie d’expliquer ce qui les distingue, on s’embrouille pas mal. « Y a le mauvais chasseur: y voit un truc qui bouge, y tire. Le bon chasseur, lui, y voit un truc qui bouge, y tire. » Alors, il vaut mieux ne pas s’appesantir sur le sujet, et parler d’autre chose, jusqu’au moment où on trouve quelque chose à dire.
Le parti nationaliste flamand, pourtant toujours très investi dans une communication pétaradante et historiquement fort préoccupé par les migrations, s’est d’abord montré fort taiseux sur la situation en Ukraine: ses amitiés passées pour la Russie de Poutine lui imposaient une pudique réserve. L’ouverture forcée des frontières et la sympathie générale pour les Ukrainiens en fuite forcèrent d’abord les bruyants « belangers » à la discrétion. Depuis l’agression russe du 24 février, le Vlaams Belang, pourtant un des partis les plus dépensiers en réclames sur les réseaux sociaux, a financé, pour sa page Facebook générale, la diffusion de vingt-quatre publications au total. Seules quatre d’entre elles évoquaient l’accueil des réfugiés ukrainiens, ou l’Ukraine en général, et elles étaient plutôt chichement payées. C’est beaucoup moins que les publications sur le prix de l’énergie (treize des vingt-quatre concernaient ce sujet).
Nous trouvons courageux que le peuple ukrainien s’oppose à l’agresseur Poutine. Quelle différence avec la Syrie et l’Afghanistan, où là, les jeunes hommes se sont enfuis! » Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang.
En outre, leur diffusion a été fort tardive: la première publication sponsorisée concernant l’Ukraine date du 10 mars, soit deux semaines après le début de l’offensive russe. Elle ne porte pas vraiment sur l’accueil des réfugiés: dans une courte vidéo, le président Tom Van Grieken promeut une action de solidarité organisée par son parti, par laquelle un camion rempli de denrées et de biens de première nécessité s’en irait à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne pour aider les personnes qui s’y trouvent.
Réaction discrète et tardive, couplée à un engagement modeste: telle serait la ligne de l’extrême droite au début de cette crise migratoire. Et peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles, pour la première fois depuis les élections de 2019, le Vlaams Belang n’est pas sorti vainqueur d’un sondage: la N-VA lui a repris la primauté flamande, dans la marge d’erreur de l’enquête Le Soir-RTL, certes (23,4% contre 22,2%), mais l’extrême droite retrouvait une deuxième place à laquelle elle n’était pas habituée.
« Pas comme les Syriens et les Afghans »
Mais on ne peut pas toujours se taire. Il fallait donc réagir et, pour réagir, il fallait se trouver un angle. Les questions migratoires sont vitales pour le Belang. « 57,1% des transferts de la N-VA vers le VB ont cité l’immigration comme le problème le plus important (de loin le problème le plus important parmi les personnes qui ont changé de parti), contre « seulement » 33,9% de ceux qui sont restés fidèles à la N-VA (cela reste le problème le plus important des personnes qui restent). Sur l’ensemble des électeurs du VB en 2019, 53% mentionnent l’immigration comme le problème le plus important », peut-on par exemple lire dans Les Belges haussent leur voix. Une analyse des comportements électoraux du 26 mai 2019 (Presses universitaires de Louvain), la grande enquête pré- et postélectorale menée par un consortium rassemblant la plupart des universités du pays.
Cet angle, que renforceraient les communications suivantes, a été expérimenté pour la première fois par Tom Van Grieken, le 2 mars, à la Chambre. Il s’agirait de distinguer les bons migrants, européens, temporaires – les bonnes migrantes, en fait, surtout, femmes et enfants d’un peuple de mâles courageux – et les mauvais migrants. Non européens, musulmans, mâles et puis assez lâches. C’est pour ça que le président du Vlaams Belang, député fédéral de la circonscription d’Anvers, assistait, ce mercredi-là, aux débats de la commission réunie des Relations extérieurs, de la Défense nationale et de l’Intérieur, de la Sécurité, des Migrations et des Matières administratives. Toutes les pointures du gouvernement s’y trouvaient, Alexander De Croo, Sophie Wilmès (Affaires étrangères), Ludivine Dedonder (Défense) et Sammy Mahdi (Asile et Migration), pour préciser la position de la Belgique dans ce moment tragique. Et c’est ainsi que Tom Van Grieken interpella pour commencer le Premier ministre: en faisant la distinction entre les bons et les mauvais migrants. « Laissez-moi d’abord souligner une fois de plus combien nous sommes solidaires, et combien nous trouvons courageux que le peuple ukrainien s’oppose à l’agresseur Poutine », commença-t-il, avant de placer l’angle distinctif: « Quelle différence avec la Syrie et l’Afghanistan, où là, les jeunes hommes se sont enfuis! »
La comparaison, d’un point de vue de logique formelle, entre un pays victime d’une agression extérieure et une population écrasée par une dictature et une guerre civile, n’a aucun sens.
« Hotel Belgica »
Mais elle aide le président à remettre le pot (extrême) droit entre ceux qui méritent et ceux qui profitent, et entre ceux qui sont Européens et ceux qui ne le sont pas. Donc entre ceux qui ne sont pas musulmans et ceux qui le sont. D’ailleurs, poursuivant son interpellation en s’adressant à Sammy Mahdi, Tom Van Grieken la conclut en approfondissant la différence. « Vous n’avez pas de places pour accueillir un peuple européen frère. Votre gouvernement est face à un choix: allez-vous continuer à jouer »Hotel Belgica » pour le monde entier, ou allez-vous ouvrir votre coeur et nos frontières à un peuple frère courageux en difficulté? J’espère que les courageux Ukrainiens qui sont en fuite pourront trouver une place ici. Il faut de strictes garanties sur les mesures d’exception: elles ne peuvent servir qu’aux Ukrainiens, pas pour accueillir ici le monde entier. »
Trouvez-vous normal que les Ukrainiens restent dans le froid tandis que nous remplissons nos capacités d’accueil de fraudeurs et de violents? »
Dries Van Langenhove, député Vlaams Belang.
Cette position a deux avantages pour le Vlaams Belang. Elle le montre ouvert, dans un moment où s’exprime une large solidarité, d’abord, et elle lui donne, ensuite, en creux, l’occasion de parvenir néanmoins à parler d’Islam, ressort implicite ou explicite de toutes ses sorties sur l’immigration, et de toutes ses protestations sur la défense de l’identité européenne. « Le président du parti qui a pu augmenter le plus fortement son score électoral, Tom Van Grieken du VB, a présenté les résultats comme une condamnation claire de la population flamande du cordon sanitaire autour de son parti, et a également souligné l’importance de la question de l’immigration, dans le contexte de la crise des réfugiés, souvent présentée comme une invasion massive et inédite des populations islamiques, les décrivant comme des réfugiés économiques (« chercheurs d’or » à la recherche d’un meilleur avenir matériel), et s’inquiétant de l’islamisation rampante de la culture européenne », rappelait-on encore dans Les Belges haussent leurs voix.
Et depuis ce 2 mars, toutes les interventions, médiatiques et parlementaires, des mandataires du Vlaams Belang portent cette distinction fondatrice. Quelques jours après, en séance plénière de la Chambre, le député Dries Van Langenhove s’énervait contre certains Marocains et Irakiens qui voudraient se faire frauduleusement passer pour Ukrainiens. Et, commentant une bagarre ayant opposé, dans un centre d’accueil, des migrants afghans et des migrants palestiniens, il interpellait Sammy Mahdi: « Trouvez-vous normal que les Ukrainiens restent dans le froid tandis que nous remplissons nos capacités d’accueil de fraudeurs et de violents? » Le 9 mars, sur la page Facebook du parti, un sondage était lancé (et sponsorisé): le secrétaire d’Etat devait-il « faire de la place dans les centres d’asile pour accueillir les réfugiés de guerre ukrainiens? »: 84% des milliers de répondants trouvaient que oui. C’est une variation de l’argument « et nos SDF? », sorti lors des précédentes crises de l’asile, lorsque ceux qui y postulaient n’étaient pas Européens: les bons migrants mériteraient bien notre aide, les mauvais beaucoup moins.
L’électeur flamand du Belang était, en 2019, un électeur inquiet. Toujours selon Les Belges haussent leur voix, il était, après celui de la N-VA, le plus persuadé que « les immigrés non européens doivent s’adapter à la culture européenne« . Pas la culture belge, ni la culture flamande. Il devra ainsi pouvoir encaisser un moment de solidarité pour quelques milliers d’immigrés européens, surtout si elle permet d’éviter que ceux qui viennent de plus loin n’en profitent pas.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici