Le monde idéal de  » M. Patagonia « 

Yvon Chouinard, fondateur de la marque d’outdoor suit sa voie depuis quarante-cinq ans : priorité à l’environnement. Rencontre avec un patron éco-responsable.

Chaussures de marche, jean vieilli et polaire Patagonia. Voici Yvon Chouinard, 71 ans, citoyen américain grimpeur et surfeur par passion, fondateur de la marque d’outdoor, patron presque malgré lui – 1 200 salariés, 315 millions de dollars de chiffre d’affaires. Militant incessant de la cause environnementale (il y consacre la moitié de son salaire), il est l’auteur d’un livre, traduit en neuf langues, au titre explicite : Let My People Go Surfing. Précepte qu’il s’applique à lui-même : il n’a pas mis les pieds à Ventura, le siège californien de l’entreprise, depuis mai dernier, partageant son temps entre le surf et la pêche à la mouche, dans les coins les plus reculés de la planète. Le Vif/L’Express l’a rencontré.

Le Vif/L’Express : Comment va Patagonia ?

– Yvon Chouinard : Nous venons de faire deux des meilleures années que la société ait connues depuis longtemps ! L’an dernier, nos ventes ont augmenté de 10 %, pour 3 à 5 % traditionnellement, car nous faisons très peu de publicité. En période de crise, les consommateurs deviennent très conservateurs, ils achètent moins mais de meilleure qualité. Cela nous favorise.

Que pensez-vous de cette crise ?

– Il y a deux ans, les seules actions que je possédais étaient liées à mon plan d’épargne-retraite. Depuis, avec cet argent, j’ai acheté des arbres dans le nord-ouest du Pacifique, en Amérique, le long de rivières à saumons. Il y avait un projet de les abattre, nous les avons sauvés d’une coupe claire. Quand les marchés financiers font du yo-yo, mes arbres, eux, continuent de croître !

Patagonia peut-elle se passer des banques ?

– Nous réinvestissons nos profits et nous n’avons pas de dette. Cela nous permet d’octroyer des crédits à nos revendeurs, qui, eux, ne peuvent plus emprunter auprès des banques, et de consacrer 1 % de notre chiffre d’affaires à des associations de protection de l’environnement.

La crise favorisera-t-elle une croissance plus verte ?

– Non ! Le business reprendra ses droits. Ce sera très difficile pour les grandes firmes de changer. En revanche, je vois un bel avenir pour des sociétés comme la mienne, qui cherchent à produire plus vert. Je crois qu’une entreprise a une responsabilité sur la façon dont elle fabrique ses produits, mais aussi sur les produits eux-mêmes. Ainsi, par notre travail, nous essayons d’influencer les autres marques, comme Nike, Gap ou Levi’s. Nous avons écrit un guide sur une méthode plus respectueuse de l’environnement pour fabriquer des vêtements. Wal-Mart en est coauteur et va demander à ses fournisseurs d’appliquer le système de qualité qui en découle. Leur idée est d’afficher l’empreinte écologique de chaque vêtement, comme nous avons commencé à le faire.

Vous ne craignez pas le  » greenwashing  » (NDLR, un simple vernis écolo) ?

– Wal-Mart s’engage, mais ne communique pas. Pour autant, je ne soutiens ni leur politique sociale ni leur modèle de développement. Mais je suis prêt à travailler avec n’importe quelle entreprise, même ExxonMobil, pourvu qu’elle souhaite adopter des pratiques plus vertes !

Vous avez fondé, en 2001, le club 1 % pour la planète, dont les entreprises versent chaque année 1 % de leur chiffre d’affaires à des causes environnementales…

– Nous avons presque 1 300 membres aujourd’hui, répartis dans 40 pays. Chaque jour, nous comptons une entreprise de plus. L’an prochain, nous verserons de 17 à 18 millions de dollars à des associations de protection de l’environnement. Si le club n’existait pas, les deux tiers de cette somme n’auraient jamais été distribués.

Quels sont les prochains objectifs de Patagonia ?

– Nous souhaitons éduquer nos clients à consommer moins et mieux. Notre contrat ?  » Si vous achetez cette veste multifonctionnelle, elle durera longtemps ; si la fermeture Eclair lâche, nous la réparerons. Et si, un jour, vous en avez assez de porter cette veste alors qu’elle est encore en bon état, nous vous aiderons à la vendre ou à la donner. Et si vous l’avez usée jusqu’à la corde, rapportez-la dans nos magasins, nous la recyclerons.  » Aigle, Millet, North Face, Patagonia : nous faisons tous les mêmes produits, avec les mêmes matières, fabriqués dans les mêmes usines. La seule différence, ce sont nos valeurs.

Vous avez également engagé Patagonia sur le marché du surfà

– Nous visons, à terme, la moitié de notre activité dans les sports nautiques… Avec le réchauffement climatique, les gens iront davantage à la mer. J’ai fait du surf toute ma vie et je pense qu’il est possible d’améliorer les produits. Mon fils dessine des planches avec des matériaux différents et non toxiques ; et nous avons conçu une combinaison deux fois plus chaude et trois fois plus résistante. Nous allons également nous diversifier dans l’alimentaire. Notre premier produit sera du saumon sauvage, pêché à maturité par des Indiens, fumé légèrement, puis séché. Nous expliquerons sur l’emballage pourquoi il ne faut pas acheter du saumon d’élevage, toxique pour le consommateur et désastreux pour l’environnement.

Vous défendez toujours le principe d’une croissance raisonnable ?

– Absolument. Cela étant, en Europe, nous sommes trop petits : vous ne trouvez pas Patagonia en Scandinavie et très difficilement en Grande-Bretagne. Nous ne voulons pas créer des besoins superflus, mais nous devons être plus efficaces pour répondre à la demande.

Patagonia restera-t-elle une société familiale ?

– J’ai déjà refusé plusieurs offres de rachat. Ma force, c’est de posséder l’entreprise avec mon épouse. J’ai beaucoup plus de pouvoir que le patron d’une société cotée. Je suis libre. Je n’ai pas d’obligation de croissance ni de rendement. Mes deux enfants travaillent chez Patagonia. Mais, à notre disparition, l’entreprise sera transférée à une fondation.

propos recueillis par Valérie Lion

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