La science, nouvelle alliée de Dieu?
Le best-seller Dieu, la science, les preuves prétend « révéler les preuves modernes de l’existence de Dieu ». Rencontre avec les auteurs et décryptage de leurs thèses controversées avec le physicien et théologien Thierry Magnin.
Pas de doute, Dieu fait vendre, même en terres largement déchristianisées. Cinq mois après sa parution, Dieu, la science, les preuves (1) a passé la barre des 140 000 exemplaires vendus. Un succès de librairie dû non seulement à un titre accrocheur (racoleur?) et à l’attrait du thème abordé – la question inépuisable de l’existence de Dieu -, mais aussi à l’intense promotion dont ce livre aux thèses controversées a bénéficié dans la presse conservatrice française. Le Figaro Magazine lui a consacré sa couverture et un dossier de huit pages dont le titre enfonce le clou: « Quand la science croit en Dieu, le livre qui bouleverse nos certitudes. »
Dans notre livre, le mot « preuve » est utilisé dans un sens différent, celui d’éléments convergents, qui confortent la croyance en un Dieu créateur.
Les médias contrôlés, ou en passe de l’être, par le milliardaire Vincent Bolloré (CNews, Europe 1, Paris Match) ne sont pas en reste, avec des interviews fleuves de Michel-Yves Bolloré ou d’Olivier Bonnassies, les coauteurs du best-seller. Le premier, homme d’affaires de 76 ans, est le frère aîné de l’industriel papivore. Catholique traditionaliste, il est membre de l’Opus Dei, institution de l’Eglise romaine réputée pour son goût du secret et son influence auprès des milieux économiques. L’entrepreneur Olivier Bonnassies, lui, a fondé le site d’information catholique Aleteia et est un promoteur du culte marial. Il donne des conférences sur le linceul de Turin qui, assure-t-il, « ne peut venir que de la résurrection du Christ » (les études ont pourtant révélé que le drap mythique qui aurait enveloppé le corps de Jésus date en réalité du Moyen Age).
L’éloge de Mgr Léonard
Mgr André Léonard, l’ancien archevêque de Malines-Bruxelles, juge l’ouvrage « en tous points remarquable ». L’ex-primat de Belgique lui consacre un long article élogieux, publié dans le numéro de février de La Nef, mensuel catholique traditionaliste proche de la droite conservatrice. L’intérêt pour les thèses du livre se manifeste bien au-delà de la sphère « catho tradi ». Les auteurs, rencontrés lors de leur récente venue en Belgique, le confirment: « Plus de 1 100 évangéliques ont assisté, à Créteil, près de Paris, à l’une de nos conférences, raconte Michel-Yves Bolloré. La vidéo YouTube de notre interview dans les studios de Beur FM compte près de 800 000 vues! Un magazine israélien consacre sa couverture à notre livre. Et je suis invité à en parler devant la Grande Loge nationale de France. »
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Les auteurs cherchent à démontrer que la connaissance de Dieu peut être fondée sur la raison. Leur ouvrage est le « fruit d’un travail collectif de plusieurs années », signalent-ils: chaque chapitre intègre les conseils et corrections de spécialistes, dont des scientifiques. Leurs noms figurent en fin de volume. La plupart sont des catholiques militants ou des défenseurs de la théorie de l’intelligent design (« dessein intelligent »). Selon ces néocréationnistes, la complexité du monde suggère fortement l’hypothèse d‘une « cause première », d’un « créateur » qui aurait présidé à la naissance de l’univers et à l’apparition de la vie sur Terre. Le livre flirte aussi avec le « concordisme », courant de pensée qui mêle théologie et cosmologie, qui ambitionne de concilier les textes sacrés et les acquis de la science.
Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies mettent la barre très haut: ils prétendent « révéler les preuves modernes de l’existence de Dieu« . Les « preuves »? On les cherche en vain tout au long des 577 pages de l’ouvrage. Pour le physicien et théologien Thierry Magnin, président-recteur délégué de l’Université catholique de Lille (auteur de Le Scientifique et le théologien en quête d’origine, Desclée De Brouwer, 2015), les auteurs jouent volontairement sur l’ambiguïté du mot: « Ils font croire que le livre contient des preuves scientifiques, alors que leur démarche ne relève pas de la science dure, mais de la logique et de la métaphysique, façon Thomas d’Aquin, philosophe qui entendait accorder la foi et la raison. »
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Michel-Yves Bolloré en convient: « Nous ne pouvons présenter des preuves absolues, car ces certitudes-là sont propres au registre de la démonstration mathématique. Le théorème de Pythagore était vrai il y a plus de 2 500 ans et il restera vrai dans 500 ans. Dans notre livre, le mot « preuve » est utilisé dans un sens différent, celui d’éléments convergents, qui confortent la croyance en un Dieu créateur. » Quels éléments? « Des connaissances scientifiques nouvelles en cosmologie et en thermodynamique viennent dynamiter les certitudes ancrées dans l’esprit collectif depuis le début du XXe siècle, au point de rendre intenable la conception matérialiste du monde », répond Olivier Bonnassies. Le polytechnicien reprend à son compte la phrase de Louis Pasteur: « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène. »
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Le mathématicien génial
« Pendant près de quatre siècles, de Copernic à Freud en passant par Galilée et Darwin, les découvertes scientifiques ont donné l’impression qu’il était possible d’expliquer l’univers sans avoir besoin de recourir à un dieu créateur, poursuivent les auteurs. Les théories du big bang, de l’expansion de l’univers et de sa mort thermique ont fait repartir le balancier de la science dans l’autre sens. L’univers n’est pas stationnaire. Il se déploie de manière précise et organisée à partir d’un début absolu de l’espace, du temps et de la matière, singularité initiale qui conforte l’idée d’un geste créateur. » Et de faire référence à Georges Lemaître, le prêtre et grand scientifique qui a proposé, au début des années 1930, le scénario de l' »atome primitif », modèle confirmé plus tard par d’autres chercheurs. Mais ils omettent de mentionner que le savant belge s’est opposé à ceux qui identifiaient ce point zéro avec le « fiat lux » (« que la lumière soit ») de Dieu au début de la Genèse.
Autre « élément » utilisé par les auteurs pour appuyer leur démonstration: on sait aujourd’hui que l’apparition de la vie n’a été possible qu’à la faveur de réglages extrêmement précis des paramètres fondamentaux de l’univers. « Attribuer ce surgissement au hasard ne tient pas la route, estiment-ils. Un ajustement si fin des constantes cosmologiques invite à voir dans la création l’oeuvre d’une pensée intelligente. » Dieu serait donc un mathématicien génial. Rien de très neuf dans cette conception de l’être suprême: Voltaire considérait l’univers comme une horloge dont la complexité induirait sa création par un horloger ( Les Cabales, 1772).
L’univers a un début, mais cela ne signifie pas que Dieu a donné la première chiquenaude.
Décryptage du physicien et théologien Thierry Magnin: « L’univers a un début, mais cela ne signifie pas que Dieu a donné la première chiquenaude. La science ne peut démontrer ni l’existence ni l’inexistence de Dieu. Il est indéniable que les avancées scientifiques récentes ont introduit de la complexité, de l’incertitude. Elles nous questionnent sur le « fond des choses ». Mais elles ne prouvent pas pour autant l’existence d’un Dieu qui aurait ajusté les mécaniques de l’univers et du vivant. Le Dieu de Jésus de Nazareth n’est certainement pas ce « grand horloger » impersonnel qui manie le tournevis, cette intelligence supérieure qui conduirait le paquebot de l’univers et de l’humanité. C’est un Dieu d’amour qui nous a laissé un monde inachevé, laissant les créatures le continuer librement, en pleine autonomie, pour le meilleur et pour le pire. »
Dans la seconde partie de Dieu, la science, les preuves, la plus controversée, les auteurs s’éloignent des connaissances scientifiques nouvelles et s’appuient sur la Bible pour « prouver » l’existence de Dieu. Selon eux, les Hébreux, petit peuple semi-nomade dépourvu de richesses, de savants et de bibliothèques, n’ont pu accéder aux grandes vérités sur le cosmos et sur l’homme que parce qu’ils ont eu accès à des « vérités humainement inatteignables ». Seule la « révélation » indiquerait qu’ils aient pu savoir que le Soleil et la Lune, adorés par les Babyloniens et les Egyptiens, n’étaient que des luminaires. Que les forêts, les sources et autres forces de la nature n’avaient rien de divin. Que l’univers a un début, aura une fin, et n’est donc pas cyclique. Que tous les hommes sont issus d’une même souche.
Selon les auteurs, tout est vrai dans la Bible. Le livre « inspiré par Dieu » ne contient aucune erreur. Celles relevées par les spécialistes s’expliquent par le fait que le récit a dû tenir compte de l’inculture du peuple hébreu, de son vocabulaire limité, « un sérieux handicap pour exprimer et transmettre une révélation à vocation universelle« . Si, selon la Genèse, le monde a été créé en six jours, alors qu’en réalité il a fallu plus de treize milliards d’années à l’univers pour se former et aboutir à l’apparition de l’homme, c’est parce que le concept de « milliard » n’existait pas à l’époque de la rédaction du texte. De même, les épisodes de l’exode de Moïse et des Hébreux ne sont « pas des légendes, mais des vérités surnaturelles cachées dans des récits imagés fondés sur des événements historiques ». Ainsi, il ne faut pas voir dans la traversée de la mer Rouge un récit mythique, mais une « vérité spirituelle majeure ».
« Bouche-trou de notre ignorance »
Pour Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies, la destinée du peuple juif est elle-même surnaturelle, « non explicable par les faits rationnels ». Ils le décrivent comme « probablement le seul peuple survivant de l’Antiquité« , « un peuple qui a survécu à des épreuves extrêmes » et « le seul peuple qui a retrouvé sa terre dix-huit siècles après l’avoir perdue ». Ce destin « au-delà de l’improbable » est la preuve, selon eux, que l’histoire du peuple juif et celle du monde ne peuvent s’envisager « débarrassées de tout prodige divin« . Ils laissent entendre que l’Etat hébreu bénéficie d’une protection divine: « Lors de guerres récentes, il a suscité la sidération par des victoires militaires inattendues et spectaculaires. » Malgré son « infériorité flagrante », Israël a gagné la guerre du printemps 1967 en six jours, « étonnante coïncidence biblique ».
De même, pour nos deux croyants, les événements inexpliqués de Fatima sont forcément un « miracle », donc une nouvelle preuve de l’existence de Dieu. Ils consacrent près de quarante pages au « phénomène prodigieux et inexplicable » d’octobre 1917 au Portugal. Pour rappel, un midi, des dizaines de milliers de personnes ont vu le soleil tournoyer, phénomène qui aurait été annoncé trois mois plus tôt à trois enfants analphabètes par une « belle dame », qui serait la Sainte Vierge. L’Eglise catholique ne s’est jamais prononcée officiellement sur le caractère « miraculeux » ou non du phénomène céleste. Cela n’empêche pas les deux auteurs de juger « rationnellement impossible » toute autre hypothèse explicative qu’un miracle.
Commentaire du Père Thierry Magnin: « Ils font systématiquement de Dieu le « bouche-trou » de notre ignorance, la seule explication possible de phénomènes qui gardent une part de mystère. Les miracles du Christ sont des signes d’ouverture à la foi, pas des « preuves » de l’existence de Dieu. Les auteurs confondent science, métaphysique et foi, alors que ces domaines doivent être distingués pour les articuler. Le succès de leur ouvrage dit beaucoup sur l’anxiété d’une partie de la société, le besoin des gens de se raccrocher à des « preuves », des certitudes. »
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