De l’influence allemande à la norme Greenwich, la maîtrise des horloges
En matière d’heure, mis à part le ralliement pionnier à la norme de Greenwich, la Belgique a plutôt subi les vents dominants en provenance d’Allemagne.
« Chers lecteurs, ne tournez la grande aiguille de votre horloge que dans le sens horaire, et ne touchez pas à la petite aiguille, pour ne pas endommager le mécanisme! » Ce conseil paru dans les journaux d’avril 1892 annonçait le passage à l’heure solaire de Greenwich sous l’effet d’une loi publiée au Moniteur le 1er mai 1892. La Belgique est le premier pays d’Europe continentale à sauter le pas de l’harmonisation horaire. Près de vingt ans plus tôt, le premier congrès international de géographie s’était tenu à Anvers et avait formulé le plaidoyer initial en faveur d’un méridien zéro, commun à l’ensemble du monde.
Un changement imposé par une puissance ennemie, qui contraignait les enfants à aller à l’école quand il faisait encore noir.
Mais comment s’y prenaient nos aïeux pour accorder leurs agendas? Bestor, une très riche base de données sur l’histoire des sciences dans notre pays, a consacré une notice à l’introduction de la norme de Greenwich en Belgique. « Au début du XIXe siècle, de nombreuses villes belges vivent au rythme d’une heure solaire moyenne et locale, basée sur la latitude géographique. Dans la vie quotidienne, une grande partie de la population – dont les agriculteurs -, ne connaît l’heure que grâce au soleil et aux cadrans solaires. Il n’existe alors aucune heure officielle fixée par le gouvernement, et la Belgique est donc un patchwork de temps et d’horaires différents. »
Deux hommes militent avec ferveur pour l’adoption du « temps moyen de Greenwich » (Greenwich Mean Time ou GMT), l’heure locale calculée à l’observatoire astronomique de Greenwich, près de Londres. Il s’agit du Fleurusien Ernest Pasquier, astronome et professeur de mécanique appliquée à l’université de Louvain, et du Courtraisien Jules Vandenpeereboom, ministre des Chemins de fer, des Postes et des Télégraphes. Les résistances sont nombreuses. Charles Buls, député libéral et bourgmestre de Bruxelles, est vent debout contre la réforme. Pourtant, l’heure de Bruxelles, qui sert déjà d’étalon aux horaires de chemin de fer, ne serait modifiée que de 17 minutes et 29 secondes…
La gamme des arguments est d’une troublante actualité. « Les patriotes, adversaires proclamés du temps de Greenwich, font valoir que la Belgique ne doit rien avoir à faire avec une « heure étrangère », décrit Belsor. D’autres opposants mettent en garde contre la perturbation du rythme biologique des Belges. » A l’inverse, Ernest Pasquier y voit un moyen de lutter contre leur propension à se lever tard. Finalement, l’impératif du développement ferroviaire emportera toute critique sur son passage.
L’heure allemande
Au début de la Première Guerre mondiale, les Allemands imposent leur heure GMT+1 aux territoires occupés. A partir de 1916, pour faire des économies d’énergie, ils distinguent l’heure d’hiver (GMT+ 1) de l’heure d’été (GMT+2). A l’ Armistice, la Belgique garde le principe d’un changement d’heure mais décalé d’un cran: GMT+1 en été et GMT en hiver. En application du Traité de Versailles, une bizarrerie subsiste à l’est du pays entre 1923 et 1940. La Vennbahn (chemin de fer des Fagnes) qui traverse des territoires belges, allemands et grand-ducaux s’adapte à leurs heures respectives, bien que la ligne soit considérée comme « belge » (Les chemins de fer belges, par Louis Gillieaux, Racine, 2017).
En 1940, l’Allemagne revient dans nos contrées avec ses troupes et ses heures: GMT+1 en hiver et GMT+2 en été. « Au fur et à mesure de l’occupation militaire, l’Allemagne a imposé l’heure de Berlin, ce qui a obligé les Belges et les Français à avancer d’une heure leurs montres et horloges, évoque Alain Colignon, spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Les populations ont été avisées par la radio et les journaux à la solde de l’occupant. Curiosité: la France de Vichy a eu pendant plusieurs mois deux heures différentes, selon que l’on soit en zone occupée – les trois cinquièmes du territoire français, au nord du pays – ou en zone non occupée, au sud. Le régime de Vichy n’alignera la zone non occupée sur le reste du pays que le 16 février 1941, en adoptant, on le devine, l’heure de Berlin. » Par métonymie, l’heure allemande est devenue synonyme d’occupation allemande.
La leçon est claire. L’heure dit quelque chose du pouvoir. « Je resterai le maître des horloges, il faudra vous y habituer », avait déclaré le futur président Macron pendant sa campagne électorale. Manière de faire comprendre que c’était lui dorénavant qui donnerait le tempo de la vie politique. L’expression « voir midi à sa porte » signifie n’envisager que ses propres intérêts ; c’est la négation d’une heure commune. Mais une norme horaire, même utile à la collectivité, peut être ressentie comme un acte d’autorité émanant d’une puissance supérieure et qui perturbe la vie quotidienne des simples gens.
En temps de guerre, la maîtrise des horloges n’est donc pas qu’une métaphore. Même les pays satellisés par le IIIe Reich, comme l’Espagne de Franco, se sont soumis à l’heure de Berlin. « En général, les populations occupées n’appréciaient pas la chose, rappelle Alain Colignon. Il s’agissait d’un changement imposé par une puissance perçue comme ennemie et prédatrice, qui contraignait les enfants à aller à l’école quand il faisait encore noir. » Cependant, l’heure d’été teutonne (GMT+2) n’a été abandonnée qu’en 1946, tandis que GMT+1 (ex-heure d’hiver) devenait l’unique référence temporelle des Belges.
Les méridiennes de Quetelet
Dans les campagnes, on a longtemps utilisé le cadran solaire. La cloche de l’église donnait l’heure à tout le monde. Le mot clock en langues germaniques vient d’ailleurs de l’ancien irlandais clocc (cloche). En 1836, le génial Adolphe Quetelet, fondateur de l’Observatoire royal de Belgique, fut chargé d’installer des méridiennes dans les grandes villes du pays pour connaître l’heure locale précise et faciliter le bon fonctionnement des chemins de fer.
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