La chasse au plastique est ouverte
Plastic Odyssey est un projet français d’expédition marine autour du monde. Son but : réhabiliter les déchets plastiques terrestres afin qu’ils ne terminent plus à l’eau. Et en même temps, sortir des populations de la précarité en créant des emplois dans les villes côtières les plus polluées du monde. Départ prévu en 2020.
Si tous les fleuves vont à la mer, 80 % des déchets plastique terrestres s’y retrouvent aussi. Quelque huit millions de tonnes de plastique aboutissent chaque année dans les océans. Un chiffre alarmant qui devrait être multiplié par dix d’ici à 2025. » On ne peut pas nettoyer les océans ! C’est trop tard « , estime pourtant Simon Bernard, ex-ingénieur officier de la marine marchande française et porteur du projet écologico-humanitaire Plastic Odyssey. Un avis partagé par de très nombreux scientifiques, notamment les chercheurs de la mission suisse Race for Water en 2015, ceux de la mission 7e Continent ou encore ceux de la toute récente expédition Tara Pacific, à laquelle a participé la biologiste marine brésilienne Maria Luiza Pedrotti. Elle est revenue en octobre 2018 d’une mission dans le Pacifique Nord, l’océan le plus pollué au monde. Les microplastiques s’y s’effritent en nanoparticules jusqu’à 30 000 fois plus petites qu’un cheveu. Invisibles à l’oeil nu, ces polluants insidieux sont tout simplement impossibles à ramasser.
Dédiaboliser le plastique
» L’idée qu’on dépollue les océans fait rêver les gens, je le sais. Les projets de ramassage en mer font le buzz mais tout ça, c’est une fausse bonne idée ! » Pour éviter que la situation empire, Simon Bernard estime que la seule solution viable est de se mobiliser non pas en mer, mais sur terre. En changeant nos comportements face au plastique pour éviter que ce matériau continue à s’amasser massivement dans les voies d’eau. Mais pas seulement.
Les ulysses du recyclage ont développé un prototype capable de transformer en fuel certains plastiques.
S’il est impossible de filtrer la » soupe de microplastiques » du Pacifique Nord, trop souvent appelée le 7e continent, il est nécessaire de réhabiliter le plastique, trop précieux et trop dangereux pour être balancé sans le moindre égard. Plastic Odyssey cible donc les entrepreneurs et leur apprend à trier le plastique pour le revendre et permettre sa réutilisation. Autres pistes : le recyclage en matériaux de construction, ou encore la transformation en carburant grâce à la pyrolyse, un procédé de distillation qui permet l’obtention de gasoil et d’essence. » Les gens croient que ce n’est pas écologique de transformer le plastique en fuel, ils ont tort « , se désole Simon Bernard. L’ingénieur s’appuie notamment sur une étude réalisée par l’Institut national des sciences appliquées de Lyon pour défendre les mérites de la pyrolyse dans la grande guerre menée contre la pollution plastique.
Ces Ulysse du recyclage ont développé leur propre prototype d’unité de pyrolyse, capable de transformer en fuel certains plastiques ramassés à terre afin d’aider à la propulsion du bateau, par ailleurs équipé de voiles. Les plans de cette machine, comme toute la technologie utilisée par Plastic Odyssey, seront gratuitement accessibles en ligne. L’initiateur du projet résume : » L’idée de Plastic Odyssey est de créer dans les villes côtières d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine dépourvues d’installations de traitement des déchets, des petites usines locales et low-tech de recyclage, en utilisant des technologies peu coûteuses et adaptées au cas par cas. » Si le projet aboutit, il aidera donc non seulement à limiter les quantités de plastique piquant une tête dans nos océans, mais il permettra aussi de créer des emplois.
Trouver des mécènes
Simon Bernard et ses trois associés ont décidé de se faire accompagner, dans leur périple, par un anthropologue. » Il faut s’adapter aux populations locales « , sourit le marin de 28 ans, qui se place résolument dans la démarche de l’anthropotechnologie. Depuis une trentaine d’années, cette discipline concentre ses actions sur le facteur humain : il s’agit d’étudier, de comprendre et d’améliorer les conditions de vie de populations, à travers le monde, en respectant leur identité et leur façon de penser.
L’époque où l’ingénieur blanc venait installer, dans un pays en voie de développement, un projet parfaitement adapté en Occident, sans prêter attention aux habitudes locales, est révolue : » Au Burkina Faso, par exemple, ce sont les femmes qui sont amenées à travailler dans le recyclage, illustre Simon Bernard. Mais comme elles se font bousculer par leur mari si elles rentrent après la tombée de la nuit, il serait absurde d’installer là-bas une machine qui fonctionnerait après 18 heures, heure à laquelle le soleil se couche. »
Un an avant le départ prévu de cette odyssée, rien n’est cependant encore joué. Un bateau-laboratoire de 30 mètres a bel et bien été repéré, mais il n’a pas encore pu être acquis par Plastic Odyssey qui rame à trouver des sponsors. Plusieurs grands groupes auraient donné leur accord de principe pour un mécénat. Mais un seul partenariat a été signé avec Clarins. Ainsi, pour les trois ans que devrait durer la mission, sur un budget annuel nécessaire estimé à deux millions, 400 000 euros seulement ont été engrangés. C’est peu. En pleine mobilisation en faveur du climat, il est dommage de constater que ce projet malin et solidaire ne bénéficie d’aucun coup de pouce gouvernemental ni européen.
Pourtant, si rien de concret n’est fait très rapidement pour freiner l’inexorable accumulation du plastique en mer, les experts sont unanimes : d’ici à 2050, il y aura davantage de microplastiques que de poissons dans les océans. L’heure tourne. Surtout au fond des océans, devenus les grands cimetières bleus de la mondialisation et de la consommation.
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