Gouvernement Vivaldi: l’impossible opposition
Ces dernières semaines, le MR et Ecolo ont donné l’impression que l’opposition venait de la majorité, en réclamant assidûment une autre gestion de la crise sanitaire. Pendant ce temps-là, les partis de l’opposition, la vraie, semblaient plus inaudibles que jamais. La faute aux experts, aux réseaux sociaux, aux nuances et au manque d’audace.
Dix-septième en Wallonie. Treizième à Bruxelles. Se poser en défenseur des libertés semble électoralement mal récompensé. Pas une place de plus dans le classement des personnalités politiques préférées dans le sud du pays, pour Georges-Louis Bouchez. Et un seul échelon gagné dans la capitale par rapport à la précédente mouture du Grand Baromètre politique Ipsos/Le Soir/RTL, en décembre dernier. A l’époque, le président du MR commençait à vouloir « sauver Noël », ce qui allait ensuite le conduire à exiger la réouverture des coiffeurs, à réclamer celle de l’Horeca, à enjoindre de faire péter la bulle (de un). Bref, à se positionner comme un président de parti d’opposition, tout président de parti de majorité qu’il est.
La pandémie a accentué la fracture entre les partis qui maîtrisent les codes de Facebook et compagnie, et ceux qui les cherchent encore.
Critiquer les mesures que l’on a soi-même votées: là-dessus, le coprésident d’Ecolo Jean-Marc Nollet l’a talonné, en déclarant ne plus respecter la règle de la bulle sociale intérieure, tout en incitant à « passer d’une gestion de crise à une gestion de risques ». Nouvelle orientation doublée d’appels répétés à un déconfinement culturel, via la ministre en charge Bénédicte Linard. « Le MR pour les coiffeurs et l’Horeca, Ecolo pour la culture: ces deux partis se sont posés en défenseurs, en sauveurs d’un segment de la population qui pourra s’en souvenir lors d’une échéance électorale », remarque Benjamin Biard, chargé de recherches au Crisp (Centre de recherche et d’information sociopolitiques).
Ils ont eu l’air fin, dans la foulée, les partis d’opposition. Les vrais. Eux qui, jusqu’alors, ne s’étaient jamais aventurés du côté de la remise en cause du bien-fondé des décisions sanitaires. D’abord par stupeur. Face à un virus aussi inconnu qu’inédit, tout le monde s’est tu, dans un premier temps. Pas qu’en Belgique: une étude menée en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Israël montre une temporalité similaire, relate le politologue. « En deux temps: jusqu’à l’été, une union nationale. Ensuite, avec la situation persistante, le retour à une opposition plus classique. »
« La crise existe, la maladie existe »
Plus classique mais pas plus subversive, en Belgique en tout cas. Des critiques, depuis l’automne, il y en a certes eu. Sur les stratégies de testing et de vaccination, puis la loi pandémie, essentiellement. Mais aucun parti ne semble avoir ardemment soutenu un retour aux libertés, une gestion de crise différenciée. Le mouvement antimasques s’est ainsi constitué, entre autres, à cause de cette impression d’absence de discours politique contestataire. Jusqu’aux sorties d’Ecolo et du mal récompensé Georges-Louis Bouchez.
Même le PTB, ayant pourtant la critique aisée, n’a jamais tâté ce terrain. « On a toujours eu un positionnement clair, pose Sophie Merckx, députée fédérale. La crise existe, la maladie existe. On a toujours soutenu le port du masque, les gestes barrières… » Le parti de gauche radicale a conservé sa grille habituelle: la gauche vs la droite, les riches contre les plus pauvres, le capital opposé au peuple. En témoignent leurs différents communiqués: beaucoup sur le big pharma qui se fait plein de blé sur le dos des vaccinés, sur la nécessité d’une taxe corona, sur les maisons de repos privées qui devraient cesser d’être subsidiées par de l’argent public, sur les entreprises qui ne respectent pas les mesures… Jamais d’ode aux libertés supprimées. Sauf le 8 mars, pour annoncer que le couvre-feu avait assez duré. Après les sorties d’Ecolo et du mal récompensé Georges-Louis Bouchez, donc.
« C’est désormais à celui qui ira le plus loin dans l’assouplissement des mesures« , soupire Sophie Rohonyi, députée fédérale DéFI. Qui se défend de toute inactivité, ou de toute complaisance. « On a fait notre travail tout au long de la crise. Déjà en juin, je réclamais un plan d’urgence pour le secteur de la nuit. Et cela fait des mois qu’on interpelle sur le manque de démocratie. On a peut-être été moins critiques. Et encore. C’est davantage un problème de perception. » Perception médiatique: la visibilité de ce parti est sans doute proportionnelle à sa représentativité ; deux députés fédéraux sur 150. Très peu, pour couvrir pléthore de dossiers. Mais perception de la nuance, surtout. « Ce serait évidemment plus simple, comme Raoul Hedebouw, de crier « vous êtes nuls! » Mais nous n’avons jamais voulu faire le choix de la facilité. On ne veut pas tomber dans la critique sans proposition. Nos interventions visent à aider le gouvernement, pas à le couler. »
La parole experte, quasi devenue d’évangile, a aussi empêché l’émergence de propositions alternatives.
D’autant que DéFI fait lui aussi partie d’un gouvernement – le bruxellois – et qu’il est un parti centriste. Ce que le gouvernement De Croo est contraint d’être aussi, somme de sept formations politiques aux convictions parfois diamétralement opposées. Comment dénoncer ce que l’on aurait pu soi-même proposer?
Le CDH, s’écarter du bon père de famille
Le CDH doit aussi trouver la réponse, lui qui apprend l‘opposition après des décennies de pouvoir à un échelon ou l’autre. Dur, dur, de se débarrasser de ses vieux réflexes. « Chez nous, il n’y a pas eu de franc-tireur. A chaque fois qu’il y a eu une envie sociale de reprendre l’air, on a compris que ce n’était pas le moment, au vu des chiffres. C’est vrai qu’on aurait pu se dire « on n’en a rien à faire, crions ce que les gens ont envie d’entendre », mais notre sens des responsabilités restera toujours ce qu’il est, estime Vanessa Matz, députée fédérale humaniste. On doit aussi toutefois arrêter de se mettre dans la tête de celui qui va appliquer les règles, s’écarter de la gestion en bon père de famille, car au fond, ce n’est pas ce qu’on nous demande. »
Sur les réseaux sociaux, certainement pas… La pandémie a accentué la fracture entre les partis qui maîtrisent les codes de Facebook et compagnie, et ceux qui les cherchent encore. D’où ce sentiment, répété par plusieurs députés de l’opposition interrogés, de n’avoir pas démérité, mais de n’avoir pas été écoutés. Ni même entendus. D’autant que leur premier espace d’expression, le Parlement, a abondamment été contourné, ces derniers mois où les arrêtés ministériels sont devenus rois.
« Cela vaut aussi pour le niveau wallon, regrette Germain Mugemangango, député wallon et porte-parole francophone du PTB. On est mis de côté. On a été informé de la prolongation du couvre-feu par Twitter! Ce n’est pas sérieux. Il n’y a aucune forme de débat démocratique, alors que les parlements sont quand même les relais de la population. » « Les parlementaires sont mis hors circuit, clairement, abonde Georges Dallemagne, député fédéral CDH. L’interdiction des voyages, si elle était débattue, je suis certain qu’elle ne recevrait pas de majorité au Parlement! »
L’élu humaniste épingle une difficulté supplémentaire: le règne des experts. Qui aurait éclipsé la parole parlementaire, tant médiatiquement que politiquement. « On a fait beaucoup plus de place à des experts, dont la parole est jugée davantage légitime mais qui ne doivent pas répondre devant leurs électeurs, qu’à ceux censés faire valoir l’ensemble des intérêts publics. Cela a créé une grande frustration, un grand précédent. »
Cette parole experte, quasi devenue d’évangile, a aussi empêché l’émergence de propositions alternatives. Un député dépité racontait ainsi comment son parti n’avait pas soutenu sa volonté de débattre d’une proposition de gestion différenciée, parce que contraire à ce que prônaient les virologues. « Il a été difficile de venir avec des opinions alternatives, décrit-il. Il y avait une crainte d’être considéré comme antimesures. Il y a eu, globalement, un manque d’audace et d’innovation. »
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Et un manque d’écoute, enfin. Des questions parlementaires restées sans réponse de la part du gouvernement, des propositions d’amendement systématiquement rejetées… « Quand on arrive avec des trucs constructifs, on se fait directement balayer, assure Vanessa Matz. C’est très, très, très compliqué de faire passer des choses, même des petits bouts de texte. La multiplicité des partenaires gouvernementaux permet difficilement de donner la voix à l’opposition, car ils ont déjà du mal à se mettre d’accord entre eux. » Ecolo et le MR ne diraient sans doute pas le contraire.
Le Vlaams Belang, étrangement calme
Si l’opposition francophone n’est pas très audible, côté flamand la N-VA et le Vlaams Belang ne crient pas beaucoup plus fort. Pour le parti de Bart De Wever, cela s’explique sans doute par sa présence au gouvernement flamand. Difficile de tirer au fédéral sur ce que l’on adopte soi-même au régional. Pour les troupes de Tom Van Grieken, cela peut paraître plus étonnant. Alors que dans d’autres pays européens, l’extrême droite a par exemple organisé des manifestations et flirté avec le complotisme, le VB est resté assez mesuré. Pas d’appel au rejet des mesures, pas de position antivaccin… « Le Vlaams Belang s’inscrit depuis 2014 dans une stratégie de dédiabolisation, pour essayer d’accéder au pouvoir en Flandre en 2024, indique Benjamin Biard (Crisp). Or, les discours trop conspirationnistes ont du mal à fédérer une partie de la population. »
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