Les avis et conseils de Me Lacomble sont la clé de voûte de la défense de Stéphane Moreau et des autres inculpés. © MICKÆL MARQUET

Nethys: Maître Lacomble, « architecte » du jackpot ébranle la défense de Moreau

David Leloup Journaliste

Me Lacomble, l’avocat qui a validé le mécanisme des « indemnités de rétention », est le « parapluie » derrière lequel les sept inculpés de l’affaire Nethys s’abritent. Mais ce parapluie semble percé: l’avocat a déclaré aux enquêteurs avoir été trompé à de multiples reprises. Révélations.

Pour son conseil Me Masset, Stéphane Moreau serait « le bénéficiaire de décisions officielles des instances de Nethys, composées de personnes compétentes et intègres, décisions ayant elles-mêmes été adoptées sur la base des analyses et propositions de grands bureaux d’avocats spécialisés en droit social dont la compétence et l’indépendance ne peuvent être remises en cause. » Et l’avocat d’enfoncer le clou: « Les indemnités de rétention, c’est un système parfaitement légal. C’est démontré par les meilleures études et les meilleurs bureaux d’avocats. »

Mais cette ligne de défense semble avoir du plomb dans l’aile. Le Vif a pu consulter une des trois ordonnances de perquisition visant Jean-Claude Marcourt (PS), soupçonné d’être la principale « main invisible » politique ayant donné son aval aux décisions stratégiques majeures prises chez Nethys ces dernières années – ce que semble confirmer un document interne de Nethys.

L’ordonnance de perquisition nous a déjà appris que Jean-Claude Marcourt n’est pas considéré par la justice comme un simple témoin mais bien comme « suspect ». Elle nous apprend aujourd’hui, après recoupements, que Me Jean-Paul Lacomble, « avocat étant intervenu comme conseil dans le cadre de l’élaboration du mécanisme de rémunération suspecté d’être frauduleux, évoque notamment qu’il ne disposait pas de toutes les données utiles lorsqu’il a considéré, à l’époque, que l’octroi d’une indemnité de rétention était régulière ». Ainsi, poursuit l’ordonnance, « à la lecture de son audition, on peut émettre l’hypothèse qu’il aurait été trompé par d’autres suspects« .

Selon Me Lacomble, le mécanisme des indemnités de rétention était légal mais il a été dévoyé.

Jean-Paul Lacomble, du prestigieux cabinet Claeys & Engels, est un avocat spécialisé en droit social. Il est considéré comme l’architecte, avec Diego Aquilina (ex-CEO d’Integrale, filiale de Nethys), des indemnités « de rétention » versées à l’ex-management pour contourner le décret gouvernance. Bref, les avis et conseils de Me Lacomble sont la clé de voûte de la défense de Stéphane Moreau et des autres inculpés.

L’ordonnance, qui doit en dire assez – mais pas trop – pour convaincre de la nécessité d’une perquisition, lève un coin du voile sur les « indices d’infraction » dont la justice dispose. On apprend ainsi que « le contenu de certains documents saisis au sein de la SA Nethys » permet d’émettre l’hypothèse que les inculpés auraient perçu d’importantes rémunérations contraires au décret gouvernance du 29 mars 2018: « Il semblerait que le principe du plafonnement de rémunération fixé par ce décret aurait été sciemment détourné par le comité de nomination et rémunération de la SA Nethys qui est suspecté d’avoir agi de la sorte dans l’intérêt personnel de membres du management de l’époque. »

Et l’intention serait précoce: « Dès l’année 2017, les inculpés auraient agi de concert avec d’autres suspects pour essayer d’anticiper puis de contourner le principe de plafonnement de rémunération, en imaginant notamment l’octroi d’une indemnité de rétention » visant à compenser la perte de rémunération engendrée par le décret gouvernance. En effet, poursuit l’ordonnance, « cette indemnité de rétention ne correspondrait à aucune réalité, les bénéficiaires de celle-ci ne semblant avoir jamais émis le souhait de quitter la SA Nethys ». De plus, « les faits se seraient déroulés d’une manière extrêmement discrète qui permet de suspecter que les inculpés et d’autres suspects auraient posé les actes visés par l’instruction en faisant preuve d’une grande opacité de manière volontaire ».

Ce qui est sûr, c’est que dès décembre 2017, alors que le décret n’en est qu’au stade de projet, Me Lacomble est approché par Pierre Meyers, président de Nethys. L’avocat viendra d’ailleurs présenter au CA du 21 décembre 2017, tout comme un de ses confrères du cabinet CEW & Partners, les risques que fait peser ce décret sur les finances de Nethys.

Me Lacomble a déjà été entendu à deux reprises par les enquêteurs, comme suspect sous statut « Salduz IV » avec privation de liberté. Il n’a pas été inculpé à ce stade. Selon lui, le mécanisme des indemnités de rétention était légal mais il a été dévoyé. L’avocat a déclaré aux enquêteurs avoir été trompé à de multiples reprises et a la conviction d’avoir été instrumentalisé. Trois exemples concrets.

1. Les bonus cachés

Le CNR (comité de nomination et rémunération) de Nethys lui aurait caché qu’une série de bonus à court et long terme (STI et LTI) des années antérieures n’avaient pas encore été versés aux managers. Ces montants non versés et occultés auraient eu un impact sur le montant des indemnités de rétention s’ils avaient été connus de Me Lacomble. Les conventions qu’il avait rédigées et qui étaient destinées à mettre en place les indemnités de rétention prévoyaient explicitement qu’il n’y aurait plus de rémunérations variables. Or, il y a encore eu des paiements en mai 2018 notamment. Ils étaient contractuellement dus (car ils dataient de 2013-2017 pour les LTI et 2017 pour le STI). Mais si on avait injecté dans le calcul de l’indemnité ces rémunérations variables, dont certains devaient savoir qu’elles allaient être payées, c’est le montant de l’indemnité de rétention qui en aurait été diminué d’autant.

2. La vente dissimulée de Voo

Lors du CNR du 21 mai 2019, les modalités d’octroi des indemnités de rétention sont modifiées. Il n’est plus question de retenir les managers deux ans mais bien de vendre Voo pour qu’ils puissent toucher le solde. Me Lacomble est présent. Et a l’impression que le CNR « durcit » cette clause car, désormais, les montants qui n’ont pas encore été payés sont conditionnés à la vente de Voo. Sauf qu’on lui cache que la lettre d’offre liante de l’acheteur américain Providence était déjà entre les mains des membres de la « task force vente » de Nethys (dont Pierre Meyers et Stéphane Moreau).

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3. Un problème de contrat occulté

Lors du calcul des indemnités de rétention, il a fallu tenir compte de deux contrats de travail pour Stéphane Moreau. Celui signé chez Nethys comme indépendant en 2013 et son premier contrat de travail comme salarié qui remonte à son arrivée, en 2005, à l’ALE (qui deviendra Tecteo puis Publifin). Ce premier contrat était suspendu et comprenait une clause de rupture très généreuse pour Moreau. Or, il y a eu un problème de Dimona avec ce contrat non déclaré à l’avocat. La Dimona est un message électronique par lequel l’employeur communique toute entrée et sortie de service d’un travailleur à l’ONSS. Quand le contrat suspendu de Moreau a été transféré de Publifin à Nethys, la Dimona a été réalisée mais, quelques mois plus tard, elle aurait été annulée. Cette information peut avoir des conséquences importantes: le contrat est-il toujours suspendu (auquel cas il faut payer des indemnités de rupture) ou faut-il le considérer comme inexistant (auquel cas il ne faut plus rien payer)? Cette question aurait été occultée devant Me Lacomble.

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