Une note d’espoir dans une année pourrie: en sport, beaucoup de jeunes ont cassé la baraque
Cette année, beaucoup de jeunes, et même d’ados, ont cassé la baraque dans presque toutes les disciplines. Un formidable vent de fraîcheur souffle sur le monde du sport. Cette percée, préparée depuis des années, ne devrait pas s’arrêter là…
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Le péril jeune. Du moins pour le gotha du sport, bien installé au sommet depuis des lustres. D’Alena Kostornaia (16 ans), championne d’Europe de patinage artistique dès ses débuts en senior, à Tadej Pogacar (22 ans), vainqueur du Tour de France, en passant par Iga Swiatek (19 ans), victorieuse à Roland-Garros, ou le Belge Charles Weerts (19 ans), plus jeune champion de l’histoire en GT World Challenge, la nouvelle génération a trusté les podiums cette année 2020.
Grâce au confinement, qui a bousculé les plus anciens dans leur préparation? « Il peut avoir influencé à la marge, mais ce n’est pas en quelques semaines ou mois que l’on forme un athlète, c’est un travail de longue haleine, nuance Gilles Goetghebuer, rédacteur en chef des magazines Zatopek et Sport et Vie. Ces jeunes qui ont émergé, étaient déjà présents dans leurs catégories d’âge et allaient de toute façon arriver. » High performance manager au Comité olympique et interfédéral belge (COIB) depuis de nombreuses années, Philippe Préat pense, lui, que c’est surtout la raréfaction des compétitions qui a permis l’émergence de certaines performances: « Des vagues de jeunes talents, il y en a eu d’autres. Cette percée n’est pas un phénomène propre à cette année. » A 2020 peut-être pas, mais à la période actuelle, certainement.
Les jeunes qu’on a vus émerger étaient déjà présents dans leurs catégories d’âge et allaient percer, confinement ou non.
Les trois cercles de formation
C’est un fait: les structures de la plupart des fédérations et clubs sportifs sont de plus en plus pointues. Organisées de la base vers le sommet, si talents exceptionnels il y a, ils apparaissent aujourd’hui un peu plus tôt qu’il y a dix ou quinze ans. Un véritable travail d’accompagnement vers le plus haut niveau et la maturité physiologique est alors accompli. L’exemple de Lionel Messi – repéré en Argentine et transféré avec sa famille à Barcelone où il a suivi sa formation pour devenir le joueur que l’on connaît – s’est systématisé ces derniers temps. « On ne voit plus l’athlète comme un simple performeur. On essaie de faire de lui un être humain équilibré, bien dans sa peau, pas uniquement centré sur son sport », confirme Philippe Préat. Cette philosophie peut être caractérisée par trois « cercles »: le cadre sportif (formation physique, technique, tactique), approfondi depuis de nombreuses années ; le développement sportif général (diététique, psychologie, kiné, biomécanique, etc.), en vogue depuis environ vingt ans ; et enfin une vision récente, dite « holistique », portée sur le non sportif.
Entraînements pointus
Dans la chronique qu’il tient dans Le Soir, Philippe Gilbert a livré un exemple criant de la professionnalisation du cadre sportif, raison selon lui de la prise de pouvoir des jeunes en cyclisme cette saison. Lors de la course pour juniors organisée par son frère à Aywaille, le parking est ainsi devenu trop petit pour accueillir tous les camping-cars, tonnelles et matériel apporté par les équipes. A son époque, « c’était une voiture de club et pour le reste, on se débrouillait », confie le champion de 38 ans, qui se réjouit que « ces jeunes [puissent] travailler spécifiquement comme nous le faisons au plus haut niveau, « dans le vrai », tout en améliorant leurs qualités et… leurs défauts ». Ce qui était l’apanage des meilleurs coureurs – comme les capteurs de puissance sur la chaîne ou dans le pédalier – s’est fort démocratisé car la technologie est désormais meilleur marché. Aujourd’hui, les coureurs suivent des entraînements extrêmement pointus en technologies dès l’adolescence.
Pour ce qui est du développement sportif général, « tout est individualisé, glisse Philippe Préat. Avant, il y avait le programme de l’équipe et quelques petites séances personnelles. Aujourd’hui, celles-ci sont beaucoup plus nombreuses et éventuellement prises en charge par différents spécialistes parce que l’un ou l’autre correspond mieux au ressenti ou à l’évolution du sportif concerné ». Chacun travaille comme il le sent: la Canadienne Bianca Andreescu, vainqueure de l’US Open de tennis en 2019, à 19 ans, s’offre ainsi régulièrement des séances de méditation de pleine conscience.
Troisième cercle de la formation actuelle, la vision « holistique » est pensée pour accompagner l’athlète dans tous les à-côtés du sport: l’argent, la famille, la double carrière… En Belgique comme ailleurs, plusieurs cellules, telles Projet de vie de l’Adeps, offrent un accompagnement aux sportifs qui désirent mener des études et préparer leur reconversion. « Si on se sent encadré et soutenu à tout niveau, on a tendance à moins laisser tomber en cas de coups durs », se convainc Philippe Préat.
La multidisciplinarité a du bon
Octuple championne du monde de jiu-jitsu et à nouveau sacrée reine d’Europe en janvier, Amal Amjahid (24 ans) ignorait totalement l’existence de cette discipline il y a un peu plus de dix ans, lorsqu’elle effectuait cent kilomètres par jour à vélo. Vainqueur du Tour de Pologne en août, sa quatrième victoire en course en 2020, Remco Evenepoel (20 ans) jouait encore au football à Anderlecht voici quatre ans. « Longtemps on a considéré qu’il fallait spécialiser le sportif très tôt, souligne Gilles Goetghebuer. Certains gamins ne devaient pas seulement choisir leur sport, mais aussi la manière dont ils allaient le pratiquer. Heureusement, on a récemment rompu avec ça. »
La multidisciplinarité a du bon. En France, certaines associations demandent par exemple à leurs jeunes footballeurs d’endosser le rôle d’arbitre, de soigneur, de traceur de lignes, pour leur faire découvrir tout l’environnement du foot. Chez nous, le COIB emmène chaque année des pépites de 14 à 18 ans issues d’une dizaine de disciplines en stage à l’étranger. L’objectif est d’évaluer ces jeunes et de leur permettre de côtoyer d’autres sportifs à l’oeuvre pour découvrir de nouvelles méthodes, s’inspirer, s’ouvrir l’esprit. » Paradoxalement, c’est peut-être le fait d’être moins spécialisé qui pourrait expliquer le succès précoce de certains jeunes », avance Gilles Goetghebuer, qui cite les exemples de Kim Gevaert et John McEnroe, véritablement impliqués dans l’athlétisme et le tennis à partir de 16 ou 17 ans.
Paradoxalement, c’est peut-être le fait d’être moins spécialisé qui pourrait expliquer le succès précoce de certains jeunes.
Ansu Fati, 17 ans, fait partie de ces rookies que le monde du football s’arrache: le milieu de terrain espagnol du FC Barcelone brise tous les records de précocité. Autre discipline, autre prodige: le Belge Barry Baltus, qui a récemment effectué ses débuts en Moto3 à 15 ans. « Beaucoup de fédérations imposent des restrictions pour éviter que l’âge continue de baisser, indique Gilles Goetghebuer. C’est une manière de lutter contre les cadences d’entraînement infernales que certains coachs imposent à leurs protégé(e)s qui, faute de caractère, n’osent pas se rebeller. » Mais un cas n’est pas l’autre: Philippe Préat assure qu’une nageuse performe beaucoup mieux à la brasse lorsqu’elle possède moins de surfaces de freinage, autrement dit avant sa puberté. Fixer des limites d’âge se fait donc en fonction de la préservation de l’être humain, mais aussi du contexte du sport.
Les vieux font de la résistance
Ces récentes démonstrations de précocité ne doivent toutefois pas faire oublier que les « vieux » sont toujours là. En 2020, Rafael Nadal (34 ans) a remporté son 13e Roland- Garros, la basketteuse Ann Wauters (40 ans) a prolongé sa carrière pour disputer les prochains JO de Tokyo en 2021, si tout va bien, et Zlatan Ibrahimovi? (39 ans) enquille toujours les buts avec le Milan AC. Encore plus fort: fin novembre, Mike Tyson (54 ans) et Roy Jones Jr (51 ans) se sont affrontés sur le ring pour une ceinture WBC. Et les mamans ne sont pas en reste: Kim Clijsters (37 ans) et Serena Williams (39 ans) sont bien présentes sur les courts et la spécialiste française du 400 m Floria Gueï (30 ans) vise l’or à Tokyo.
S’il doit avancer une explication de cette persévérance, Marc Francaux opte pour la prévention des blessures. « Un sportif se blesse de deux manières, précise le chercheur en sciences de la motricité et physiologie à l’UCLouvain. Soit par un accident traumatique (tacle, chute) soit à la suite de la répétition d’un geste. Etudier le deuxième cas de manière très systématique permet de réduire le nombre de lésions. » Prenons l’exemple du tennisman: il existe des séances d’entraînement qui lui permettent d’étirer et de renforcer les muscles antagonistes (qui s’étirent et se combinent au mouvement des muscles agonistes, qui se contractent) pour restabiliser son épaule. Ça ne le fera pas mieux jouer au tennis, mais ça évitera qu’il se blesse… et donc qu’il perde du temps en revalidation. « A partir du moment où l’on a une très grande systématique dans la façon dont on se prépare, on se nourrit, on récupère, on se soigne… il est possible d’avoir des carrières raisonnablement longues, ajoute Marc Francaux. C’est ça que l’on doit inculquer aux sportifs dès qu’ils intègrent les écoles de formation. » Pour que les jeunes d’aujourd’hui soient aussi les (bons) vieux de demain.
Les défis
Vaincre le dopage
« Avec la pandémie, il n’y a pas eu de contrôles antidopage inopinés pendant plusieurs mois. Certains coureurs ont donc pu faire à peu près ce qu’ils voulaient. » Soupçonneux, Gilles Goetghebuer, rédacteur en chef de Sport & Vie, n’accorde aucun crédit aux performances des cyclistes slovènes lors du dernier Tour de France (1er et 2e). Pourtant, lorsqu’il aborde la question du dopage, il doit régulièrement faire face au sempiternel « à quoi bon? ». « Ce serait une erreur d’abandonner, juge-t-il. Il existe pléthore de problématiques très compliquées comme la fraude fiscale ou les accidents de la route dont on sait qu’elles existeront encore l’année prochaine, mais contre lesquelles on continue malgré tout de se battre. » Ces dernières années, ce sont principalement les enquêtes de police qui ont donné des résultats. N’en déplaise aux « àquoibonistes ».
Insérer le sport dans l’application
Les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé font froid dans le dos: en 2019, quatre jeunes sur cinq dans le monde ne pratiquaient pas assez de sport. Un manque d’activité qui constitue une menace évidente pour la santé. Philippe Préat (COIB) est toutefois convaincu qu’il est possible d’enrayer la machine. « Le socle sportif doit être effectué pour tous à l’école. Cette formation générale est essentielle. » C’est en étant stimulé que le jeune entretiendra sa condition et peut-être se trouvera une passion. « Si l’on développe ses capacités de manière générale, il est toujours possible de se raccrocher à un sport. Ou tout simplement de se maintenir en forme. Les jeunes qu’on a vus émerger étaient déjà présents dans leurs catégories d’âge et allaient percer, confinement ou non. »
Atteindre l’égalité homme-femme
C’est le cheval de bataille du chercheur de l’UCLouvain Marc Francaux. « Il ne faut pas tourner autour du pot: le sport féminin n’est pas au même niveau que le masculin, lance-t-il. En cyclisme, par exemple, seules les vingt ou trente coureuses professionnelles sont au-dessus du lot, le reste est un peu à la ramasse. Pour parvenir à élever le niveau, il faut pouvoir offrir aux jeunes filles les mêmes possibilités que celles des garçons dans la pratique de leur activité sportive de haut niveau. » Marc Francaux cite ainsi les exemples de la natation et, surtout, de la gymnastique où les féminines reçoivent une réelle attention dans leur formation.
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