Comment un millionnaire belge en bitcoin veut « rendre aux gens leur argent »
Acheter un territoire pour y fonder un pays sans gouvernement ni taxes : c’est le grand rêve libertarien d’Olivier Janssens, multimillionnaire en bitcoins. Utopique ? Le Belge de 38 ans, lui, se réjouit de l’intérêt réel que suscite son futur paradis, Free Society.
Lire également « Monnaies virtuelles : un nouveau pays sans État ni taxes » et « Comment la blockchain est en train de bouleverser toute notre économie ».
De lui, le Web n’affiche qu’une ou deux photos pixelisées. Olivier Janssens, 38 ans, est un millionnaire discret. Sur son compte Twitter aux 8 000 abonnés, il se résume en quatre phrases, en anglais. » Père fondateur de freesociety.com. Early bitcoin adopter. Libertarien depuis toujours. Entrepreneur et investisseur. » Originaire d’Anvers, ce passionné d’informatique s’est rapidement détourné de ses études, puis des trois employeurs qui l’ont engagé en tant qu’ingénieur, pour fonder sa propre société de softwares. Et puis, en 2010, une grande découverte : le bitcoin, lancé un an plus tôt par un mystérieux concepteur. Dès cet instant, il devient ce qu’on appelle un » mineur « , consacrant de puissantes ressources informatiques à la sécurisation des transactions de cette cryptomonnaie naissante, en contrepartie d’une rémunération en bitcoins.
A l’époque, le cours du bitcoin ne dépasse pas 0,39 dollar. Il s’échangera contre 19 974 dollars à son apogée, en décembre dernier. Pour Olivier Janssens, le » minage » jette ainsi les bases d’une fulgurante fortune personnelle. Mais surtout d’un rêve encore plus fou, baptisé Free Society, qui le taraude depuis dix ans : fonder un Etat sans banques ni pouvoirs publics, entièrement régulé par les lois du marché, pour » rendre aux individus leur pleine souveraineté « . Utopique ? Dans un entretien sur Skype accordé au Vif/L’Express, ce Belge affable, expatrié à Monaco, lève un coin du voile sur son projet en cours de financement. Et sur les raisons d’y croire, selon lui, » à 100 % « .
Pourquoi avez-vous commencé à miner du bitcoin ?
En 2008, j’ai moi-même entrepris un projet visant à créer une nouvelle monnaie digitale. Je ne l’avais pas encore finalisé quand j’ai découvert que l’idée existait déjà avec le bitcoin. Je me suis toujours intéressé à la liberté des individus et au fonctionnement des gouvernements. Avec Internet, nous avions déjà conquis l’une des plus grandes avancées en matière de liberté à l’échelle mondiale. Mais il nous manquait encore une étape pour accroître cette liberté : créer un nouveau système financier, une sorte d’or virtuel, puisque tout repose encore aujourd’hui sur le système bancaire.
L’argent d’aujourd’hui, c’est presque du papier toilette. Les gens n’y accordent leur confiance que parce qu’ils acceptent la souveraineté des Etats
Que lui reprochez-vous ?
Il est particulièrement inefficace et inégalitaire, non ? En Afrique, presque personne ne possède de compte bancaire. Ici, les gouvernements sont de plus en plus intrusifs en ce qui concerne notre argent. Les banques se comportent presque comme la police. Depuis dix ans, elles ne constituent plus tant un service qu’une entrave à la liberté des individus. Via les banques centrales, les Etats peuvent imprimer autant d’argent qu’ils veulent quand ils le veulent. C’est une forme de taxe cachée, à partir d’un système monétaire obsolète, auquel les nouvelles générations ne font plus confiance. D’où cette question cruciale : pourquoi devrions-nous utiliser cet argent ?
Quelle serait l’alternative ?
Je veux rendre aux gens leur argent. Je veux qu’ils aient un compte en banque dans leur poche, qu’ils puissent signer instantanément des transactions avec qui que ce soit, sans limites et sans intermédiaires. Voilà pourquoi je crois au principe des cryptomonnaies. La seule manière de se substituer au rôle défaillant des institutions et des gouvernements, c’est de sécuriser chaque transaction via un grand réseau d’ordinateurs.
Pour les économistes, les cryptomonnaies sont de purs produits spéculatifs, sans valeur intrinsèque, et dont le cours est uniquement lié à la confiance qu’on daigne leur accorder…
Mais quelle est la valeur réelle de la monnaie actuelle ? Avant, elle était liée à l’or. Ce n’est plus le cas depuis des décennies. L’argent d’aujourd’hui, c’est presque du papier toilette, pas vrai ? Et les gens y font confiance uniquement parce qu’ils acceptent la souveraineté des Etats à ce niveau. Or, pourquoi devrait-on leur faire confiance ? S’ils gèrent mal cet argent, il n’y en a plus. Cet argument n’a pas de sens.
Récemment, vous écriviez pourtant sur Twitter que vous haïssiez ce que le bitcoin était devenu. Pourquoi ?
Le bitcoin classique est un problème. L’ambition au départ était de permettre aux gens de reprendre le contrôle de leur propre argent, pas de s’enrichir en spéculant sur sa valeur. Les frais de transaction étaient censés être très bas, mais Blockstream (NDLR : une société californienne qui fournit la technologie de base du bitcoin) a pris le leadership sur la blockchain sans en augmenter la taille, ce qui a engendré des surcoûts importants. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé avec d’autres personnes le Bitcoin Cash, qui renoue avec les principes originels et bien plus sains du bitcoin. Je suis aussi un grand fan de l’Ethereum. Ce sera, à mon avis, la nouvelle valeur montante parmi les cryptomonnaies. L’important, aujourd’hui, c’est de revenir aux fondamentaux. Et de faire en sorte que chaque personne dans le monde puisse payer avec des cryptomonnaies, dans les magasins comme au restaurant.
Votre ambition de créer un nouvel Etat, via votre projet Free Society, constitue-t-elle l’aboutissement de cette réflexion ?
Même si elle a été dévoilée en 2017, je travaille sur cette idée depuis dix ans, parallèlement à mon intérêt pour les cryptomonnaies. Ma réflexion tient en trois étapes. Après avoir libéré les moyens de communication avec Internet, puis mis en place un nouvel ordre monétaire, il manque encore une dernière étape : créer une société libre, dans laquelle les gens ne seront pas seulement maîtres de leur argent, mais aussi de leur mode et de leur cadre de vie. Il y a un peu plus d’un an, j’ai présenté mon projet à Roger Ver (NDLR : un investisseur américain dans le top 5 des millionnaires en bitcoins), qui m’a dit qu’il adorait l’idée. Mais d’autres libertariens dans le monde nous rejoignent.
Comment comptez-vous procéder ?
La solution la plus simple, c’est de convaincre un pays existant de nous vendre une partie de son territoire, en échange de souveraineté. Toutes les personnes intéressées pourront ensuite racheter une partie de ce territoire, moyennant la signature d’un contrat signifiant leur adhésion à la constitution de Free Society. Le principe, c’est que tout y sera régi par la propriété privée et par les lois du marché. Tout ce qui est habituellement public deviendra privé : les rues, la police, la justice… Il n’y aura aucun gouvernement. Les gens pourront payer avec la devise de leur choix, y compris, bien sûr, avec des cryptomonnaies. Ce sera une très belle société.
Mais comment établir des priorités pour investir dans des routes, ou construire des écoles, dans ces conditions ?
Tout sera réglé par le marché. J’imagine très bien des rues gérées et entretenues collectivement par leurs habitants. Les polices privées en compétition seront sélectionnées dans une zone déterminée en fonction de la qualité de leurs services. La justice passera par un arbitrage privé. Les habitants sauront mieux que quiconque s’ils ont besoin d’une école ou d’un supermarché. En apparence, ce ne sera pas si différent de notre société actuelle, si vous en enlevez tous les dispositifs publics inefficients.
Ne craignez-vous pas que le coût de la vie soit exorbitant si vous confiez tout au privé ?
Mais connaissez-vous un système proposé par le public qui soit moins cher qu’une initiative privée ?
Prenez l’accès aux soins de santé en Belgique, les différences de coûts entre une école publique ou privée…
Je comprends, mais si le coût des initiatives publiques semble bas, ce n’est vrai qu’en apparence. Cinquante à 70 % de notre argent part dans les taxes, pour garantir ces coûts supposément bas. Tout cela, c’est une illusion que créent les gouvernements. Les structures privées, une fois mises en compétition, seront moins chères.
En septembre dernier, Roger Ver annonçait pouvoir, de façon réaliste, » lever jusqu’à un milliard de dollars » pour ce projet. Est-ce votre objectif ?
Non, ça pourrait tout autant être dix milliards de dollars. Plus la somme sera élevée, plus nous aurons la possibilité de négocier un meilleur territoire. Avec 100 millions, nous pourrions certainement nous installer en Afrique. Mais ce n’est pas là que nous voulons aller. Avec plusieurs milliards, nous pourrions peut-être convaincre la Grèce de nous vendre une partie de ses îles, qui sait ?
Qui sont les investisseurs ?
Sans donner de noms, il y a notamment des grandes sociétés d’investissement. Le niveau d’intérêt est bien plus élevé que je le pensais initialement, d’autant que les discussions ont commencé dans le courant de l’année 2017.
Et les pays intéressés ?
Là encore, je ne peux pas donner de noms à ce stade des négociations. C’est évidemment sensible. Plusieurs pays ont manifesté un réel intérêt. Et nous n’avons pas encore contacté tout le monde. Nous voulons un endroit central, facile d’accès et proche d’une puissance économique existante. La Nouvelle-Zélande, par exemple, serait trop isolée. Notre Free Society, je la vois plutôt en Europe, sur le continent américain voire en Asie.
A quelle échéance pourrait-elle voir le jour ?
C’est un projet de haute qualité, nous ne voulons pas nous dépêcher. Dans un Etat classique, le gouvernement peut à tout moment décider de changer le cadre légal. Ici, ce ne sera pas possible : quand le contrat de base sera établi, on ne pourra pas le modifier. Il faudra donc quelques années avant que la constitution soit fin prête. Elle sera basée sur le fait que votre corps est votre propriété privée, et que vous pouvez en faire ce que vous voulez. Dans une telle société, les gens seront réellement libres.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici