Gabrielle Claes ou la transmission
Conservatrice de la Cinémathèque royale de Belgique, cette grande cinéphile défend la mémoire du 7e art avec une passion des plus communicatives
Dans ce bureau calme, situé à deux pas du palais des Beaux-Arts de Bruxelles, l’absence de Michel Apers, précocement disparu voici quelques mois, se fait toujours ressentir. La mort tragique de son adjoint et irremplaçable complice a creusé un vide cruel dans cette Cinémathèque royale de Belgique dont Gabrielle Claes assume la direction depuis 1989. Forte personnalité, travailleuse infatigable, celle qui a repris le flambeau porté haut par le génial Jacques Ledoux préside avec bonheur aux destinées d’une cinémathèque parmi les plus réputées internationalement.
Pourtant, rien au départ ne semblait promettre pareille responsabilité à la diplômée en philologie romane qui brigue un jour de 1968 le poste de… caissière du Musée du cinéma ! Mais autorisons-nous d’abord un flash-back, sur une enfant blonde et sage qui découvrit le cinéma avec Bambi, de Walt Disney. » Je sanglotais tellement qu’il a fallu me faire sortir de la salle ! » se souvient Gabrielle. » C’était à l’Ambassador, en face de la Bourse, à Bruxelles, et on prenait des photos dans l’entrée du cinéma. On peut voir, à la tête que je fais, que je n’étais pas enchantée… « , raconte celle dont le premier contact avec un sommet du 7e art fut une projection de Géant, le film de George Stevens, avec James Dean, Rock Hudson et Elizabeth Taylor. » J’étais avec mes parents, dans la grande salle de l’ancien Eldorado, place de Brouckère, et il y avait une horloge à côté de l’écran. Je regardais cette horloge en me disant ôMon Dieu, pourvu que cela ne finisse jamais ! » Je savais que le film durait trois bonnes heures, mais j’éprouvais une émotion si forte que j’avais envie d’arrêter le temps… »
Une vie au Musée
C’est vers l’âge de 16 ans que débuta pour Gabrielle Claes une fréquentation assidue des salles obscures et, notamment, dès son entrée à l’université, de celle du Musée du cinéma, qui avait ouvert ses portes en 1962. » A l’époque, nous ne faisions pas de différence entre aller au Musée et dans les salles commerciales, entre le fait d’aller voir des films anciens et des films nouveaux, commente-t-elle, alors qu’il y a aujourd’hui comme un frein chez les jeunes par rapport au cinéma du passé. » Ses études achevées, habitée du » syndrome, à l’époque largement partagé, d’envoyer les intellectuels couper la canne à sucre « , et refusant donc la carrière académique que lui ouvrait son diplôme, Gabrielle Claes se chercha un » vrai » travail, d’abord comme vendeuse dans une librairie, puis comme caissière au Musée du cinéma. » Cela me semblait parfait, explique-t-elle en riant : je gagnerais en quelques soirées l’argent que je viendrais ensuite dépenser dans le même endroit les soirées suivantes ! »
Mais Jacques Ledoux, conservateur de la Cinémathèque dont dépend le Musée, avait pour marotte de faire passer aux postulants des tests psychotechniques… qui révélèrent chez la future recrue une faiblesse en… calcul. Le chemin de la caisse était barré mais Ledoux, qui voyait clair, s’empressa de proposer à Gabrielle une place au centre de documentation. Elle allait évoluer rapidement vers des responsabilités dans la programmation du Musée. Après sept ans, » Ledoux n’étant pas quelqu’un de simple à vivre, et l’idée (me) venant que ce ne serait pas bien de rester toute la vie au même endroit « , Gabrielle quitta la Cinémathèque pour animer le (dernier) Festival de cinéma belge à Namur, puis travailler pour la productrice Jacqueline Pierreux et, enfin, devenir la collaboratrice du distributeur Didier Geluck ( NDLR : père de Philippe, et donc grand-père du Chat) à Progrès Films. Trois ans plus tard, rencontrant de nouveau Ledoux, ce dernier lui dit : » Il serait temps que vous reveniez à la Cinémathèque ! »
De retour au bercail, Gabrielle Claes allait idéalement épauler son mentor, puis prendre û à la mort de ce dernier û le relais dans la mission de conserver mais aussi de diffuser la mémoire du cinéma. Elle se fixe aujourd’hui deux défis : » Donner aux jeunes le goût de découvrir les films anciens, et réussir la transition vers le digital. » Un programme que cette femme de tête et de c£ur ne peut que mener à bien…
Louis Danvers
Forte personnalité, elle dirige une cinémathèque parmi les plus réputées du monde
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici