Covid: derrière la méfiance du vaccin, l’idéologie individualiste

En Belgique comme en France, la méfiance à l’égard du vaccin contre la Covid-19 semble s’attiser à proportion que la campagne de vaccination approche. Analyse.

Si l’hostilité aux vaccins est née dès l’invention des premiers vaccins, elle porte aujourd’hui des accents politiques et idéologiques bien particuliers. Auteurs de l’ouvrage Antivax. La résistance aux vaccins du xviiie siècle à nos jours (1), la professeure en immunologie Françoise Salvadori et l’historien des sciences Laurent-Henri Vignaud, décryptent ensemble le phénomène.

Trente pour cent de la population en Belgique, et 50% en France, sont soit méfiants soit catégoriquement opposés à l’idée de se faire vacciner contre la Covid-19. Que vous inspirent ces chiffres?

La méfiance ou le refus à l’égard des vaccins, ce n’est pas nouveau, ni en France ni en Belgique, patrie de l’un des plus acharnés ennemis de Pasteur, Hubert Boëns. Cependant, le phénomène s’accentue depuis quelques décennies, si ce n’est sous la forme d’un antivaccinisme radical, du moins sous celle d’un « scepticisme » concernant l’efficacité et la dangerosité de tel ou tel vaccin, typique des pays développés où les grandes maladies infectieuses ont notablement régressé (en partie grâce aux vaccins…). En France, il existe une défiance générale envers les autorités de santé, après plusieurs scandales sanitaires anciens ou plus récents (sang contaminé, amiante, Mediator, Dépakine), des politiques de communication « maladroites » (vaccination hépatite B, grippe H1N1) ou des discours contradictoires (communication sur les masques et les tests au début de l’épidémie de coronavirus). Si on conseille aux Français de se faire vacciner, beaucoup pensent d’abord qu’on leur ment, sur la sécurité ou l’efficacité des vaccins .

Rétablir la confiance passera sans doute par une très grande transparence dans la communication, et un engagement fort de l’état.

A quand remonte exactement cette réticence à l’égard de la vaccination et dans quel contexte est-elle apparue?

Dès qu’il y a eu vaccins, il y a eu antivaccins. Le débat est déjà vif au moment où est introduite en Europe (via la Turquie) la pratique de l’inoculation variolique, à propos de laquelle le siècle des Lumières se déchire. Cette pratique est dénoncée car étrangère, non chrétienne, pratiquée par des femmes, et non par des médecins. Certains religieux la condamnent car elle s’opposerait à la volonté divine. Lorsque Jenner invente vers 1795 le premier vrai vaccin (la vaccine, qui sert à immuniser aussi contre la variole), une opposition médicale naît chez ceux qui refusent de croire à l’efficacité de la méthode. A la fin du xixe siècle, lorsque d’autres vaccins sont inventés (dont celui de la rage par Pasteur, en 1885), certains contestent les résultats de la recherche bactériologique au nom d’une médecine holistique qui considère que la clé de la santé dépend de l’environnement et du mode de vie plus que des germes. Cette croyance que « la nature est bien faite » alors que le vaccin « artificiel » serait inutile ou dangereux est présente depuis très longtemps, et constitue toujours un des arguments les plus partagés par les sceptiques ou opposants.

Laurent-Henri Vignaud.
Laurent-Henri Vignaud.© DR

Par quoi se distingue la méfiance que nous connaissons aujourd’hui?

Le « vaccinoscepticisme » actuel est volontiers plus politique. Il se fonde sur la défense des droits individuels que la médecine vaccinale qui, par définition, est une médecine de masse (puisque pour être efficace il faut immuniser en grand nombre) vient souvent contredire. Il n’est pas banal que l’Etat se mêle du médicament que vous devriez prendre: le vaccin est préventif (les personnes que l’on vaccine ne sont pas malades, à de rares exceptions), il est fréquemment administré en sous-cutané (ni les adultes ni les enfants n’aiment les piqûres), il est actuellement produit par de grands laboratoires internationaux privés qui engrangent des bénéfices non négligeables, etc. Autant de circonstances qui éveillent la défiance du citoyen 2.0.

Les deux principales raisons qu’invoquent les opposants au vaccin sont la peur des effets secondaires et la rapidité avec laquelle ont été menés les essais cliniques. Dans quelle mesure ces deux arguments sont-ils audibles et quelles sont leurs faiblesses?

Pour ce qui est du vaccin anti-Covid, il est évident qu’on ne bénéficie pas du recul que l’on possède avec d’autres. On sait grâce aux essais qu’il n’y a pas d’effets secondaires graves et fréquents dans les semaines qui suivent l’injection ; pour le reste, il faut vacciner en masse pour le savoir. De même, il faudra attendre quelques années pour juger de l’efficacité à long terme des vaccins proposés. Mais la vaccination, comme tout autre médicament, se justifie par la balance bénéfices/risques: face à une maladie comme la Covid, qui n’est pas une « grippette », il peut valoir le coup de prendre un risque pour sauver sa vie, et aussi celle des autres autour de soi! Dans nos sociétés très individualistes, chacun a cependant tendance à se dire qu’il serait bien que ce soit le voisin qui prenne ce petit risque… D’un autre côté, des personnes vulnérables pourraient réclamer le vaccin, sans être assurées d’en avoir car la production de masse n’est pas encore lancée.

Covid: derrière la méfiance du vaccin, l'idéologie individualiste
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Face à cette méfiance, l’hypothèse de rendre le vaccin obligatoire est souvent évoquée dans le débat public. Qu’en pensez-vous à l’aune de votre enquête historique?

L’obligation se justifie pour certaines maladies et certains vaccins, pas pour d’autres. Une obligation vaccinale ne se décrète pas par caprice mais après avoir pesé les avantages et les inconvénients (parmi lesquels la possibilité de braquer une partie de l’opinion). Si le vaccin empêche seulement les formes graves et non la contagion, il est discutable de forcer à se faire vacciner. Si le vaccin empêche la contagion, c’est une option intéressante quand la maladie n’est pas maîtrisable par ailleurs ; elle peut être légitime pour un responsable politique qui, au nom du principe de précaution, a un devoir de protection des citoyens, notamment les plus fragiles. Une obligation ciblée (par exemple, les personnels de santé ou des maisons de retraite) est aussi possible. Quoi qu’il en soit, le débat semble prématuré dans la mesure où l’industrie pharmaceutique est loin de pouvoir fournir un nombre de doses permettant de vacciner des populations entières.

Dans ce cas, quels sont les outils et arguments envisageables pour une adhésion à la vaccination?

Pour qu’un vaccin soit accepté, y compris dans un régime d’obligation, il faut que l’Etat communique clairement et fermement. Puisqu’il existera plusieurs vaccins anti-Covid, le gouvernement devra dire pourquoi il choisit celui-ci plutôt qu’un autre, quel sera son prix, son efficacité, ses effets secondaires, comment seront engagées les finances publiques, s’il y aura remboursement ou participation, quels seront les lieux de vaccination, les populations prioritaires, les amendes encourues en cas de refus, etc. Rétablir la confiance passera sans doute par une très grande transparence dans la communication, et un engagement fort de l’Etat.

(1) Antivax. La résistance aux vaccins du xviiie siècle à nos jours, par Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, éd. Vendémiaire, 360 p.

Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, par Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, éd. Vendémiaire, 360 p.
Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, par Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, éd. Vendémiaire, 360 p.

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