Blood and horror
Le groupe néonazi, démantelé par la police, est né dans la mouvance des skinheads radicaux de Blood and Honour : des admirateurs de la Waffen SS et d’Adolf Hitler, qui prônent le terrorisme. Qui sont ces excités de la croix gammée ? Sont-ils dangereux ? Ont-ils des liens avec d’autres mouvements d’extrême droite ? Radioscopie
Je pensais que je connaissais bien BBET ( Bloed-Bodem-Eer-Trouw, soit Sang-Terre-Honneur-Fidélité). Qu’on ait trouvé des armes chez certains membres de ce groupe n’est pas vraiment étonnant. Mais des explosifs prêts à l’emploi et une quantité inimaginable de matériel de guerre ! J’en suis tombé de ma chaise. Il paraît évident que BBET joue à un autre niveau que les petits extrémistes qu’on a l’habitude de voir « , constate Marco Van Haegenborgh, du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR), qui suit les organisations Blood and Honour et BBET depuis plusieurs années.
Jusqu’ici, et surtout depuis la dissolution de la milice Vlaamse Militanten Orde (VMO) de Bert Eriksson en 1981, les groupuscules nazillons semblaient relever du folklore. Qui sont ces drôles d’animaux ? Des pères de famille frustrés ou des étudiants écervelés, pensait-on, qui s’éclatent en diatribes haineuses sur Internet, de braves citoyens discrets qui, le soir après le boulot, diffusent des tracts expliquant » comment faire grandir la race blanche » ou des skinheads néonazis qui se noient dans la bière aux concerts de musique Oï, le rock des skins radicaux. L’arrestation de onze militaires flamands, dans le Limbourg, et la saisie de deux fourgonnettes remplies, notamment, d’armes de guerre sophistiquées, d’explosifs, de gilets pare-balles, de silencieux, de masques à gaz et de lunettes de visée, ont secoué même les observateurs les plus avertis.
Selon les premiers interrogatoires, cet arsenal était destiné à commettre des attentats terroristes visant des hommes politiques. Il est vrai que le matériel découvert fait penser à celui de snipers, c’est-à-dire de tireurs isolés. Mais faut-il, pour autant, donner foi aux déclarations des néonazis appréhendés ? Les fanatiques de cet acabit ont l’habitude de bomber le torse… Quoi qu’il en soit, le BBET s’adonnait à un trafic illégal d’armes pour pouvoir se payer son matériel de guerre, un peu comme un junkie commence à dealer pour se fournir sa dose quotidienne. Deux trafiquants – des civils – ont d’ailleurs été mis sous les verrous.
C’est justement pour éviter que ce trafic ne prenne trop d’ampleur que le Parquet fédéral et le parquet de Termonde, qui enquêtaient depuis plusieurs mois sur ce dossier, auraient décidé de procéder sans délai à des arrestations, au lieu d’attendre que le SGRS (service de renseignement militaire) ne trouve quelles étaient les intentions précises du groupe. Les méchantes langues diront que le choix du moment pour passer à l’action n’était pas anodin : à un mois des élections communales, ces événements donnent du grain à moudre aux partis démocratiques, surtout flamands, pour mieux stigmatiser les extrémistes de tous poils qui se présentent aux élections. Comprenez : le Vlaams Belang.
Pour l’armée, par contre, cette affaire ne constitue pas vraiment une bonne publicité. Elle rappelle, une fois de plus, que, même si la grande majorité des militaires ne sont pas des néonazis, certains militants extrémistes sont néanmoins passés par l’armée. Parmi les plus connus : Bert Eriksson, le défunt leader du VMO, avait servi chez les paracommandos ; Paul Latinus, le fondateur du Westland New Post (WNP), était officier de réserve de la Force aérienne ; Hervé Van Laethem, du mouvement Nation et ex-chef de L’Assaut, fut instructeur de tir de missiles Milan… L’armée attire les fascistes car elle répond à leur idéal guerrier et de puissance.
Par ailleurs, il est étonnant que le principal suspect, Thomas Boutens ( lire ci-dessous), considéré comme le leader de BBET, ait pu organiser, à l’insu de sa hiérarchie, des week-ends de survie avec exercices de tirs sur des terrains militaires. Certes, le domaine de Bourg-Léopold est immense. Mais n’est-il pas inquiétant que le premier venu, en l’occurrence un simple soldat, puisse y faire ce qu’il veut, y compris tirer à l’arme automatique, en pleine clandestinité ? Ce défaut de surveillance des terrains militaires mérite à tout le moins une question parlementaire au ministre de la Défense André Flahaut (PS).
Pas assez radical
Qui sont les membres de BBET ? Selon l’organisation antifasciste flamande Blokwatch, le noyau dur du groupuscule compterait vingt-cinq activistes, principalement des militaires. De vrais excités de la croix gammée ! Le problème est que la propagande diffusée sur leur site Internet séduit et fanatise des dizaines de jeunes xénophobes sympathisants. Hans Van Themsche, l’auteur du double crime raciste d’Anvers en mai dernier, faisait partie de leurs fans…
Le BBET est apparu en 2004 au sein de l’organisation Blood and Honour Vlaanderen (B&HVL). Au départ, c’était un centre de formation idéologique qui publiait la revue trimestrielle clandestine Bloed-Bodem-Eer-Trouw (une devise nazie), faisant l’apologie du IIIe Reich et interviewant des négationnistes belges, hollandais, allemands. Le 19 mars 2005, BBET a organisé près d’Anvers un meeting de soutien au » prisonnier politique » Ernest Zündel, incarcéré en Allemagne pour ses écrits antisémites et négationnistes. Bien que la réunion ait été préalablement dénoncée par le site Internet antifasciste RésistanceS ( lire page 24) , elle s’est bel et bien déroulée, devant une centaine de personnes. Estimant que B&HVL n’était pas assez radical, l’équipe rédactionnelle de la revue BBET a fait dissidence pour former son propre groupe de combat. C’est cette cellule que visait l’opération policière du 7 septembre.
Pas assez extrêmes, les skinheads de Blood and Honour Vlaanderen ? Apparue au début des années 1990 comme la » Belgian division » du mouvement international Blood and Honour, basé en Grande-Bretagne, l’organisation flamande, qui est, elle aussi, dans le collimateur de la justice, cultive le culte nazi, adore ses idoles SS et prône le terrorisme pour établir l’Ordre nouveau. Elle s’est développée avec la caution idéologique de Bert Eriksson, l’ancien chef du VMO, à l’époque très proche de Karel Dillen, le fondateur du Vlaams Blok (actuel Vlaams Belang). Eriksson apparaît notamment sur des photos à la tribune de la division flamande de B&H lors d’une cérémonie célébrant, en 2002, la naissance d’Hitler, ou à la table du » Revisionistisch congres » organisé clandestinement par le même B&HV, le 2 mars 2002.
Blood and Honour Vlaanderen entretient d’étroites relations avec d’autres groupes néonazis flamands comme Groen-Rechts, des écologistes d’extrême droite, ou Vlaams Jongeren Westland, une autre organisation de skinheads extrémistes. Et du côté francophone ? » Il n’y a jamais eu de division wallonne ou bruxelloise de B&H, constate Manuel Abramowicz, coordinateur de la rédaction RésistanceS. Dans les années 1990, un journal amateur, Blind Justice, est apparu à Liège. Ses rédacteurs avaient des contacts avec les flamands de Blood and Honour et étaient proches du groupe néonazi L’Assaut de Hervé Van Laethem. » Ce dernier, condamné en 1993 pour actes de violence racistes, est le fondateur du parti Nation, dont plusieurs membres se présentent aux prochaines élections communales sur les listes du Front nouveau de Belgique (FNB), notamment à Charleroi et à Woluwe-Saint-Pierre.
Nation dément avoir le moindre » lien structurel ou organisationnel » avec Blood and Honour. » Il n’empêche que les skinheads radicaux restent nombreux au sein de Nation et particulièrement de Jeune Nation, l’organisation de jeunesse du mouvement. Ils partagent la même idéologie que les skins flamands de B&H « , estime Abramowicz. D’ailleurs, le 20 février 2005, lors de la manifestation anti-Bush organisée par le Comité nationaliste contre l’Otan, un groupe d’action lié à Nation, on pouvait apercevoir des membres des sections flamande et hollandaise de Blood and Honour. Qui se ressemble…
Thierry Denoël et Jef Van Baelen
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