Avis de sécheresse en Wallonie: les solutions pour y faire face
La probabilité d’une nouvelle sécheresse cet été est grande. Les agriculteurs wallons s’adaptent lentement à un phénomène amené à s’amplifier. La Région dispose-t-elle des infrastructures et des moyens financiers pour y faire face?
Dossier réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.
C’est un sujet sur lequel Hugues Falys est intarissable. Avec ses casquettes de gestionnaire de la ferme universitaire de Marbaix, à Louvain-la-Neuve, et d’éleveur de bovins dans son exploitation de Bois-de-Lessines, dans le Hainaut, cet agriculteur opère depuis quelques années une transition en vue d’ « affronter » les futures sécheresses. Pour nourrir son bétail, il a notamment opté pour la plantation de légumineuses, très résistantes et facilement cultivables sans pesticides. Sans avoir opéré ce passage, il aurait été droit dans le mur. Depuis 2017, les sécheresses se succèdent chaque été en Belgique et 2021 pourrait ne pas échapper à la règle. « Quand il ne pleut pas sur le sol belge, l’agriculture est sans aucun doute le premier secteur impacté », confirme Marnik Vanclooster, hydrologue et professeur à l’UCLouvain.
Quand il ne pleut pas sur le sol belge, l’agriculture est sans aucun doute le premier secteur impacté.
Hugues Falys n’est pas le seul à devoir opérer une transition. La Wallonie compte près de 13.000 exploitations agricoles et toutes sont impactées à échelle variable, des cultures de pommes de terre à l’élevage de bétail, qui doit être abreuvé et nourri alors que les prairies et les cours d’eau sont asséchés. Paradoxalement, pourtant, il ne pleut pas nécessairement moins qu’il y a vingt ans en Belgique. « On pourrait même dire que, selon les prévisions climatiques, il devrait y pleuvoir un tout petit peu plus », évoque le climatologue Jean-Pascal van Ypersele. « Ces pluies ne seront par contre pas réparties équitablement durant l’année: nous devrions observer une pluviométrie plus importante avec des périodes intenses en hiver, contre des étés plus secs. » Sur les terrains qui entourent la ferme universitaire, Hugues Falys et son équipe testent des solutions face à au phénomène: la culture du sorgo, céréale qui pousse habituellement en Afrique, ou encore la technique de non-labour, dont le principe est d’éviter de retourner la terre pour maintenir l’humidité. « Dans une parcelle, nous avons aussi planté de la luzerne, légumineuse autrefois courante en Belgique, que les agriculteurs peuvent faire pousser aux côtés de graminées. Une fois fauchée, elle offre du fourrage lorsque les prairies sont sèches et c’est même très nourrissant pour le bétail. »
La piste de l’agroécologie
Ni en Belgique, ni dans d’autres pays européens, il n’y a de solution miracle pour faire face aux sécheresses fortes. Il faut souvent s’adapter au cas par cas. Une piste semble toutefois obtenir la faveur des organisations agricoles wallonnes et même des pouvoirs publics: l’agroécologie. Sous ce terme sont rassemblées une série de pratiques plus résilientes: éviter les pesticides, développer les rotations de cultures, planter des haies et des arbres autour des champs ou encore, éviter de trop labourer. Impossible de dire quelle proportion d’agriculteurs du sud du pays adoptent la philosophie de l’agroécologie car elle n’est pas encadrée par un cahier de charges précis, comme le serait le label bio. Les experts de terrain disent généralement que le changement de mentalité, même s’il n’est pas encore majoritaire, est en marche. « Je dirais même que la Wallonie, sur le plan de l’agroécologie, a un peu d’avance sur la Flandre, qui reste assez majoritaire- ment dans une logique de pro- ductivité », souligne Matteo De Vos, expert en agriculture durable chez Greenpeace Belgique.
Un chiffre reflète notamment cette différence: en Wallonie, près de 12% des terres agricoles sont bio, contre moins de 1% en Flandre. Défendue par certaines associations, l’agroécologie a également les faveurs de la Région wallonne, notamment sous l’impulsion de la ministre wallonne de l’Environnement Céline Tellier (Ecolo), dont un des projets récemment mis en place est le soutien financier aux particuliers et agriculteurs dans la plantation de 4 000 kilomètres de haies ou un million d’arbres. Selon le professeur Vanclooster, « des techniques encore embryonnaires en Wallonie peuvent être développées, comme l’aménagement de bassins agricoles pour stocker l’eau de pluie ou encore, la réutilisation de l’eau usagée. »
Lire à ce sujet: L’ or bleu, atout de poids pour la Région
L’irrigation, critiquée
Face à l’urgence, les agriculteurs ne peuvent pas fonder leurs espoirs uniquement sur une adaptation qui nécessite parfois plusieurs années d’élaboration et un certain budget. Durant les été secs, « l’eau du robinet » n’est pas non plus une piste de solution en raison de son coût. Pour pallier le manque d’eau, certaines structures agricoles se lancent dans l’irrigation. Il s’agit plus simplement de forer un puits pour pomper l’eau des nappes aquifères afin d’arroser les terres ou d’abreuver le bétail quand les cours d’eau sont à sec. Le système, relativement coûteux, n’est dans la majorité des cas pas rentable pour une petite exploitation, mais peut l’être pour les plus grosses structures et pour certains types de cultures.
La Wallonie, sur le plan de l’agroécologie, a un peu d’avance sur la Flandre.
L’augmentation de l’irrigation se vérifie d’ailleurs dans les chiffres. Depuis cinq ans, les demandes pour des permis de classe 1 et 2, qui concernent tant les prises d’eau (de source, par exemple) que le forage de puits, ont augmenté en Wallonie: en 2020, 158 permis ont été octroyés, contre 115 en 2015. La moitié des permis octroyés concernent les provinces de Namur et de Luxembourg, généralement les plus durement frappées par la sécheresse. « Un des facteurs qui ont suscité une augmentation de demandes de permis est très certainement la grande vague de sécheresse de 2017 car nous avons observé un pic de demandes en 2018 », évoque Roland Masset, de la direction des eaux souterraines au SPW (Service public de Wallonie). Selon Yves Vandevoorde, coordinateur de la Fugea, organisation d’éleveurs et cultivateurs qui prône une agriculture durable, « forer dans la terre pour y puiser l’eau n’est pas forcément une solution à long terme. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ces demandes de permis pour l’irrigation des terres soient un jour limitées, voire interdites dans le cas où il manque d’eau dans les sols. » Il faut pourtant déjà trouver des solutions pour cet été: « La sécheresse 2020 a causé de 20 à 30 % de pertes agricoles », alertait l’année dernière Marianne Streel, présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA).
Le fonds des calamités
Pour réagir en urgence, la Région a mis en place, en 2017, une cellule sécheresse, composée d’une quarantaine d’experts de tous horizons, qui se réunissent une à plusieurs fois par mois pour émettre des avis et conseiller les décideurs. Mais la Région wallonne a surtout développé un mécanisme d’aide directe: le fond des calamités agricoles. S’ils sont pénalisés par la sécheresse, les agriculteurs peuvent demander, via leur commune et sur la base de critères précis (pourcentage de pertes, montant, etc.) un remboursement par le SPW, pour autant que la sécheresse soit reconnue en tant que calamité, ce qui fut le cas en 2020. « 253 communes (soit la quasi-totalité des 262 communes wallonnes) ont été touchées et ont demandé une reconnaissance de la sécheresse de 2020, dont le montant total sera connu en septembre prochain », souligne Pauline Biévez, porte-parole du ministre de l’Agriculture Willy Borsus. En 2018, la somme des fonds versés atteignait 34 millions d’euros. Un montant qui pèse forcément lourd dans le budget régional mais ne représente en réalité rarement plus de quelques milliers d’euros pour un agriculteur… payé parfois des années plus tard. Et vu que le phénomène est désormais susceptible d’être observé chaque été, le ministère de l’Agriculture entend purement et simplement clôturer ce fonds pour le remplacer – un plan est à l’étude – par une sorte d’assurance climatique, assumée à la fois par la Région wallonne et par un acteur privé. Un autre levier financier tient dans la nouvelle PAC (Politique agricole commune) de l’Union européenne. Discuté actuellement en coulisse entre les acteurs de terrain du sud du pays, un premier projet concret doit arriver cet été sur la table du gouvernement wallon, pour être ensuite présenté aux instances européennes et activé le 1er janvier 2023.
Une « forêt du futur »
Dans une forêt privée située à Bonlez, dans le Brabant wallon, une équipe de la Société royale forestière de Belgique (SRFB) scrute de jeunes cèdres de l’Atlas, plantés en 2018. Cette espèce, qui pousse habituellement dans le Maghreb et au sud de l’Europe, est peu présente en Belgique mais pourrait potentiellement intégrer nos forêts d’ici quelques décennies. « Cette plantation d’un hectare fait partie de notre projet Trees for future », souligne Nicolas Dassonville, spécialiste en reboisement et arboretums à la SRFB. « Cette initiative, lancée en 2018, est destinée à suivre l’évolution de vingt-cinq espèces d’arbres qui poussent principalement au sud de l’Europe et dans le bassin méditerranéen. Nous opérons ce qu’on appelle de la migration assistée. Sur vingt sites répartis à travers la Belgique, nous suivons l’évolution d’une centaine de parcelles. » Une initiative ambitieuse pour un enjeu qui l’est tout autant: nos forêts sont soumises à de nombreux problèmes sanitaires, tous plus ou moins liés aux changements climatiques. Un des dangers majeurs rencontrés en Région wallonne est le scolyte de l’épicéa. Le développement de cet insecte ravageur est favorisé par la chaleur et les épicéas y sont plus sensibles quand ils affrontent la sécheresse. Cette année encore, le ravageur a contraint bon nombre de propriétaires forestiers à abattre prématurément des centaines de milliers de mètres cubes d’épicéas.
Une sécheresse ne constitue pas en soi un risque grave pour un arbre, mais la succession d’épisodes de pénurie en eau provoque de gros dégâts: chute prématurée des feuilles, croissance ralentie, temps de récupération plus long ou encore vulnérabilité face aux parasites et aux agents pathogènes. Le hêtre est en danger, au même titre que le chêne pédonculé, le frêne ou l’épicéa. « Il faut, dès aujourd’hui, tester de nouvelles essences, qui pourraient s’adapter au futur climat belge, qu’on imagine proche du climat méditerranéen d’aujourd’hui », poursuit Nicolas Dassonville. A Bonlez comme ailleurs, une équipe de la SRFB analysera dans les prochaines décennies l’évolution du cèdre de l’Atlas à travers des critères précis: réaction aux intempéries, aux gelées tardives, aux parasites ou encore intégration dans l’écosystème. Le projet Trees for future est actuellement soutenu par des fonds privés, via des dons de particuliers et du sponsoring d’entreprise.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici