A nul autre pareil

Une ultime chance de voir (ou revoir) le grand ouvre percutant et bouleversant du Groupov liégeois, Rwanda 94, au théâtre de la Place, à Liège, qui propose aussi une création de Jeanne Dandoy, L’Axe du mal

Rwanda 94. Théâtre de la Place, à Liège, les 7, 8 et 9 avril, à 19 heures. L’Axe du mal, au Manège, à Liège, du 12 au 23 avril à 20 h 15. Tél. : 04 342 00 00 ; www.theatredelaplace.be

Immense et multiple, conçu à Liège, patiemment grandi en cinq années, cet ovni de la scène qu’est Rwanda 94 a présenté sa première forme au Festival d’Avignon, l’été 1999, et a ensuite parcouru le monde avec ses 6 tonnes de décors, ses quelque 35 interprètes, comédiens, musiciens, marionnettistes, techniciens… De Bruxelles à Montréal, de Liège au Rwanda, le spectacle-témoignage a été couronné par le public et par les professionnels, entre larmes et rage, yeux et oreilles écarquillés, neurones en bataille. Ce  » grand £uvre  » de la confrontation du réel et de la scène, imaginé par le collectif Groupov et mis en scène par son directeur Jacques Delcuvellerie, revient, peut-être pour la dernière fois, au théâtre de la Place, son fidèle par- tenaire.

Il faut se confronter à cette avalanche de mots, d’images et de sons qui, par le prisme de l’art, de sa rigueur et de ses moyens, pendant six heures (!), témoigne du génocide rwandais, interroge les faits, tente de les comprendre, dénonce les errements médiatiques, les camouflages et l’aveuglement des puissants. Pour qui et pourquoi ? Certes pas pour divertir, et pas avec la prétention naïve de changer le monde et d’arrêter les génocides, mais pour prendre la parole comme la prend tout théâtre civique et politique, appelant une forme de catharsis pour une  » tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants « , répond Jacques Delcuvellerie. Rwanda 94, c’est d’abord la parole nue, celle d’une rescapée des massacres, Yolande Mukagasana, témoin à chair vive, puis la parole docte d’un conférencier historien (Jacques Delcuvellerie lui-même), les jeux de l’électronique pour une fausse émission de télévision, des extraits de vrais reportages, d’autres paroles de honte et d’esquive, dans les bouches présidentielles, militaires et journalistiques. Ce sont aussi les masques et marionnettes, les cauchemars burlesques, le lancinant ch£ur des morts qui scande le spectacle, les mélodies africaines et la très intense musique de Garrett List qui s’insinue pendant la majeure partie de Rwanda et dont La Cantate de Bisesero (la colline des tueries et de la résistance) boucle admirablement les six heures de représentation.

L’£uvre du Groupov n’est pas un assemblage de moments, elle se structure, s’articule et interroge autant l’histoire et le présent que l’acte théâtral lui-même et la représentation du réel. Ce que n’a jamais cessé de faire le collectif depuis sa création, en 1980, au travers de spectacles souvent dérangeants, mais à la force de frappe certaine, ne reniant pas les sources épiques de Brecht, Piscator ou encore Peter Weiss. Des jalons ? La Mère, de Brecht, L’Annonce faite à Marie, de Claudel, Penthy Two, de et par Francine Landrain d’après Kleist, Trash, de Marie-France Collard, toutes deux chevilles ouvrières du Groupov avec Delcuvellerie.

Réceptacle d’artistes de toutes origines et d’arts divers, le collectif est à la source (ou collaborateur) de nombreuses créations, dont celles de Jeanne Dandoy, formidable comédienne par ailleurs, dont on verra aussi à Liège le tout nouveau spectacle, L’Axe du mal. Une expression bien d’aujourd’hui qui devrait nous mettre sur la voie de ce spectacle total, avec musique (Garrett List, toujours), marionnettes, vidéos et… comédiens. On y croisera l’Alice de Lewis Caroll au pays des merv… non, des horreurs très américaines, genre  » serial consommatrice  » McDo. Une mise en jeu et à distance par l’absurde et l’onirisme, des arrogances, suffisances et sous-cultures du pays de l’Oncle Sam !

Michèle Friche

Une avalanche de mots, d’images et de sons qui témoigne du génocide rwandais

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