A l’écoute
Pour continuer à être « constructeur d’histoires » malgré ses salles fermées, le Théâtre national a opté pour la voie du son. Début février, il lance un catalogue de fictions radio accessible gratuitement via une application. Belle idée.
C’est un projet que Fabrice Murgia (lire aussi page 38), fervent auditeur de podcasts, caresse depuis son arrivée à la direction du National et que le confinement qui cadenasse toujours les salles de spectacle lui permet de réaliser. « Il n’est pas écrit dans notre contrat-programme que le National doit faire de la fiction radiophonique, explique-t-il, mais il fallait qu’on invente un projet qui puisse répondre à la situation du moment et engendrer de l’emploi. La fiction radio, qui n’est pas l’enregistrement d’un spectacle mais une vraie création sonore, nous permet de sortir des contenus rapidement et d’ouvrir les imaginaires. Avec cette nouvelle application téléchargeable sur le site du National, nous créons un nouveau canal de communication avec le public. C’est comme une scène digitale, une salle du National qu’on a dans sa poche. »
Ne pas avoir l’image, c’est en réalité une force.
Pour ce catalogue regroupant à terme une cinquantaine de capsules sonores de durées diverses (de cinq minutes à une petite heure), le National peut se reposer sur un outil précieux, bien caché dans son sous-sol: un studio d’enregistrement, installé quelques années après l’in- auguration du bâtiment du boulevard Jacqmain, à Bruxelles, en 2004. « On y enregistre d’habitude des spots radio, des voix off et de la création musicale pour des pièces », précise Jeison Pardo Rojas, responsable du service son au National. Le studio est doté d’une cabine vaste et parfaitement insonorisée et d’un appareillage qui permet d’enregistrer jusqu’à 24 pistes simultanément.
C’est ici que, à cheval sur 2017 et 2018, Chiara Todaro et Guillaume Abgrall ont mis en boîte La Brebis galeuse, adaptation radiophonique de la pièce d’Ascanio Celestini La pecora nera. Réalisée avec le soutien de l’ACSR (Atelier de création sonore radiophonique), La Brebis galeuse a décroché plusieurs prix, dont le prix Fiction sonore aux Phonurgia Nova Awards en 2019. « Après plusieurs documentaires radiophoniques, nous voulions nous lancer dans la fiction, mais en partant de quelque chose d’existant, signale Chiara Todaro. Nous avons choisi Ascanio Celestini car il interprète sur scène ses spectacles en improvisant beaucoup. Cette manière très orale de mettre en scène colle bien avec la pratique de la radio. »
Pour conserver cette oralité, l’adaptation s’est faite sur base d’un enregistrement en italien de La pecora nera, réduit de 2 heures à 45 minutes, avant d’être traduit à l’oreille en français et directement enregistré par Patrick Bebi, traducteur fidèle de Celestini. C’est sur cette base sonore qu’a travaillé David Murgia, autre familier de l’univers de l’auteur italien ( Discours à la nation, Laika, le récent Pueblo, interrompu par la Covid), pour incarner le personnage principal, Nicola, racontant ses trente-cinq ans d' »asile électrique ».
Travail plastique
« Ne pas avoir l’image, c’est en réalité une force, précise Guillaume Abgrall. On propose des silhouettes que l’auditeur va compléter. Parfois, il vaut mieux ne pas trop décrire, pour que chacun puisse se créer son image. Il faut trouver un équilibre entre musique, bruits et voix, avec tout un travail plastique sur le son. Par exemple, dans la scène du supermarché de La Brebis galeuse, les bips de la caisse se transforment en musique, avec une batterie qui s’emballe, on passe le bruit de la machine à couper le pain à l’envers… On déstructure chacune des matières pour reconstruire autre chose. »
La Brebis galeuse figure parmi les premières propositions du catalogue du National. On y retrouvera aussi, entre autres, Dans la caverne, de Filippo Ferraresi, qui retrace la première fois qu’une communauté vivant dans une grotte se retrouve face à un dessin sur une des parois. Mais aussi le Collectif Wow, qui avait signé la formidable fiction radio live Piletta ReMi ; une immersion en Syrie ; ou encore le portrait d’un territoire censé accueillir un projet d’enfouissement de déchets radioactifs. Vincent Hennebicq, qui a travaillé à la coordination du catalogue en tant que conseiller artistique à la programmation au National, planche, quant à lui, sur une version radio de son spectacle La Bombe humaine, écrit et joué avec Eline Schumacher, dont la création, prévue en décembre dernier, a été – pour l’instant – reportée fin février.
Vu en répétition, La Bombe humaine, se présente comme… un podcast en live, making of des recherches du duo autour de l’anthropocène et des changements climatiques, mais aussi de la manière de créer un spectacle en restant cohérent avec ces préoccupations. Le spectacle sera retravaillé, réenregistré pour passer uniquement par les oreilles. « En utilisant le son, on peut avoir une certaine qualité de voix, des chuchotements, la sensation d’avoir vraiment quelqu’un à côté de soi, conclut Vincent Hennebicq. On se sent beaucoup plus concerné. Je suis convaincu que ça rend plus proche des actrices et des acteurs. » En attendant de les retrouver en vrai…
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