Dans ses oeuvres, l'artiste zaïrois Tshibumba impute au gouverneur du Katanga la responsabilité du massacre du 9 décembre 1941 au stade d'Elisabethville (Lubumbashi). © T. KALEMA/SULGER-BUEL LOVELL GALLERY

Union minière, le 9 décembre 1941: le bain de sang congolais occulté

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le 9 décembre 1941, à Elisabethville, capitale du Katanga, la Force publique ouvre le feu sur les travailleurs noirs de l’Union minière qui réclamaient des salaires décents. Eclairage sur cette page sanglante de l’histoire coloniale.

Quatre-vingts ans après la répression sanglante du mouvement de grève du personnel africain de l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK), de nombreuses zones d’ombre demeurent sur cet épisode dramatique de l’histoire coloniale. Il n’y a pas de récits concordants de la fusillade du 9 décembre 1941 à Elisabethville (l’actuelle Lubumbashi), capitale du Katanga, coffre-fort du Congo belge. Les ouvrages de référence sur l’histoire du Congo et les livres sur la saga de l’Union minière passent sous silence ou, au mieux, survolent les motivations des grévistes noirs et les responsabilités respectives des autorités coloniales et des dirigeants de l’UMHK, fleuron de la Société générale de Belgique. Dans leur rapport de 689 pages publié le 26 octobre, les experts de la commission parlementaire sur le passé colonial de la Belgique ne consacrent eux-mêmes aux événements qu’une seule ligne, page 203: « La répression violente d’une grève à l’UMHK en 1941 a été baptisée le massacre d’Elisabethville. »

Une simple grève a été qualifiée d’émeute, de rébellion, de révolution.

Les faits. Début décembre 1941, le personnel africain de plusieurs sites de l’entreprise minière arrête le travail. Les ouvriers, qui contribuent à l’effort de guerre, réclament une augmentation de salaire, de meilleures rations alimentaires… Le conflit a provoqué une hausse constante des prix des produits de grande consommation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique belge est mise au service de l’industrie de guerre alliée, ce qui rend le travail épuisant. En octobre, des ouvriers blancs avaient déjà débrayé et obtenu gain de cause. En revanche, pas question pour les dirigeants de l’UMHK de négocier ou même de discuter avec les travailleurs noirs, considérés par les coloniaux comme de « grands enfants ». Le major Michel Vincke, commandant militaire d’Elisabethville, fait disperser les manifestants et arrêter des meneurs.

Soldats de la Force publique, l'armée coloniale, pendant le Seconde Guerre mondiale.
Soldats de la Force publique, l’armée coloniale, pendant le Seconde Guerre mondiale.© U.S. NATIONAL ARCHIVES AND RECORDS ADMINISTRATION

Sommations sans effet

Le 8 décembre, l’entreprise prévient ses travailleurs que le gouverneur de la province, Amour Maron, leur parlera le lendemain matin à la plaine de football de la ville. Plus d’un millier d’ouvriers noirs en tenue du dimanche sont au rendez-vous, certains accompagnés de leurs épouses. La Force publique (l’armée coloniale), armée de fusils et de mitraillettes, prend position face à la foule. Les officiels belges se placent derrière les soldats. Le gouverneur charge l’administrateur territorial René Marchal, qui parle kiswahili, de convaincre les grévistes de reprendre le travail. L’émissaire estimera que ces derniers n’avaient aucune « intention belliqueuse ». Il n’a pas l’autorisation de leur faire des concessions et sa mission échoue.

Les sommations, énoncées en lingala, la langue officielle de l’armée coloniale, que la plupart des travailleurs ne comprennent pas, restent sans effet. Dans son rapport daté de 1946, René Marchal raconte que le capitaine De Milde ordonne à ses hommes d’avancer, baïonnette au canon. Les soldats, hésitants, auraient plutôt progressé à coups de crosse. L’un des grévistes aurait alors tenté de s’emparer d’un fusil. Un coup de feu serait parti, déclenchant la fusillade générale.

Grâce à Jules Marchal

Officiellement, les tirs ont fait 48 morts (45 hommes, deux femmes et une jeune fille) et 74 blessés. Une cinquantaine de blessés seraient décédés le lendemain, selon le syndicaliste belge Georges Lievens, sympathisant des manifestants. Les cadavres sont transportés de nuit vers le cimetière de la ville. Les corps sont inhumés sans rites de funérailles, loin des familles, par crainte de nouveaux désordres. « Le travail reprend dans tous les chantiers et usines de l’Union minière, raconte Jules Marchal, fonctionnaire territorial et diplomate retraité, qui a fouillé les archives coloniales et exhumé l’épisode sanglant dans Travail forcé pour le cuivre et pour l’or (1999). « La plus grande grève de l’histoire coloniale belge se termine. L’UMHK alloue une somme de 300 francs à la famille de chacune des victimes. Le 11 décembre, l’Union minière décide une hausse générale des salaires de 25% et de 50% par rapport à ceux d’octobre. »

Union minière, le 9 décembre 1941: le bain de sang congolais occulté
© BROOKLYN MUSEUM, 2010

« Un peu tard », juge l’administrateur territorial René Marchal, qui reproche à l’Union minière et au gouvernement de ne pas avoir cherché une « solution pacifique » au conflit. « La fusillade d’Elisabethville est présentée par le gouverneur comme une réaction de légitime défense de la troupe« , constate le chercheur belge d’origine congolaise Assumani Budagwa, qui s’efforce aujourd’hui de combler les lacunes des récits (lire son interview intégrale sur levif.be). « Une simple grève a été qualifiée d’émeute, de rébellion, de révolution. Des responsables de la direction de l’UMHK ont considéré les travailleurs noirs sous l’angle racial, alors que ces derniers se voyaient comme des ouvriers face à leur employeur, indépendamment de sa couleur de peau, de son autorité et de son prestige. Un malentendu fatal. »

Le prix du sang

Par la suite, l’oubli s’organise. La démonstration de force est occultée par la presse coloniale. Quelques mois après la grève, le capitaine De Milde bénéficie d’une promotion et le gouverneur Maron reçoit le titre d’inspecteur d’Etat. Il obtiendra de hautes distinctions honorifiques. Un jour, à l’anniversaire de la sanglante répression, des fleurs sont déposées sur le lieu du drame. L’Union minière fait alors disparaître le stade. Il devient un terrain vague, puis un dépôt d’immondices. Les événements du 9 décembre 1941 ne laisseront que de vagues souvenirs dans la population. Ils marquent pourtant la conscience collective, ce que traduisent des oeuvres de l’artiste zaïrois Tshibumba, qui impute la responsabilité du massacre au gouverneur.

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