Mélanie Geelkens
Une sacrée paire | « Féministes pardon. Parce que parfois, ça donne l’impression de ne pas être des vôtres, sans aisselle velue »
C’était le dernier achat avant le confinement. Vite ! Un pot de fond de teint. Certain.e.s accumulaient du PQ à en construire des châteaux et des pennes à en nourrir l’Italie entière… Chacun sa crainte. Une bonne mine, en confinement, c’est comme un antibiotique face au Covid-19 : inutile. Mais rassurant. Texto à une amie : « Ce matin, j’ai fait un truc dingue ! Je me suis maquillée. » Elle : « Mdr. Moi, j’ai mis du parfum. Mais pas de maquillage (selfie à l’appui). Je devrais faire un effort pour mon homme. »
Parce que pour soi-même, franchement, depuis que chaque jour ressemble à un dimanche, rien à secouer, d’un trait d’eye-liner et d’une bouche colorée. Plus de brushing, vive les leggings ! Une douche, oui, bon, sinon ça finit par sentir. Mais les rasoirs, au placard. #Restezchezvous, mais certainement pas en jupe, collants et talons. » Ça va nous faire bizarre à la fin de la quarantaine, quand on va recommencer à porter des soutiens-gorge « , tweetait l’humoriste Fanny Ruwet. 1 764 likes, 240 partages. Enfermées à la maison, mais les seins en liberté.
Tout le Web s’est marré, de ce à quoi les femmes allaient finir par ressembler. Ahahah, leurs têtes sans coiffeuse et sans esthéticienne ! Des yétis, hihihi. » Même en temps de pandémie, on ne les lâche pas. On leur rappelle encore à quel point on les réduit sans cesse à leur physique et à quel point être adéquate aux yeux de la société, c’est s’astreindre à diverses injonctions « , postait Noémie, la fondatrice du compte Instagram Meuf Cocotte. 4 316 likes.
Des bisous, virus chéri. Merci de libérer les filles, comme ça. Du male gaze, ce regard masculin qui, même absent, plane toujours. Inconscient. Intégré. Destinataire des talons aiguilles, porte-jarretelles, tickets de métro et autres balconnets. Délivrées des crèmes, de la cire et du gloss. D’autant plus soulagées de se dire que c’est bien mieux pour la santé.
Sauf qu’au bout de deux semaines, comme une folle envie de se tartiner la face de ce » beige sable 01 « . Et les ongles de ce » kisses from Havanna « . Même pas pour aller faire la file de caddies à l’entrée du Lidl, pour s’enhardir à faire un petit jogging ou parce que le soir, il y a e-pero. Juste pour mieux se croiser dans le miroir. Soi-même.
Féministes, pardon. Parce que parfois, à vous lire, à vous entendre, certaines, ça flanque des complexes de brebis galeuse d’aller rectifier sa repousse tous les trimestres chez le coiffeur. Ça donne l’impression de ne pas être des vôtres, sans aisselle velue. Ça fait craindre d’être une suppôte du patriarcat, en bas résilles et mascara. Parce qu’on le sait, que le type qui a inventé le bâton de rouge à lèvres devait fantasmer la trace que ça laisserait sur son… soit. Que les poils n’ont rien de dégueulasse, peu importe qui passe sa langue dedans. Que le concepteur du premier soutif (un homme, oui) devait peu se tracasser de soulager des maux de dos. Que l’évangélisateur du string (idem, d’ailleurs aussi à l’origine du push-up) n’avait jamais dû se promener lui-même une corde entre les fesses. Ni s’asseoir.
Alors, d’accord, un monde égalitaire idéal accepterait la beauté innée des femmes. Mais pas la peine de le nier : la plupart sont plus jolies avec une touche d’anticernes et de fard à joues. Plaire aux hommes, en fait, et alors ? Se plaire à soi-même, d’abord. Le visage immaculé ou lourdement fardé, à chacune de décider. Comprendre le male gaze, voire en jouer, ne veut pas nécessairement dire le subir. Armes égales. Chacun.e les siennes.
Le confinement n’épargne pas les » colleuses « , ces activistes qui, en France et en Belgique, placardent les murs de slogans dénonçant les féminicides. Mais le collage virtuel a pris le relais. Des associations proposent même de s’en charger pour celles et ceux qui ne maîtriseraient pas l’outil informatique. Un slogan et une adresse envoyés par mail (par exemple à collage@pasfeerique.com), et hop ! le texte orne une façade ou un mur à la grâce d’un photomontage. Un activisme virtuel pour combattre le phénomène des violences conjugales, qui n’aura jamais été autant réel qu’en temps de coronavirus.
Calfeutré.e.s chez soi, bénis soient Netflix et les films programmés par les chaînes télé ! Entre deux navets, une idée d’occupation : le test de Bechdel. Inventé en 1985 par une dessinatrice BD et son amie, Alison Bechdel et Liz Wallace, il s’offre une deuxième jeunesse sur les réseaux sociaux en ces temps de lockdown. Et consiste en trois questions : le film ou la série comptent-ils au moins deux personnages féminins nommés ? Parlent-ils ensemble ? Si oui, d’un sujet sans rapport avec un homme ? Attention : le degré de masculinité des oeuvres pourrait surprendre.
Idée d’occupation numéro 3 sous corona : (re)lire Chez soi, de Mona Chollet, journaliste et essayiste, auteure du désormais bestseller Sorcières. La puissance invaincue des femmes « . Publié en 2015, cet ouvrage s’interroge sur la notion de domicile. Habitons-nous réellement nos logements ? Comment ceux-ci reflètent notre identité sociale et constituent des échappatoires aux injonctions sociales ? A méditer. Y a quand même rien d’autre à faire.
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