Un journaliste belge rencontre Bachar el-Assad
« Les F-16 belges n’ont rien à faire en Syrie. » C’était là le message du président syrien Bachar el-Assad aux journalistes belges venus lui parler lundi dernier à Damas. Entretien avec notre confrère de Knack.
Une délégation belge invitée par le gouvernement syrien est en visite en Syrie du 1er au 8 février. Chapeautée par le député Filip Dewinter (Vlaams Belang), la délégation se compose des membres de son parti Jan Penris et Frank Creyelman ainsi que d’Aldo Carcaci du Parti populaire. Elle est accompagnée de journalistes de Knack, VRT et Sudpresse. Le régime syrien est soucieux de montrer qu’il reprend les rênes en mains et souhaite se présenter comme un allié indispensable dans la lutte contre l’État islamique et le fondamentalisme musulman qui gagne du terrain. En même temps, la Syrie souhaite se débarrasser au plus vite des embargos imposés par plusieurs pays. Ils découlent du fait que depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie en 2011 les organisations de droits de l’homme ont rassemblé d’innombrables témoignages sur les violences commises contre la population civile, régulièrement commises par l’armée syrienne et sous la responsabilité du gouvernement syrien. Et donc de Bachar el-Assad.
Au début de sa présidence en 2000, Assad incarnait pourtant l’espoir de l’Occident de réformes prudentes dans un pays en « état de siège » ininterrompu. Bachar, le second fils du président Hafez el-Assad, n’était pas destiné à suivre les traces de son père. Il a étudié la médecine et a suivi une formation supplémentaire d’ophtalmologue. Mais quand son frère aîné est mort dans un accident de voiture, Bachar est immédiatement revenu à Damas. Un mois après le décès de son père, il a été « élu » nouveau président de Syrie.
Le culte de la personne
Depuis, Bachar el-Assad est omniprésent dans son pays: partout, il y a des photos de lui, seul ou à côté de son père décédé. On voit son portrait à côté des autoroutes, sur les places et les villages, dans les hôpitaux, les commissariats de police, les casernes et les prisons, mais aussi dans tous les hôtels, les cafés et les restaurants. À Alep-Est, il faudra encore des années avant que les décombres soient déblayés, mais le régime a placardé des centaines d’affiches et de bannières à l’effigie d’Assad, pour montrer que là aussi c’est lui le maître. Un culte de la personne dont le président turc Recep Tayyip Erdogan ne peut qu’être jaloux.
La première rencontre avec le secrétariat d’Assad a lieu dans son palais de travail monumental, dans les collines à l’extérieur de Damas. C’est un immeuble massif, du même style que la Bibliothèque royale de Belgique, mais en beaucoup plus grand et doté d’une drève de centaines de mètres. Étonnamment, l’intérieur est extrêmement sobre et même de bon goût : des murs nus avec ici et là de l’art moderne.
Le jeune staff du service de presse est aimable, mais décidé. Les journalistes belges peuvent poser toutes les questions qu’ils veulent, mais les Syriens contrôleront ce qui sort. Les caméras belges, les micros, et même les GSM ne sont pas autorisés auprès d’Assad. La mesure témoigne de l’obsession de sécurité du régime syrien : au Moyen-Orient, plusieurs politiques ont déjà été tués par des armes à feu ou des explosifs cachés dans une caméra.
Le lendemain, nous sommes conduits auprès du président Assad: on nous apprend que le président syrien, à nouveau pour des raisons de sécurité, déménage continuellement d’un palais à l’autre. Dans un quartier résidentiel de Damas, nous roulons vers un beau manoir, niché dans un jardin plein de cèdres. Le bâtiment, de style oriental, date de 1910, les dernières années de l’Empire ottoman. Ici encore, on ne retrouve aucun cliché de l’opulence orientale ou des palais des califes d’antan : un aménagement sobre et de bon goût.
C’est étrange de serrer la main du chef de l’état dont le portrait est omniprésent. L’homme de 52 ans affiche un bilan terrible en matière de droits de l’homme dans la guerre civile qui ravage son pays, mais il paraît bien élevé, intelligent et cultivé. Il parle parfaitement anglais et répond aux questions – du moins quand il le souhaite.
Monsieur le Président, fin janvier, des représentants du gouvernement syrien, les rebelles, l’Iran, la Russie et la Turquie se sont réunis à Astana, la capitale kazakhe, pour discuter d’un cessez-le-feu. Comment voyez-vous la voie vers la paix ?
Bachar el-Assad: Si vous parlez de paix, je peux vous dire que les négociations d’Astana en sont isolées. La question principale c’est comment arrêter l’afflux de terroristes vers la Syrie. Comment peut-on mettre fin au soutien de la Turquie, des États du Golfe ou de pays européens comme la France et le Royaume-Uni, ou encore des États-Unis ? Ce n’est que si cela cesse qu’on peut discuter d’une procédure politique. Il est trop tôt pour juger de la valeur d’Astana. Il est positif de garantir l’unité de la Syrie et de donner la possibilité au peuple syrien de décider de son avenir. Mais nous en sommes loin. Je pense qu’Astana aura encore des conséquences.
Entre-temps, nous avons vu d’innombrables atteintes au cessez-le-feu. Existe-t-il encore, ou est-il mort et enterré ?
Il n’est certainement pas mort. Il est normal d’avoir des atteintes individuelles au cessez-le-feu, c’est le cas dans tous les conflits. Cela ne signifie pas que le gouvernement ou n’importe quel parti prend l’habitude de porter atteinte au cessez-le-feu. Jusqu’à présent, il se maintient.
Tous les moyens sont-ils permis dans la lutte contre l’EI?
Qu’entendez-vous par tous les moyens?
Littéralement: tous les moyens.
Si vous voulez dire « tous les moyens militaires », je dis « oui, évidemment ». Les terroristes attaquent le peuple. Je ne parle pas que de l’EI, mais aussi d’Al-Nosra et des groupements liés à Al Qaïda. S’ils décapitent des citoyens et détruisent tout le pays, il est de notre devoir constitutionnel de défendre les citoyens syriens.
Mais vous avez vu les destructions massives à Alep. N’y avait-il pas moyen d’agir autrement ?
Depuis le début de la guerre en Syrie, nous avons fait tout notre possible. Nous avons essayé de réunir tout le monde aux négociations. Mais chacun sait que les groupes terroristes Al-Qaïda, Al-Nosra et l’EI ne sont pas prêts à dialoguer. Ils n’acceptent pas d’état de droit démocratique. En tant qu’Européen, vous devriez savoir ça. Je ne crois pas au dialogue avec Al-Qaïda et Al-Nosra. Cependant, si certains combattants acceptent ces conditions et se montrent prêts à rendre leurs armes, nous sommes évidemment prêts à leur accorder l’amnistie.
La Belgique a engagé six F-16 dans la lutte contre l’EI. Êtes-vous reconnaissant au gouvernement belge ?
Soyons francs: ce n’est pas du tout une opération contre l’EI. La coalition américaine contre l’EI était une opération purement cosmétique. C’était une alliance imaginaire, car l’EI a continué à se développer. En outre, l’intervention était illégale, car elle a lieu sans autorisation du gouvernement syrien. C’est une atteinte à notre souveraineté. Ils n’ont pas réussi à empêcher un seul mort civil syrien. Pourquoi devrions-nous leur témoigner de la reconnaissance ?
Vous avez déclaré plusieurs fois que c’est aux citoyens syriens à choisir leur leader. Êtes-vous prêt à démissionner, si c’est ce qu’ils veulent ?
Si le peuple syrien élisait un autre président, je ne devrais pas décider de faire un pas de côté. Je ferais un pas de côté. C’est évident, car la Constitution désigne le président ou le démet de ses fonctions, sur base d’un scrutin. Si vous ne bénéficiez pas du soutien du peuple, vous ne pouvez rien réussir en Syrie, certainement pas pendant une guerre. Le principal lors d’une guerre, c’est le soutien des gens pour reconstruire le pays, pour assurer la stabilité et la sécurité. Sans eux, vous ne pouvez rien faire. Donc la réponse à votre question, c’est oui, évidemment.
La famille Assad est au pouvoir depuis quarante ans. Pouvez-vous vous imaginer votre pays sans un Assad à la tête de l’état ?
Évidemment. Le pays n’est pas une propriétaire familiale. Le président Assad est décédé, j’ai été élu, et il n’y était pour rien. Quand il était président, je n’ai joué aucun rôle dans le gouvernement. S’il m’avait considéré comme son successeur, il m’aurait donné une fonction. Ce n’était pas le cas. Beaucoup de médias occidentaux ont prétendu lors de mon élection que j’avais succédé à mon père ou qu’il m’avait donné la présidence, mais c’est faux. La Syrie appartient aux Syriens, et tout citoyen syrien peut prétendre à cette fonction.
L’UE ou l’OTAN peuvent-elles jouer un rôle dans la reconstruction de votre pays ?
Vous ne pouvez pas jouer ce rôle et en même temps détruire la Syrie. Depuis le début, l’UE soutient les terroristes en Syrie, qui opèrent sous différents dénominateurs : « humanitaires » ou « modérés » etc. Alors qu’en réalité, le soutien allait à Al-Nosra et EI, extrémistes depuis le début.
L’UE et l’OTAN doivent d’abord et avant tout adopter une position très claire à l’égard de la souveraineté en Syrie. Elles doivent cesser de soutenir les terroristes. Les Syriens pourront alors accepter que ces pays jouent un rôle. Ceci dit, posez cette question à n’importe quel Syrien, et il vous répondra : « Non, c’est inacceptable. Ces pays ont soutenu les gens qui ont démoli notre pays, nous ne voulons pas d’eux. »
La Belgique a-t-elle un rôle à jouer en Syrie, selon vous ?
Je parlerai de la position de l’Europe en général. Beaucoup de personnes de notre région estiment que politiquement les Européens n’existent pas. Ils suivent tout simplement leurs maîtres : les Américains. Cette question concerne donc les États-Unis, et l’Europe va simplement instaurer ce que veulent les Américains. Les états membres de l’UE n’existent pas en tant que pays indépendants – et la Belgique est membre de l’Union européenne.
À Washington, c’est Donald Trump qui est désormais au pouvoir. Qu’attendez-vous de lui ? Avez-vous l’intention de collaborer étroitement avec lui?
Les déclarations de Trump, pendant et après sa campagne, sont prometteuses. Il fait de la lutte contre les terroristes une priorité, et surtout l’EI. C’est ce que nous demandons depuis six ans. C’est prometteur, mais nous attendons de voir. Il est encore trop tôt pour en voir les effets. Demain, il y aura une coopération entre les États-Unis et la Russie. Ce serait positif pour le reste du monde, la Syrie comprise.
Si vous regardez en arrière, y a-t-il des choses que vous regrettez?
On peut regretter chaque erreur. C’est valable pour toute personne.
Avez-vous commis des erreurs?
En tant que personne, je dois commettre des erreurs. Sinon, je ne suis pas humain.
Que considérez-vous comme une erreur?
Quand on prend une mauvaise décision, ou qu’on fait quelque chose de mal. Cela dépend de la situation. Mais si vous voulez parler de la crise, ce que je déduis de la question, je peux vous dire que dès le début nous avons pris trois décisions. Lutter contre le terrorisme – une bonne chose d’après moi. Entamer le dialogue avec les Syriens- une bonne chose d’après moi. Et répondre à toute initiative politique, sincère ou non- – une bonne chose d’après moi. Et nous avons soutenu la réconciliation entre les Syriens.
Cette guerre aurait-elle pu être évitée ?
Avant la guerre il y avait beaucoup de problèmes en Syrie, et il y en a toujours. Cela fragilise notre pays. Mais ce sont les pays comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis qui ont abusé de la situation : ils ont voulu déstabiliser la Syrie.
Vous venez de recevoir une délégation parlementaire belge informelle représentée par Filip Dewinter (Vlaams Belang) et Aldo Carcaci (Parti Populaire). Les considérez-vous comme des amis ?
Ces visites ne sont pas une question d’amitié. En tant que politique, on ne vient pas en Syrie pour rendre visite à un ami, on vient pour observer la situation. Monsieur Dewinter et monsieur Carcaci ne viennent pas parce qu’ils seraient mes alliés politiques. Ils viennent parce que le gouvernement belge est aveugle, comme tant de gouvernements européens, à ce qu’il se passe en Syrie – et parce que par conséquent il ne peut pas y jouer de rôle. Leur délégation vient au nom de toute la population belge, elle est leurs « yeux ». Quand ils me parlent, ils ne le font pas pour moi personnellement. Ils le font parce que je suis un des acteurs du conflit syrien, et il est évident que c’est mon point de vue qui sera abordé.
Après les victoires d’Alep et de Wadi Barada, vos troupes se rapprochent d’Al-Bab. Pensez-vous que leurs victoires importantes puissent changer l’attitude des gouvernements européens à l’égard du gouvernement syrien ?
Vous devez leur poser cette question. En ce qui nous concerne, c’est notre guerre. Nous devons libérer chaque centimètre de territoire syrien des terroristes. Tant mieux, si les gouvernements européens pensent que leurs efforts étaient vains : peut-être qu’alors ils cesseront de soutenir des groupes terroristes non soutenus par la population syrienne, qui peuvent compter uniquement sur l’Europe et les États du Golfe wahhabites, et qui ne souhaitent que développer le terrorisme et l’extrémisme en Syrie.
Ces deux dernières années, le monde a changé. Les États-Unis ont changé, la situation en Syrie a changé, tout comme toute cette région. Cependant, deux choses n’ont pas changé. Un : Al-Qaïda est toujours là, par le biais de l’EI et d’Al-Nosra. Et deux : la mentalité des représentants européens reste la même. Ils vivent dans le passé.
Après la guerre, la Cour pénale internationale de La Haye doit-elle examiner les crimes contre l’humanité commis contre la population syrienne ?
Nous savons tous que ces institutions sont partiales, et influencées par les Américains, les Français et les Britanniques. La plupart d’entre elles n’assurent pas du tout la stabilité dans le monde, elles n’essaient pas de faire triompher la vérité. Elles sont politisées. Accomplir l’agenda des Américains, des Français et des Britanniques : c’est la seule chose qui compte.
Il est de mon devoir de président – et il en va de même pour le gouvernement et l’armée- de défendre la Syrie, avec tous les moyens disponibles. Ce que pense la Cour pénale ou n’importe quelle autre institution internationale nous laisse indifférents.
Acceptez-vous les résolutions sur la Syrie des Nations Unies?
Elles aussi sont généralement partiales. C’est peut-être pour cette raison que la Russie et la Chine ont opposé leur veto, pour la première fois : elles savent de quoi il retourne. Donc non, nous n’acceptons pas les résolutions des Nations-Unies.
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