Gérald Papy
Tunisie: des vacances en démocratie (édito)
Les espoirs de démocratisation du monde arabe sont suspendus à l’issue de l’expérience tunisienne. L’édito de Gérald Papy, rédacteur en chef adjoint du Vif.
Il y a quelques années, les responsables du tourisme de ce petit bout d’Afrique avaient choisi comme slogan d’une campagne à destination des visiteurs européens « Le pays proche ». Proche, la Tunisie l’est devenue encore un peu plus après les printemps arabes quand elle s’est profilée comme le seul Etat à choisir la voie de la démocratisation après les révoltes populaires qui ont ébranlé, à partir du suicide par immolation de Mohamed Bouazizi en décembre 2010 à Sidi Bouzid, les dictatures installées.
En regard de la Syrie, de la Libye et du Yémen plongés dans des guerres fratricides, de l’Egypte retombée sous l’emprise des militaires ou du Maroc et de l’ Algérie trop habiles à étouffer la contestation, la Tunisie faisait figure de laboratoire de la démocratie en monde arabo-musulman. Malheureusement, ces dix années de démocratisation ont donné lieu à leur lot de jeux politiciens minables, à des tentations d’exercice autoritaire du pouvoir, à l’extension de la gangrène de la corruption… Des Tunisiens sont redescendus dans la rue, les uns déçus par la détérioration de leur niveau de vie, les autres effarés par les dérives prédatrices des élus.
Ceux-là ont applaudi, le 25 juillet, la décision du président de la République Kaïs Saïed de suspendre les travaux du Parlement et de démettre le Premier ministre Hichem Mechichi, soutenu par le parti islamiste Ennahda, en s’appuyant sur l’article 80 de la Constitution qui l’autorise à prendre des mesures d’exception en cas de péril imminent pour le pays. La légalité du recours à cette clause de la loi fondamentale fait légitimement débat. Certes, les métastases sévères dans le pays de la crise de la Covid-19 et les errements de leur gestion par l’exécutif ont plongé un peu plus le pays dans le chaos. Relèvent-ils pour autant d’un « péril imminent »? Ce sont surtout les tensions entre la présidence et les islamistes ainsi que l’injustice ressentie face à l’impunité des élus corrompus, observées depuis plusieurs mois, qui ont miné la scène politique tunisienne.
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Le pays n’en est pas encore au stade d’une transformation radicale du pouvoir. Mais les actes de Kaïs Saïed depuis le 25 juillet font craindre à certains qu’il ne soit tenté par un autoritarisme de Raïs, à l’image du maréchal Abdel Fattah al-Sissi qui mit fin en 2013 à l’expérience démocratique et chaotique des Frères musulmans et de leur leader Mohamed Morsi en Egypte. On peut toujours se rassurer en rappelant que le président tunisien n’est pas un ancien militaire mais un professeur de droit constitutionnel.
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Populiste plutôt que putschiste, Kaïs Saïed, lui qui, candidat inconnu et sans parti, fut élu avec 72,71% des voix au second tour de l’élection présidentielle de l’automne 2019? Cruciale est la réponse à cette question. Car sont suspendus à l’issue de l’expérience tunisienne les espoirs, encore très mesurés, de démocratisation du monde arabe, d’enracinement de la confiance de ses populations en la démocratie, et d’adhésion des partis islamistes à ses valeurs.
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