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Timor-Leste: « Le souvenir est encore vif. Mais les Est-Timorais ont la volonté de se tourner vers le futur »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Indépendant depuis dix-huit ans, le Timor-Leste entretient des relations apaisées avec l’ancienne colonie portugaise et l’ancien occupant indonésien. Un modèle de démocratie dans la région.

Colonisé par le Portugal de 1596 à 1975, occupé par l’Indonésie à partir de 1975, le Timor-Leste, partie orientale de l’île de Timor, est le dernier Etat en date de la planète à avoir été décolonisé. En 1999, 78,5 % de la population se prononçaient en faveur de la séparation avec l’Indonésie lors d’un référendum. S’ensuivit une campagne de massacres et de pratiques de la terre brûlée menée par les militaires indonésiens. Néanmoins, l’Etat est-timorais voyait le jour le 29 mai 2002. Dix-huit ans plus tard, comment se porte-t-il ? Réponse avec Frédéric Durand, géographe à l’université de Toulouse II, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et auteur de Timor-Leste. Premier Etat du troisième millénaire (La Documentation française-Belin, 2011).

Le modèle international contemporain n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète.

Le Timor-Leste a-t-il trouvé une stabilité politique et économique ?

Oui, globalement. Le pays a la chance de disposer de réserves pétrolières et gazières lui permettant d’avoir une autonomie budgétaire et des revenus qui lui évitent de dépendre de l’aide internationale même s’il continue à être assisté. Le Timor-Leste a demandé depuis 2011 à pouvoir intégrer l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Ses membres ont reconnu les progrès réalisés. Timor-Leste devrait pouvoir la rejoindre prochainement.

Politiquement, est-ce une démocratie à l’occidentale ?

Oui. Les Timorais vont parfois plus loin que beaucoup de démocraties en voulant disposer d’un régime multipartite. Jusqu’à trente formations politiques sont en lice pour certaines élections. Ce qui peut conduire à fragiliser le pays. Ce multipartisme distingue le Timor-Leste de beaucoup d’Etats de la région qui sont plus autoritaires et qui, de ce fait, ont une stabilité politique plus grande. La recherche d’un consensus caractérise plus les régimes traditionnels asiatiques que le modèle démocratique à l’occidentale. L’usage de ce mode de fonctionnement peut créer des situations ambiguës notamment quand il n’y a pas de réelle majorité qui se dégage. C’est ce que l’on a observé par le passé au Timor-Leste à travers la rivalité entre les deux grands partis historiques, le Fretilin (Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental) dirigé par l’ancien Premier ministre Mari Alkatiri et le CNRT (Conseil national de reconstruction timoraise) piloté par l’ancien président Xanana Gusmao.

Les relations avec l’ancienne puissance occupante, l’Indonésie, sont-elles apaisées ?

Les relations ont été difficiles en raison des vingt-cinq années d’occupation et de la période du référendum qui s’est très mal passée. Mais, par pragmatisme, les dirigeants est-timorais ont préféré jouer la carte de l’apaisement. Cette attitude a été mal vécue par une partie de la population et par les associations des droits de l’homme qui ont trouvé que les gouvernements est-timorais successifs auraient dû réclamer un tribunal international comme pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda. Lauréat du prix Nobel de la paix 1996 et président de la République (2007 – 2012), José Ramos-Horta a formulé une bonne réponse en affirmant que c’est l’ONU qui aurait dû demander de le mettre en place pendant la période de transition entre le référendum et l’indépendance supervisée par la Mission des Nations unies au Timor oriental (Minuto). Un pays de la taille géographique et démographique du Timor-Leste doit forcément composer avec son grand voisin. S’il avait choisi de se lancer dans une procédure internationale contre l’Indonésie, cela aurait compromis ses relations de bon voisinage avec Jakarta et son intégration dans l’Asean.

Timor-Leste:
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Le Timor-Leste souffre-t-il encore de séquelles de l’occupation et de la colonisation ?

Il y a bien sûr de la souffrance. Des Timorais vivant encore aujourd’hui, y compris parmi les leaders, ont connu les périodes très troublées de l’occupation par l’Indonésie et de la fin de la période portugaise. Le souvenir est encore vif. Mais les Est-Timorais ont la volonté de se tourner vers le futur. Et de se rapprocher du Portugal. Le pays a choisi le portugais comme langue nationale à côté du tétoum, la principale langue vernaculaire. Un signal fort de maintien des liens. Avec le Portugal, le Timor- Leste peut ainsi bénéficier d’une relation avec l’Union européenne, un bailleur de fonds potentiel.

Comment jugez-vous le processus de décolonisation engagé par la France en Nouvelle-Calédonie ?

Par rapport à Timor-Leste, la situation est différente en Nouvelle-Calédonie. Celle-ci a également été une colonie de peuplement pour la France. Des communautés de métropolitains s’y sont installées et elles représentent aujourd’hui une proportion importante de la population. Au Timor-Leste, la plupart des Portugais présents à la fin de la période coloniale et au moment de l’invasion indonésienne sont partis rapidement. Autre particularité : d’un point de vue strictement légal, les Timorais, même pendant l’occupation indonésienne, étaient des citoyens portugais. Entre Kanaks et Caldoches, il y a en Nouvelle-Calédonie deux communautés qui doivent apprendre à vivre ensemble. Par rapport à l’issue d’un référendum, les enjeux sont différents.

L’organisation des Nations unies recense encore dix-sept territoires non autonomes qui, à part le Sahara occidental et Gibraltar, sont des îles. Pensez-vous qu’elles ont vocation à devenir indépendantes ?

Aujourd’hui, il faut vraiment tenir compte des volontés populaires. C’est en cela que les référendums sont intéressants. Certains peuples peuvent très bien accepter une tutelle ; d’autres peuvent souhaiter accéder à l’indépendance. Et beaucoup de nations de l’océan Pacifique, par exemple, continuent, par-delà leur indépendance, à être sous perfusion financière de leur ancienne puissance tutélaire ou coloniale. Ce n’est pas forcément gênant en soi. Pour la plupart d’entre eux, les Etats insulaires du Pacifique ne sont pas sur des routes commerciales majeures. Ils ne peuvent pas forcément espérer s’insérer dans la mondialisation. Certains peuvent avoir envie de développer d’autres projets de société, dictés notamment par les conséquences du réchauffement climatique. Il peut être intéressant de voir naître de nouvelles expériences bâties sur des conceptions différentes de la vie en société. Le modèle international contemporain n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète.

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