Tensions Ukraine/Russie: enfin un retour à la raison ? (analyse)
Début de retrait, contesté, de l’armée russe des régions frontalières de l’Ukraine, reconnaissance de la possibilité d’uneissue négociée : la confrontation entre la Russie et les pays occidentaux semble revenue sur la voie diplomatique. Mais tous les contentieux restent pendants.
LE CONTEXTE
Retrait d’unités de l’armée russe des abords de la frontière ukrainienne en raison de la fin des exercices militaires qui s’y déroulaient, annonce par le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, de l’achèvement prochain d’une partie des manoeuvres communes au Bélarus et reconnaissance par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov devant Vladimir Poutine que « nos possibilités de dialogue sont loin d’être épuisées » : la confrontation entre Russes et Occidentaux autour de l’Ukraine a connu les 14 et 15 février ses premiers véritables signes de désescalade depuis l’ultimatum adressé à l’Otan par Moscou en décembre. Une éclaircie insuffisante pour écarter un risque de guerre mais encourageante pour croire une négociation possible.
Leurre ou indice d’une avancée ? Alors que les bruits de bottes n’avaient cessé de résonner entre la Russie, le Bélarus et l’Ukraine pendant le week-end des 12 et 13 février, alimentés par les prévisions alarmantes de responsables américains, un retrait très partiel (et contesté par l’Otan), le mardi 15 février, des troupes russes stationnées à proximité de la frontière ukrainienne a ravivé l’espoir d’une victoire de la diplomatie sur l’option militaire dans la confrontation qui oppose Russes et Occidentaux, défenseurs de la souveraineté de l’Ukraine.
Bons offices européens
Le répit a été concomitant d’une visite du chancelier allemand Olaf Scholz à Kiev et à Moscou. Après la tournée similaire de son homologue français Emmanuel Macron les 8 et 9 février, les Européens sont montés en première ligne pour chercher les voix d’un apaisement. L’ arrêt de l’escalade des tensions, première étape du processus tel que développé par le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian le 14 février dans l’émission télé C à vous, aurait été atteint. La deuxième vise à trouver un terrain d’entente sur la question proprement ukrainienne. France et Allemagne ont relancé les discussions en ce sens sous le format dit « Normandie » (réunissant outre Paris et Berlin, la Russie, l’Ukraine et des représentants des régions séparatistes de l’est du pays) avec une apparente bienveillance des dirigeants russes et ukrainiens pour les faire progresser. Mais le cheminement s’annonce long et encore incertain.
« La question du statut des républiques séparatistes fait débat depuis plusieurs années en Ukraine. C’est un processus douloureux, souligne Coline Maestracci, doctorante au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB et spécialiste de la politique ukrainienne. N’oublions pas qu’au-delà de la dimension politique, cette question a une forte dimension humaine et sociale. Un sondage récent du centre Razumkov de Kiev indique que 53,4 % des Ukrainiens sont favorables au retour des territoires de Donetsk et de Louhansk à l’Ukraine, aux mêmes conditions que celles d’avant la guerre. Mais il faut également prendre en compte le point de vue des populations qui vivent dans les territoires séparatistes. Après huit ans de guerre, une partie d’entre elles vit ou étudie en Russie, qui peut être perçue comme offrant davantage de perspectives. Cela n’est donc pas qu’une question de concession géopolitique. De surcroît, la teneur des discussions de ces dernières semaines laisse penser que ce qui se joue dans cette nouvelle escalade dépasse la question du Donbass mais porte plus généralement sur une refonte des équilibres sécuritaires en Europe. »
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C’est la troisième étape du processus de désescalade évoqué par Jean-Yves Le Drian, de loin la plus épineuse. Le ministre français des Affaires étrangères rappelle avec fermeté que la Russie n’a pas à dicter le choix souverain d’un Etat comme l’Ukraine d’adhérer, ou non, à l’ Alliance atlantique. Les Occidentaux, avance-t-il en substance, ne se sont pas permis de contester la décision du Bélarus quand cet autre voisin occidental de la Russie, fragilisé par le mouvement d’opposition au résultat de l’élection présidentielle de 2020, a signé, le 4 novembre 2021, un accord sur une doctrine militaire commune avec Moscou, faisant évoluer le pays d’Alexandre Loukachenko d’une position de relative neutralité à celle d’une allégeance aux Russes. Il n’empêche, il faudra bien répondre d’une manière ou d’une autre à la demande de « garanties de sécurité » avancée par Vladimir Poutine. Et il est loin d’être acquis que l’offre occidentale d’ouverture d’un dialogue sur le contrôle des armements en Europe suffise à le contenter.
Population affectée
En toute hypothèse, l’apaisement actuel répond enfin à la volonté des citoyens ukrainiens qui, en dépit des pressions russes, mais aussi occidentales, subies ces derniers mois, ont toujours semblé privilégier la modération sous la houlette du président Volodymyr Zelensky. « Les autorités ukrainiennes ont fait preuve d’un grand sang-froid alors même que plusieurs chefs d’Etat occidentaux adoptaient une position particulièrement alarmiste et parlaient d’une attaque imminente de la Russie sur le territoire ukrainien. Le président ukrainien s’est adressé plusieurs fois à la population en demandant aux Ukrainiens et Ukrainiennes de ne pas céder à la panique », analyse Coline Maestracci. Ce qui n’a pas empêché que ce climat d’incertitude affecte profondément la population. La doctorante de l’ULB en donne pour preuve les résultats d’un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev, publié en février, qui montre que 48 % des Ukrainiens ont perçu les déplacements de troupes russes à la frontière comme « une menace réelle d’une invasion du pays à l’hiver ou au printemps 2022 », alors que 39,1 % estimaient qu’elle n’existait pas. « Il me semble que les Ukrainiens sont extrêmement lucides par rapport à la situation actuelle et savent qu’une désescalade dépend en grande partie du bon vouloir de Vladimir Poutine », ajoute Coline Maestracci.
Bizarrement, c’est aussi le calme qui domine de l’autre côté de la frontière, d’après la spécialiste qui séjourne actuellement en Russie. « Mon sentiment est que la situation ne semble pas aussi alarmante et prioritaire au sein de la société. Les Russes avec qui j’ai pu discuter ne croient pas en une nouvelle opération militaire. Le pays est pris dans des enjeux de politique interne et certains m’ont dit qu’une offensive coûteuse sur le territoire ukrainien ne serait pas populaire car elle aurait un impact sur l’économie, donc un effet direct sur la vie des citoyens », témoigne Coline Maestracci. Ce ressenti tant côté russe que côté ukrainien tendrait à confirmer un penchant à l’hystérisation de la situation par l’Occident. L’histoire dira si l’apaisement perçu le 15 février annonce le retour de la raison dans cette confrontation.
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