Taïwan: Pourquoi la tension monte entre la Chine et les USA ?
Déjà vives, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine connaissent une nouvelle poussée autour de la question de Taïwan, qui ressurgit avec acuité.
Après avoir perdu la guerre civile face aux communistes, les forces nationalistes chinoises se sont installées à Taïwan en 1949, créant leur gouvernement aujourd’hui régi par un système démocratique.
Les Etats-Unis, d’abord fidèles à cette République de Chine retranchée sur l’île, ont finalement instauré des relations diplomatiques en 1979 avec le pouvoir communiste contrôlant l’énorme territoire continental — au détriment de Taïwan.
Parallèlement, le Congrès américain a imposé à Washington de fournir à Taipei des armes pour son autodéfense. Mais pour autant, les Etats-Unis n’avaient jusqu’à présent jamais dit clairement s’ils interviendraient en cas d’invasion chinoise — une façon de maintenir la paix en décourageant les dirigeants taïwanais de proclamer une indépendance formelle.
C’est ce que l’on appelle « l’ambiguïté stratégique » des Américains.
Ce faisant, Washington va aussi loin que possible dans ses liens avec Taïwan, sans pour autant traiter ce territoire comme un Etat souverain. Une doctrine qui a permis de préserver le statu quo, même si elle agace la Chine, déterminée à opérer une « réunification » avec ce qu’elle considère comme une de ses provinces.
Que se passe-t-il?
Dans un contexte de confrontation sino-américaine sans précédent autour des ambitions grandissantes de Pékin sur la scène internationale, le dernier accès de fièvre semble aller au-delà des précédentes poussées.
Ce qui a attiré l’attention très récemment: un nombre record d’incursions d’avions de guerre chinois dans la zone d’identification de défense aérienne (Adiz) de Taïwan, un périmètre qui commence à 200 km des côtes taïwanaises.
Les Etats-Unis ont dénoncé des « provocations ». Surtout, leur président Joe Biden a affirmé que les Américains avaient « un engagement » à défendre militairement Taipei en cas d’attaque chinoise, semblant rompre avec « l’ambiguïté stratégique » — même si son équipe a ensuite nié tout changement de politique.
En fait, « l’activité militaire de la Chine autour de Taïwan s’est renforcée au cours des deux dernières années », relève Bonnie Glaser, du cercle de réflexion German Marshall Fund of the United States, évoquant aussi des manoeuvres simulant des débarquements ou des bombardements de ports taïwanais.
Pourquoi maintenant?
Pour cette analyste, un changement de taille a modifié les équilibres: « Cette dernière année, il a été constaté que l’armée chinoise est désormais en mesure, ou est sur le point de l’être, d’envahir Taïwan et d’en prendre le contrôle ».
Un haut responsable du Pentagone avait affirmé en mars que la Chine pourrait envahir l’île d’ici 2027.
Cette nouvelle donne a poussé les Etats-Unis et leurs alliés à s’activer pour dissuader Pékin de passer à l’acte.
Un responsable américain a ainsi reconnu début octobre la présence de soldats de l’US Army sur l’île pour former l’armée taïwanaise — confirmée pour la première fois cette semaine par la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen.
Sur le plan diplomatique, l’administration Biden tente de renforcer le statut de Taipei au sein des institutions de l’ONU.
Le précédent hongkongais a aussi joué un rôle déterminant.
En imposant sa domination sur l’ex-colonie britannique qui bénéficiait jusque-là d’une large autonomie, la Chine a semblé pour certains démontrer sa détermination à contrôler ce qu’elle considère comme son pré-carré. Dans ce scénario, Taïwan risquerait d’être le prochain domino.
D’autant que « la démolition dramatique par Pékin du modèle de Hong Kong » a « durci les dispositions de beaucoup de monde à Taïwan » contre le pouvoir chinois, dit Carl Minzner, de l’institut de recherche Council on Foreign Relations.
Sur les deux rives du détroit, les positions se sont donc radicalisées, comme aux Etats-Unis, qui ont vivement haussé le ton à l’égard de la Chine depuis la présidence de Donald Trump (2017-2021).
Que peut-il se passer?
Pour Carl Minzner, « avec Pékin qui augmente le nombre et l’intensité de ses activités militaires — aériennes, navales, sous-marines — dans les eaux autour de Taïwan, et avec d’autres puissances qui répondent par des activités similaires, il y a un risque accru d’affrontement accidentel qui pourrait échapper à tout contrôle et déclencher un conflit plus vaste ».
Le sort de Taïwan est de fait considéré comme le seul susceptible de faire glisser la confrontation actuelle au parfum de Guerre froide entre les deux superpuissances nucléaires vers une vraie guerre.
Certains experts redoutent que le président chinois Xi Jinping veuille pousser son avantage.
« La Chine prend garde depuis des années d’éviter une confrontation militaire avec les Etats-Unis », souligne toutefois Bonnie Glaser, estimant qu’en cas de conflit, elle « mettrait en danger tous ses autres objectifs ».
Pour elle, le risque de guerre, s’il existe, reste donc « faible ». Mais la Chine, prévient-elle, va continuer à « instiller la peur parmi les Taïwanais » dans l’espoir qu’ils finissent par se résigner à une « réunification ».
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