Swift : couper l’accès des Russes aux services financiers, l’arme « nucléaire » à double tranchant
Pourquoi les Américains et surtout les Européens hésitent-ils à exclure la Russie du fameux réseau interbancaire Swift, dont le siège se trouve à La Hulpe ? Entre crainte d’inefficacité à terme et risque d’effet boomerang. Explications.
Cette option « nucléaire » a été évoquée déjà bien avant l’invasion des Russes en Ukraine. Mais lorsque Poutine a engagé ses chars, mardi à l’aube, en direction de Kiev, la menace a été brandie de façon plus précise. En radio, quelques heures plus tard, le commissaire européen belge Didier Reynders citait en guise de sanctions envisagées contre Moscou celle de « couper l’accès des Russes aux services financiers ». Il fallait comprendre le réseau Swift, soit l’acronyme de Society for Worwilde Interbank Financial Telecommunication. Cette société coopérative de droit belge est installée à La Hulpe, à deux pas du château du même nom. Elle fonctionne comme un facilitateur de paiement pour des transactions internationales réalisées entre près de 12 000 banques et institutions financières de plus de 200 pays, parmi lesquelles près de 300 banques et institutions russes.
Depuis le début des années 1970, cette coopérative, qui aime rappeler sa neutralité, s’est imposée comme système de messagerie électronique sécurisée entre les organisations bancaires du monde entier permettant ainsi d’effectuer des paiements internationaux de manière rapide, comme une sorte de gigantesque dérivateur électrique. Grâce à son millier d’employés (le prince Lorenz y a travaillé dans les années 1990), Swift est devenu incontournable pour les échanges commerciaux. L’année dernière, la société la hulpoise a communiqué près de 12 milliards d’ordres de paiement. Si la Russie était exclue de ce super hub, cela ralentirait sérieusement les transactions entre ses banques et le reste de la planète connecté au réseau, avec des conséquences énormes pour son économie. A priori, cette artillerie financière majeure pourrait donc faire mal à Vladimir Poutine. Mais elle n’est pas sans risque.
Tout d’abord, en enrayant les échanges, elle n’aurait sans doute qu’un effet désastreux à court terme. Déjà menacés d’évincement en 2014 après leur blitz en Crimée, les Russes ont alors lancé leur propre SPFS ou système de transfert de messages financiers via lequel près d’une transaction sur cinq interne au pays est réalisée. Plusieurs dizaines de banques étrangères à la Russie, en Biélorussie, Arménie, Kazakhstan mais aussi Allemagne ou Suisse, sont désormais connectées à ce SPFS alternatif. Moscou pourrait également se tourner vers le système interbancaire chinois. Des négociations ont d’ailleurs été engagées, depuis quelques temps, pour intégrer le CIPS (Cross Borders Interbank Payments System), un système de compensation et de règlements créé en 2015 à Shanghai. Dans le contexte actuel et vu les bonnes relations sino-russes, cela pourrait se concrétiser plus vite que prévu. Enfin, sauf embargo officiel, il n’est pas non plus interdit aux banques, où qu’elles se trouvent, de trouver des solutions auxiliaires de messagerie pour continuer à échanger avec la Russie.
Une radiation de Swift pourrait aussi entraîner des dommages collatéraux importants pour les autres pays, en particuliers les Européens qui sont d’importants partenaires commerciaux des Russes, bien davantage que les Américains. Et ce, notamment au niveau de l’approvisionnement en gaz dont l’Allemagne et l’Italie dépendent pour passer l’hiver, sans parler de la Pologne à qui Gazprom fournit 80 % de ses besoins. Ces pays auraient des difficultés à honorer leurs factures de gaz auprès des Russes. La France est exposée dans une moindre mesure, mais elle a néanmoins beaucoup à perdre, son commerce avec la Russie représentant 10 milliards d’euros.
Bref, tout cela explique les réticences des grands Etats à pousser sur le bouton Swift, comme ils l’ont fait avec l’Iran et la Corée du Nord, il a quelques années. La Russie constitue un enjeu géo-commercial bien plus délicat.
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