Pourquoi le sommet USA-Corée du Nord a été « fantastique » pour Kim
Le dirigeant nord-coréen tire les dividendes du sommet de Singapour. Si la rencontre historique est aussi bénéfique pour Trump, l’est-elle autant pour les Etats-Unis ? s’interroge le spécialiste Thierry Kellner, qui redoute l’impact des tensions avec leurs alliés.
Ce fut » une rencontre fantastique « . Donald Trump a fait preuve de son habituel lyrisme pour qualifier les quelque cinq heures de sommet partagées avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, le mardi 12 juin, à l’hôtel Capella de Singapour. La rencontre historique a été sanctionnée par une déclaration commune envisageant la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Mais les véritables négociations ne commenceront que la semaine prochaine au niveau de hauts responsables des deux pays. Donald Trump, qui garde l’espoir d’un succès diplomatique d’envergure, et Kim Jong-un, qui a gagné le statut tant attendu d’interlocuteur de la première puissance mondiale, sont rentrés gonflés d’optimisme dans leur pays. Mais derrière les sourires de façade, quels enseignements peut-on tirer de cette confrontation ? Thierry Kellner,chargé de cours en sciences politiques à l’ULB et spécialiste de l’Asie de l’Est, les décrypte.
A-t-on dépassé le cadre des déclarations d’intention lors de ce sommet ?
Oui. On a à la fois un sommet que l’on peut qualifier d’historique même s’il relève de la politique-spectacle comme Donald Trump l’aime et à la fois un document signé par les deux parties. Il faut se montrer prudent parce que l’on ne sait pas tout ce qu’il contient précisément. Dans les déclarations du président américain à l’issue de la rencontre, on a aussi appris que la Corée du Nord s’est engagée à détruire son site d’essais de missiles. L’important sera d’observer la suite parce que le sommet de Singapour n’est que le début d’un processus. Il faudra voir ce que la Corée du Nord est prête à concéder parce que dans la déclaration commune, il n’est pas fait mention du caractère » vérifiable et irréversible » de la dénucléarisation, qui était la position de départ de Donald Trump. Le président américain, de son côté, a précisé qu’il ne lèverait pas encore les sanctions. Sa seule annonce réside dans l’arrêt des manoeuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud, qu’il a lui-même jugées » très provocatrices « . La Corée du Nord a engrangé ce résultat, outre le succès d’image pour Kim Jong-un devenu l’égal du président des Etats-Unis. De surcroît, Donald Trump a annoncé, à mots couverts, la perspective, peut-être à long terme, du retrait des troupes américaines de Corée du Sud. Une étape très intéressante pour Pyongyang.
Qu’est-ce que cela dit de la diplomatie américaine ?
Cette perspective va dans le sens de la politique isolationniste de fond de Donald Trump qui retire les Etats-Unis d’un peu partout.
Si le résultat à terme est un désengagement américain de la région, n’est-ce pas la Chine qui en serait la grande bénéficiaire ?
D’un point de vue américain, le sommet est peut-être un succès personnel pour Donald Trump. Mais il n’est pas certain du tout qu’il soit un succès pour les Etats-Unis et pour leurs intérêts. Pourquoi ? En raison de l’évolution des relations de Washington avec ses alliés et sa traduction dans un retrait de l’Amérique de l’Asie de l’Est. En tant que Sud-Coréen ou Japonais, on peut s’interroger sur les intentions et la crédibilité des Etats-Unis à long terme. En tant que Chinois, la perspective est plutôt réjouissante : dénucléarisation effective de la Corée du Nord, affaiblissement des alliances des Etats-Unis avec la Corée du Sud et le Japon, ouverture économique de Pyongyang à laquelle la Chine est la mieux placée pour répondre. L’option la moins favorable à Pékin serait une Corée du Nord qui deviendrait très proche des Etats-Unis, mais c’est un scénario très lointain. Le régime de Kim Jong-un, qui s’est rendu coupable de violations massives des droits de l’homme, dispose d’armes biologiques et chimiques et de moyens conventionnels de nature à continuer à menacer Séoul. Il est à noter aussi que les missiles dont il est question dans les négociations avec les Américains sont intercontinentaux. Qu’en sera-t-il des missiles à courte et à moyenne portées qui peuvent frapper Séoul et Tokyo ? L’évolution des pourparlers dira si le programme nucléaire nord-coréen était plutôt une arme de négociation face aux grandes puissances ou un outil de survie du régime. Si c’est le cas, on voit mal comment Kim Jong-un pourrait le laisser tomber. Le seul élément qui va dans ce sens est la purge militaire observée il y a quelques jours à l’encontre de deux hauts responsables, ce qui inclinerait à penser que des résistances existaient par rapport à la tenue même du sommet et que Kim Jong-un a imposé sa ligne.
Quand on parle de dénucléarisation, inclut-on aussi la disparition du parapluie américain sur la Corée du Sud ?
La vision nord-coréenne inclut effectivement le retrait des forces américaines et la fin de la garantie de protection de la Corée du Sud. L’histoire nous invite cependant à rester prudent. Depuis 1992, les Etats-Unis et la Corée du Nord ont été à plusieurs reprises en passe de signer des accords et de trouver des modus vivendi. Chaque fois, cela a mal tourné. Les volte-face de Pyongyang ont été légion.
La Corée du Nord commence-t-elle la négociation en position de force ?
Elle est dotée aujourd’hui d’un programme nucléaire. Elle dispose de matériel qui fonctionne, de missiles, éventuellement de bombes… Dans l’autre camp, l’Amérique est-elle aussi forte qu’elle ne l’était il y a un an ou deux ? La réponse n’est pas si évidente. Les Etats-Unis de Trump se sont éloignés de leurs alliés européens en raison de leur politique à l’égard de l’Iran et de leur stratégie commerciale que les tensions lors du récent sommet du G7 ont encore mis en évidence. Si, en cours de négociation, la Corée du Nord décidait de conserver une partie de son arsenal et que les Etats-Unis voulaient rétablir des sanctions, tous leurs alliés suivraient-ils ? Kim Jong-un arrive à la table de négociations avec un certain nombre de cartes en main. Il a aussi intérêt à insuffler une certaine détente dans sa politique parce que l’économie est devenue importante pour une partie de sa population. Ce n’est pas très connu mais il y a une classe moyenne en Corée du Nord. Kim Jong-un a permis une ouverture économique. Son régime pourrait sortir renforcé des négociations parce que le redéploiement de son économie permettrait de renouer des liens avec des partenaires qui y sont tout à fait prêts. La Corée du Nord a des potentialités de main-d’oeuvre et de matières premières. Kim Jong-un a toujours fondé sa politique étrangère sur deux piliers, le nucléaire et le développement économique.
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