Pourquoi la vidéo de Macron sur Youtube cartonne et fait polémique
En seulement deux jours, la vidéo des deux Youtubeurs McFly et Carlito accompagnés du président français a comtabilisé 10 millions de vues. Que penser de ce coup de com’? Décryptage avec le professeur Nicolas Baygert.
« Tout est spontané, tout est vrai »
Nous sommes à l’Elysée, dimanche 23 mai. Le président français, Emmanuel Macron, apparaît décontracté, rieur, sympatique, en compagnie des deux Youtubeurs Macfly et Carlito, très populaires auprès des jeunes. Ensemble, ils se livrent à jeu d’humour en réalisant un « concours d’anecdotes », chacun devant devoiler à tour de rôle si l’anecdote racontée par l’autre est vraie ou fausse. Résultat final: un score de 4-4 entre Macron et les deux Youtubeurs, émaillé de moments présidentiel « forts » avec Kylian Mbappé en ligne, Fela Kuti au Nigéria ou un faux appel décrit avec l’ex-président américain Donald Trump.
C’est un coup de maître pour l’équipe de communication d’un Emmanuel Macron en manque de popularité, à moins d’un an des prochaines élections présidentielles françaises. « Tout est spontané, tout est vrai » dit Carlito. Pourtant les deux Youtubers, comme toutes les personnes présentes sur le plateaux de tournages, ont signé un contrat avec des clauses de confidentialité très strictes, bien loin de la spontanéité décrite ici.
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Pour Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’Ihecs et Sciences Po Paris, interrogé par Le Vif « il faut éviter le piège qui reviendrait à simplement juger la prestation scénique du président ». « Cela porte davantage sur le making-of, la manière dont cela a été fabriqué, que sur la performance du président, souligne-t-il. L’idée, ici, était d’engranger un capital sympathie pour Macron, sans abîmer son capital symbolique de président: on doit faire en sorte de fusionner deux univers de marque, l’univers de marque du Président Macron, et celui de la communauté de Mcfly et Carlito. »
« Dans cet exercice, poursuit Nicolas Baygert, les deux YouTubers sont les boss, les patrons. L’enjeu de Macron était donc de s’incrire dans l’ecosystème de Macfly et Carlito et de respecter leurs codes, sans perdre les siens, ceux de président. Jouer sur ce décalage, l’exceptionnalité du lieu, tout cela a, bien sûr, renforcé l’image du président, elle n’était pas véritablement écornée par cet exercice, et Macron lui-même se plie assez bien au format, tout en préservant son image. »
« Une communication dépolitisée »
Le choix de cette vidéo n’est pas anecdotique. McFly et Carlito ayant plus de 6 millions d’abonnés sur YouTube, cette communication commune s’apparente à un coup de pouce potentiel pour la popularité du président, même s’ils prétendent le contraire. Pourtant, le pari est loin d’être gagné. Depuis le début de la crise sanitaire, soulignent les détracteurs d’Emmanuel Macron, les jeunes français ne se retrouvent pourtant pas tous dans la politique présidentielle, loin s’en faut.
Pour Nicolas Baygert, « sur la forme du fameux concours d’anecdotes, ici, on est dans quelque chose de classique, un story-telling. Christan Salmon en 2007 a publié un ouvrage, Story-telling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits qui parlait de l’art de gouverner à partir d’anecdotes. D’ailleurs, le premier homme d’État à avoir utilisé cela, c’est le président américain Ronald Reagan, ancien acteur, qui avait initié une nouvelle forme de gouvernance qui donnait beaucoup de place aux anecdotes. De nombreuses analyses ont montré que cette approche narrative abolit les frontières entre le factuel et le fictionnel. »
« La confrontation des anecdotes permet aussi d’éviter l’affrontement des idées, poursuit Nicolas Baygert. Cela peut être paradoxal, mais ce qui interpelle dans la vidéo de Macfly et Carlito, c’est cette dimension apolitique. Il n’y a pas d’esprit critique dont feraient preuve les deux Youtubeurs, ici, on est finalement dans une performance ludique. Cette narration remplace les argumentaires, les explications, et au fond, on est au coeur de la communication macronienne: ce jeu d’acteur qui va prédominer dans sa communication, on a à faire à un président qui surjoue parfois, un président qui joue à faire président, c’est parfois étonnant, et qui va s’adapter à chaque contexte, à chaque setting. Il est très à l’aise dans ce type de performance, cela correpond bien à sa communication. C’est un exercice presque sur-mesure pour lui, car il ne pouvait pas etre dérangé par les questions des Youtubeurs qui apparaissent apolitiques. On est dans la dépolitisation totale de la communication présidentielle, ce qui parait paradoxal, mais cela permet au président d’échapper à toutes sortes interpellations critiques quant à son action, à la période que traverse la France, il y a tout de meme un décalage énorme entre cette séquence, et le contexte économique, sanitaire. Emmanel Macron ne risquait pas grand chose ici. »
« Une segmentation des audiences »
L’objectif des équipes de communication de Emmanuel Macron rejoint « l’effet de Halo »: ce biais cognitif pousse les individus à réaliser des associations d’idées inconscientes, et à transférer les qualités d’une personne ou d’un objet, à la personne ou l’objet qui lui est associée. Ce biais cognitif est utilisé pour les campagnes publicitaires où les marques associent l’image d’un sportif ou d’une célébrité à leurs produits, en espérant que, par effet de halo, leur image « déteigne » sur leur produit. La publicité marche sur ce ressort. Cette vidéo, visionnée des millions de fois, aura participé à rendre le président en campagne sympathique et éligible dans l’inconscient collectif. Peu importe ce qui s’y dit, et peu importe le sujet, notre cerveau fera l’association inconsciente entre leurs personnalités et l’image d’Emmanuel Macron.
« Je pense qu’aujourd’hui cela ne surprend pas réellement » explique Nicolas Baygert, « on est davantage dans une continuité avec ce que l’on a déjà peu voir ces derniers mois, voire ces dernières années. Il y a une fluidité dans la communication présidentielle, la médiatisation du président, qui s’adapte aux audiences. En soi, le fait de se retrouver dans un cadre totalement apolitique, n’est pas nouveau, on peut se rappeller de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing qui était intervenu aux cotés de Nounours, un personnage pour enfants dans les années 1960-1970. »
« On est aux antipodes de la construction d’image qu’avait entamé Emmanuel Macron au début de son mandat, poursuit le professeur de communication politique. Il s’agissait alors d’une construction d’image jupitérienne, une image de président neo-mittérrandien, avec une parole très rare et un côté solennel. Ici, on est dans une adaptation à une audience particulière. En communication politique, on le sait aujourd’hui, la segmentation des audiences est très importante. Aujourd’hui, on a plutot intérêt à diffuser du contenu sur mesure à destination de cibles distinctes, avec une tonalité propre à chaque message. D’où la déferlante des politiques sur Twitch, Tiktok etc. On ne veut plus toucher l’ensemble de la masse électorale simplement en passant au journal télévisé, ou lors d’un débat politique. C’est bien le contraire, on assiste à une adaptation des audiences par l’intermédiaire des influenceurs, qui eux, ont déjà une communauté importante. En marketing on appelerait ça du « co-branding »: les deux marques de MacFly et Carlito et du Président se rencontrent. Et c’est à Emmanuel Macron de profiter de cette notoriété-là. »
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