Peut-on regretter d’être mère? Le débat qui agite l’Allemagne
Peut-on regretter d’être mère? Lancé par une chercheuse israélienne, le débat agite l’Allemagne comme nul autre pays et bouscule sa vision de la maternité, si exigeante qu’elle en devient dissuasive.
« En Israël, c’était réglé en une semaine. En Allemagne, ça dure depuis des mois », s’étonnait récemment la sociologue Orna Donath, dont l’étude « Regretting Motherhood » est parue début 2015.
La chercheuse, lasse de s’entendre prédire qu’elle « regretterait » de ne pas vouloir d’enfant, a recueilli les témoignages de 23 femmes qui, à l’inverse, aiment les leurs mais auraient préféré ne pas les avoir.
En racontant sans fard l’ambivalence maternelle, loin du discours convenu d’un bonheur sans nuages, l’ouvrage a d’emblée séduit à l’étranger. Mais seule l’Allemagne, dont la fécondité est deux fois inférieure à celle d’Israël, semble ne jamais se fatiguer du sujet.
Une série de livres sont parus sur le même thème, dont « Le mensonge du bonheur maternel » de Sarah Fischer et chaque semaine amène sa tribune de presse, son débat télévisé ou ses échanges sur Twitter, sous le mot-dièse #RegrettingMotherhood.
En Allemagne, « plus du tiers des femmes qui ont fait des études supérieures restent sans enfant, une situation unique en Europe », rappelle auprès de l’AFP l’universitaire Barbara Vinken, dont un ouvrage analysait dès 2001 le « mythe » de la « mère allemande ».
Haro sur les ‘mères corbeaux’
Pour Mme Vinken, l’étude d’Orna Donath touche l’Allemagne parce qu’elle remet « radicalement en cause la joie d’avoir des enfants dans une société qui attend tout des mères, et où les mères exigent tout d’elles-mêmes ».
L’idée que le bien-être d’un enfant repose sur sa mère, qui le confie peu à une structure collective ou à son conjoint, fait l’objet d’un consensus tenace en Allemagne et pénalise les carrières féminines.
« Ce n’est pas comme en France, où l’on s’autorise une coupe de champagne pendant la grossesse, où l’on allaite peu de temps et reprend au bout de trois mois le travail et sa vie normale d’adulte », explique Barbara Vinken.
Qu’une femme retravaille sans s’être arrêtée au minimum un an – plus souvent trois – et elle se verra affubler du sobriquet de « mère corbeau » (« Rabenmutter »), expression de désapprobation typiquement germanique.
Le discours politique a pourtant changé depuis l’accession au pouvoir d’Angela Merkel qui, préoccupée par la dénatalité, a multiplié les places en crèche et favorisé le congé parental des pères.
Mais cette évolution ne va pas sans crispations, à l’image d’une violente charge lancée l’été dernier par le quotidien populaire Bild contre « les femmes de pouvoir », qui « font carrière, portent des tailleurs pantalon, boivent des smoothies et font du fitness ».
« On dirait des hommes. Ce ne sont plus des mères. Elles ne veillent plus la nuit quand leur enfant a peur de la foudre et des éclairs », déplorait le quotidien le plus lu d’Europe.
Et les pères?
Dans un registre moins caricatural, dans « L’abolition des mères », Alina Bronsky et Denise Wilk défendaient il y a quelques mois la maternité traditionnelle, « dévalorisée » à leurs yeux par l’incitation à faire tourner l’économie.
Très contrastés, les commentaires dans la presse oscillent entre appels à « offrir d’autres images de la maternité », moins sacrificielles, et railleries contre les « jérémiades » de jeunes femmes obsédées par leur épanouissement.
« Voilà que les enfants sont les parasites du bien-être. Ils perturbent maman dans sa quête de soi », persiflait l’hebdomadaire Die Zeit mi-mars.
Étonnamment, l’idée d’impliquer plus largement les pères est restée discrète. Une étude récente de l’institut économique DIW évaluait pourtant à trois heures par jour le surcroît de travail domestique des femmes, y compris quand elles occupent un emploi à plein temps.
Mais la « spécialisation des rôles » hommes-femmes reste très prononcée en Allemagne, relevait en 2010 l’Institut national d’études démographiques (Ined), rappelant que « 77% » des mères de l’ouest du pays cessent toute activité pendant les trois premières années de leur enfant.
La force de ce schéma explique pourquoi une partie du mouvement féministe a très tôt défendu le droit de ne pas vouloir d’enfant – « obstacle à l’émancipation » – brossant du destin des mères un tableau décourageant.
« Les plus lourdes chaînes qui retiennent (les femmes) sont leurs enfants », écrivait en 1977 la figure féministe Alice Schwarzer dans un texte-manifeste. « Socialement, la maternité est une croix que l’on porte quand il le faut. Mais la choisir volontairement? »
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