Opposition, presse: à Hong Kong, la liberté étouffée
Alors que les Jeux olympiques d’hiver se tiennent jusqu’au 20 février à Pékin, les Hongkongais, eux, ne sont pas à la fête. La chape de plomb du pouvoir s’est abattue sur l’opposition politique et la liberté de la presse n’est plus qu’un souvenir. Pour beaucoup, l’exil est la seule issue.
C’est avec tristesse qu’il raconte avoir vu, jour après jour, la presse libre se déliter à Hong Kong, inéluctablement. Et comment la loi sur la sécurité nationale (LSN), imposée par Pékin le 30 juin 2020, a bousculé son parcours professionnel. « L’ an dernier, j’étais responsable des réseaux sociaux d’un média, relate Royce Chan (1), aujourd’hui, je bosse dans la com institutionnelle. » Avant, précise-t-il, son ex-employeur – dont il préfère taire le nom – se focalisait sur les sujets sociopolitiques. Puis, la loi sur la sécurité nationale est passée par là. Exit les thématiques jugées sensibles, assure l’homme de 29 ans. Raison pour laquelle, notamment, il a préféré changer de voie. Lui qui avait l’habitude d’être taquin à l’égard des autorités admet s’être rangé: « Que cela soit au travail ou en public, je n’ose plus faire de blagues politiques. C’est trop risqué », concède Royce Chan, désabusé.
Ce qui arrive est sans précédent: la presse doit faire face à beaucoup de barrières, à la fois juridiques et psychologiques.
Autour de lui, beaucoup de ses amis n’ont plus de boulot. « L’un d’eux était reporter à l’ Apple Daily, poursuit-il. Après la liquidation du quotidien prodémocratie et l’arrestation de ses dirigeants en juin dernier, il a réussi à trouver un poste au Stand News. » Sauf que ce média en ligne, l’un des derniers médias indépendants de Hong Kong, a lui aussi fermé ses portes fin décembre, après un raid de la police au sein de la rédaction. « Cet ancien de l’ Apple Daily a perdu son emploi pour la deuxième fois en quelques mois », reprend Royce Chan. Moins d’une semaine plus tard, c’était au tour du site d’info CitizenNews d’annoncer qu’il cessait ses activités, par peur de mettre ses journalistes en danger à cause de la LSN. Celle-ci condamne les crimes de subversion, collusion avec les forces étrangères, sécession et activités terroristes. Les rendant, qui plus est, passibles de prison à vie.
De vagues chefs d’accusation
« Les chefs d’accusation de cette loi sont tellement vagues qu’on ne sait pas où se situe la ligne rouge, commente un ancien collaborateur de l’ Apple Daily, qui envisage de quitter Hong Kong dans les années à venir. Il est facile d’incriminer n’importe qui pour des motifs peu valables, y compris les journalistes défendant ouvertement la démocratie. » En l’espace de quelques mois, Hong Kong a vu disparaître les trois plus grands médias qui osaient encore user d’une certaine liberté de ton face au gouvernement local et au Parti communiste chinois (PCC). « Il s’agit d’une menace pour les journalistes et d’une atteinte à la liberté de la presse », se désole un ancien pigiste de Stand News et CitizenNews, prédisant un sombre avenir à Hong Kong. « Ce qui arrive est sans précédent: la presse doit faire face à beaucoup de barrières, à la fois juridiques et psychologiques, résume un journaliste hongkongais, qui collabore avec des médias internationaux et locaux. On assiste à la criminalisation de la liberté d’expression. »
Qu’elle est loin cette époque, en 2002, où Hong Kong était dix-huitième au classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse. L’ an passé, la ville a dégringolé à la quatre- vingtième position. En 2021, l’ONG dénonçait déjà le fait que des programmes, auparavant diffusés sur RTHK, soient censurés par la chaîne audiovisuelle publique.
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En moins de deux ans
Hélas pour Hong Kong, ce que de nombreux habitants, désemparés, nomment la « terreur blanche » sévit désormais dans tous les domaines. La création artistique, du cinéma à l’art contemporain, n’échappe pas à la censure. Idem pour plusieurs ouvrages prodémocratie, bannis des bibliothèques. Dans l’éducation, universitaires et professeurs se retrouvent épiés. Depuis l’été 2021, des dizaines d’organisations, des syndicats aux avocats en passant par des associations de défense des libertés, ont annoncé leur dissolution. Amnesty International a même fermé ses bureaux à Hong Kong: « Trop risqué de poursuivre notre travail sur place sans crainte de graves représailles de la part du gouvernement », a justifié l’ONG.
Beaucoup d’amis ont déjà quitté Hong Kong. Il n’y a vraiment plus d’espoir ici.
Depuis les Etats-Unis, où elle a choisi de s’exiler pour des raisons de sécurité après la mise en vigueur de la LSN, Frances Hui déplore une situation accablante. « En moins de deux ans, le gouvernement a démantelé presque toute la société civile », observe amèrement la militante de 22 ans. Hong Kong ne ressemble en rien à ce qu’elle était il y a encore quelques années.
L’ ex-colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997 et devenue région administrative spéciale, était censée jouir d’une certaine autonomie face à Pékin. Et ce, au moins jusqu’en 2047, selon l’accord sino-britannique de 1984 établissant le principe « un pays, deux systèmes ». Doté d’une miniconstitution, la Basic Law, ce territoire semi-autonome garantissait alors des libertés fondamentales (d’expression, de la presse, justice indépendante..) à ses habitants.
La goutte de trop
Mais la volonté du PCC d’absorber Hong Kong dans son giron s’est heurtée à l’éveil politique d’une jeunesse, née dans les années 1990, aspirant à davantage de démocratie. La Chine de Xi Jinping n’a d’abord pas digéré la « révolution des parapluies », initiée en 2014 par cette génération. Et encore moins les tsunamis humains historiques de un, puis deux millions de Hongkongais (sur 7,4 millions d’habitants) opposés, en 2019, à un projet de loi d’extradition vers la Chine continentale. Une véritable insolence aux yeux du pouvoir autoritaire chinois. Fin de cette année-là, le raz-de-marée prodémocratie (victoire de dix-sept conseils de district sur dix-huit) aux élections locales a peut-être été la goutte de trop.
Carmen Lau, ex-conseillère de district de 26 ans: « En 2019, nous avions encore de l’espoir. C’est pour ça que je me suis présentée », se souvient l’ancienne élue et membre du Parti civique, exilée à Londres depuis l’été dernier. Elle s’imaginait bien que la Chine communiste, par l’entremise de l’exécutif local pro-Pékin, riposterait. Mais elle ne s’attendait pas à ce que le gouvernement aille jusqu’à mettre des candidats aux élections législatives sous les verrous. Ni à une reprise en main si brutale.
De plus en plus d’exilés
A peine six mois après l’instauration de la draconienne LSN, le PCC a voulu siffler la fin de la partie: en janvier 2021, les arrestations d’une cinquantaine de militants, avocats et politiques prodémocratie, ont définitivement sonné le glas de l’opposition politique à Hong Kong. « C’est à ce moment-là que j’ai perdu toute confiance en la fiabilité du système judiciaire et que j’ai décidé que je ne pourrai pas rester à Hong Kong », témoigne, résignée, une avocate hongkongaise, exilée depuis quelques mois, qui a défendu plusieurs manifestants sous le coup de la nouvelle loi et subissait fréquemment des pressions de la part de la police.
Comme cette avocate, nombreux sont les Hongkongais à avoir fui. En mai 2021, 87 000 personnes ont quitté la ville par rapport aux entrants, sur une année: parmi elles, surtout des jeunes parents ne souhaitant pas que leurs enfants reçoivent une éducation patriotique à la chinoise. D’autres, nombreux aussi, l’envisagent. « Beaucoup d’amis ont déjà quitté Hong Kong. Il n’y a vraiment plus d’espoir ici », lâche Christina Wong (1), 30 ans, qui partira quand elle aura des enfants. « Je suis désespérée, j’espère partir d’ici deux ans », confie Charlotte Cheung (1), 29 ans, lassée de s’autocensurer.
Andie Li (1), la trentaine également, aimerait prendre la poudre d’escampette mais ne peut pas se le permettre: « Pour l’instant, ma famille n’a pas les moyens de tout plaquer et repartir à zéro », avoue-t-elle, déprimée par l’état actuel de Hong Kong, mais insistant sur le fait qu’elle ne regrette rien du combat de ses habitants. Finn Lau, 28 ans, célèbre militant exilé à Londres et actif dans les cercles diplomatiques occidentaux, avoue être l’un des rares optimistes à parier sur la chute du PCC « d’ici quinze à vingt ans ». Il entretient l’espoir de revenir un jour: « Je ne dirai jamais que je suis en exil pour toujours. »
(1) Nom d’emprunt pour des raisons de sécurité.
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