Manifestations liées au couvre-feu aux Pays-Bas: analyse en trois questions
Quand le couvre-feu met le feu, extrême droite, extrême gauche et jeunes des quartiers s’élèvent contre l’Etat. Conviction ou manipulation?
Modèle de tolérance écorné depuis quelques années, les Pays-Bas ont connu, en lien avec la crise sanitaire, plusieurs soirées d’émeutes que l’on aurait difficilement pu appréhender sur une terre où la pandémie a semblé longtemps si pas complètement maîtrisée, au moins bien gérée. L’imposition d’un couvre-feu à partir du samedi 23 janvier jusqu’au mardi 9 février entre 21 heures et 4 h 30 a donné du grain à moudre à la contestation antisystème et débouché sur des violences non seulement dans les grandes villes, Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Eindhoven, Breda mais aussi dans d’autres de taille moyenne ou petite. C’est dans celle de Urk, au nord-est d’Amsterdam (quelque 20 000 habitants), qu’a eu lieu un des incidents les plus marquants, l’incendie d’un centre de dépistage anti-Covid en toile. Revue des questions que pose cette irruption de violences dans l’avant-gardiste Hollande.
Maintenant, les gens les moins pacifiques se sont réveillés.
1. Qui sont les protestataires et les émeutiers?
Le couvre-feu décrété par le gouvernement néerlandais est censé répondre à une augmentation des contaminations et des décès enregistrée à partir de la mi-janvier (aux alentours de 5 500 infections quotidiennes, le nombre de morts fluctuant entre 50 et 100 par jour pour une population de quelque dix-huit millions d’habitants). Mais il constitue une première dans l’histoire de cette nation fortement attachée à ses libertés. La décision de l’équipe du Premier ministre Mark Rutte a donc fédéré les détracteurs de l’emprise excessive de l’Etat sur la vie quotidienne, qu’ils soient d’extrême droite et d’extrême gauche. Les manifestations organisées le dimanche 24 janvier dans plusieurs villes des Pays-Bas avaient cette revendication comme mobile: « Pour la liberté, contre la dictature », pouvait-on lire parmi les contestataires réunis à Eindhoven.
Sur cette mobilisation idéologique, s’est greffée une protestation opportuniste de hooligans sevrés de baston et de jeunes lassés du carcan sécuritaire imposé par la pandémie ou simplement désireux de « casser du flic » et de procéder à des pillages lucratifs. Cette violence d’apparence spontanée a peut-être été encouragée par une conjonction d’intérêts de groupuscules d’extrême droite et d’extrême gauche. Le quotidien de Volkskrant faisait état, le 26 janvier, d’appels à des rassemblements, lancés sur Facebook ou sur Telegram, de groupes aux intentions peu pacifistes, Nederland in Verzet (Pays-Bas en résistance), Nederland in Opstand (Pays-Bas en révolte), Eindhoven 040 – Rellen en Rwina (Emeutes et chaos)… « Depuis deux ans, nous avons essayé d’agir pacifiquement, Personne ne nous a écoutés. Maintenant, les gens les moins pacifiques se sont réveillés », expliquait un jeune au Volkskrant. Participaient aussi à la manifestation du 24 janvier à Eindhoven des membres des gilets jaunes néerlandais opposés radicalement à la politique du gouvernement, à la globalisation, au libéralisme mondialisé…
2. Les événements sont-ils instrumentalisés politiquement?
Les émeutes du début de semaine ont eu des répercussions politiques. L’extrême droite a été accusée d’avoir mis de l’huile sur le feu de la contestation. Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté (PVV), avait ouvertement contesté le couvre-feu décidé par le gouvernement. Le leader du parti écologiste GroenLinks, Jesse Klaver, a donc fustigé les ténors de l’extrême droite et de la droite populiste, comme Thierry Baudet, dirigeant du Forum pour la démocratie (FvD), lorsque les émeutes se sont répandues: « Ils commencent par faire peser le soupçon sur les informations et la science. Ensuite, ils appellent à ignorer les règles. Puis, ils blâment les autres. […] Ce genre d’émeutes et de vandalisme est exactement le résultat de ce comportement. » Et pourtant, Geert Wilders a condamné les violences…
Les Pays-Bas sont, il est vrai, en quasi campagne électorale. Les élections législatives anticipées sont prévues le 17 mars. Le gouvernement de Mark Rutte est en affaires courantes après sa démission le 15 janvier consécutive au scandale dit des allocations. Entre 2013 et 2019, des parents accusés erronément de fraudes aux allocations familiales ont été sommés par l’administration de les rembourser, et, circonstance aggravante, celle-ci a ciblé distinctement des pères et mères disposant d’une double nationalité. « L’Etat de droit doit protéger les citoyens d’un gouvernement tout-puissant. Cela a échoué d’une manière épouvantable », a reconnu le libéral Mark Rutte. Ces propos ont peut-être continué à résonner dans la tête de certains jeunes de quartiers moins favorisés qui, depuis le 24 janvier, ont participé aux débordements dans les manifestations.
3. Une contagion vers la Belgique est-elle possible?
Déjà fragilisée par la propagation du virus et de son variant britannique, la Belgique néerlandophone regarde les tensions aux Pays-Bas avec attention et inquiétude. Par simple mimétisme, en l’absence de nouvelle mesure prévue qui aurait pu servir de déclencheur, la révolte batave peut-elle essaimer chez nous? Sur les réseaux sociaux, des appels à manifester ont été lancés pour ce samedi 30 janvier. A Turnhout et à Saint-Nicolas, au nord-est et au sud-ouest d’Anvers, et à Maasmechelen, dans la partie orientale du Limbourg. Le couvre-feu appliqué en Flandre est maintenu entre minuit et 5 heures depuis des semaines. C’est celui en vigueur à Bruxelles et en Wallonie, entre 22 heures et 6 heures, qui se rapproche le plus de la pratique néerlandaise. Mais il n’a pas suscité de contestation virulente.
Est-ce à dire que le risque de contagion de la colère des Néerlandais est limité? Peut-être. Mais la convergence des luttes entre extrême droite, extrême gauche et jeunes dépourvus d’horizon, qui semble s’opérer de Bois-le-Duc à Enschede et d’Amsterdam à Arnhem, devra être surveillée parce qu’elle pourrait bien inspirer d’autres pourfendeurs du « système » en Europe.
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