Carte blanche
Malgré l’urgence, l’Europe préfère l’accord commercial UE-Mercosur à l’accord climatique de Paris
100.000 tonnes de viande bovine supplémentaires importées d’Amérique latine, destruction des forêts, augmentation des difficultés de nos agriculteurs, introduction de pesticides interdits en Europe, impact négatif sur l’environnement en général et non-sens vis-à-vis de la transition écologique et solidaire… Nous vous présentons l’accord UE-Mercosur, le nouveau monstre créé par les logiques de libre-échange telles que nous n’en voulons pas.
Après le TTIP (avec les USA) et le CETA (avec le Canada), le Mercosur (avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, et l’Uruguay) est revenu dans l’actualité, avec un parfum désagréable d’opacité, d’intérêts économiques au détriment des citoyens et de concurrence déloyale pour nos agriculteurs. La Commission européenne nous a en effet proposé un bel exercice de communication positive. En effet, l’accord tombe à point nommé pour auréoler une Commission en fin de parcours, même si la prudence reste encore de mise car il s’agirait d’un « accord de principe ». Les mots ont ici toute leur importance car, comme en témoigne l’expérience avec le Mexique, il peut s’écouler plusieurs mois, voire deux années, avant que les négociateurs finalisent complètement le texte et puissent l’envoyer pour signature aux législateurs européens.
La Commission nous promet un marché de 780 millions de consommateurs, et un accord qui contiendrait toutes les dispositions sociales, climatiques, environnementales et relatives aux droits humains nécessaires. Mais derrière ce récit bien rodé, la réalité est bien moins séduisante, car on y retrouve à la fois les dérives et problèmes de fonds soulevés par ce type de traités de libre-échange et des spécificités en raison du profil des partenaires.
Cet accord Mercosur est à nouveau l’illustration de la consolidation d’un modèle économique répondant aux besoins des grandes entreprises multinationales, au détriment de notre agriculture mais aussi des consommateurs belges. Quelle est la logique d’importer, par exemple, massivement de la viande produite sur un continent si éloigné, créant une nouvelle concurrence déloyale vis-à-vis de nos producteurs et agriculteurs soucieux d’une agriculture respectueuse et de qualité, et mettant sur le marché des produits aux normes sanitaires plus faibles au détriment des consommateurs? La Commission européenne veut se montrer rassurante en précisant que des clauses de sauvegarde sont prévues pour suspendre les accords en cas de dommage économique sur une filière due à une augmentation « imprévue et significative » des importations. Mais rappelons qu’une telle clause n’a jamais pu être activée, et que les mécanismes de suivi, prévus par exemple dans le cadre du CETA, ne sont pas opérationnels pour protéger les agriculteurs wallons.
Comme les autres accords du même genre, le Mercosur est en outre complètement à l’opposé des ambitions climatiques pourtant nécessaires. Il est l’illustration d’un manque de réalisme face aux enjeux et aux défis que nous avons à relever collectivement, il ne s’inscrit en rien dans une approche systémique, globale, de la lutte contre le réchauffement climatique et le développement d’une transition écologique et solidaire. Tout cela va dans le mauvais sens. La transition écologique et solidaire n’est pas une politique ‘en plus’. Elle doit être le point de départ de toutes les politiques publiques, de tous les choix budgétaires posés, de toutes les visions de société que nous proposons.
Alors que les épisodes de sécheresse, de canicules, les fortes pluies,… se multiplient, rendant les effets du dérèglement climatique de plus en plus visibles, le projet d’accord risque pourtant d’accélérer la déforestation de l’Amazonie, déforestation qui a repris, peu après l’investiture de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil. Ce serait une tragédie car l’Amazonie est non seulement un poumon vert de la Planète sans lequel il est impensable de limiter les hausses de température, mais aussi une des régions les plus riches du globe sur le plan de la biodiversité. Or, l’expansion de l’élevage bovin est la principale cause de déforestation.. Les 100.000 tonnes de boeuf prévues à l’exportation annuelle contribueront donc à un affaiblissement de la lutte contre les changements climatiques même si l’Accord de Paris est vaguement mentionné dans le texte. Par ailleurs, les engagements du Brésil à lutter contre la déforestation et à replanter des arbres que brandit la commissaire européenne Cecilia Malmström sont beaucoup trop vagues et limités, à l’opposé des pratiques actuelles dans ce pays.
Enfin, la conclusion de cet accord permettrait de maintenir Jair Bolsonaro hors de la zone d’influence du Président américain Donald Trump, qui joue la carte du nationalisme économique et menace le reste du monde de guerres commerciales. Mais, ce faisant, les Européens ferment les yeux un peu trop rapidement sur les orientations non seulement climato-sceptiques, mais aussi homophobes et d’extrême-droite de Bolsonaro alors que la Commission aurait justement dû agiter la perspective d’un accord pour forcer un changement de cap dans la politique de Bolsonaro.
L’Europe, avec ce nouvel accord de libre-échange négocié dans la plus totale opacité – les eurodéputés qui doivent être tenus au courant de l’évolution des négociations n’ont d’ailleurs pas le texte de l’accord – semble continuer de vouloir faire passer le climat et la biodiversité et, osons le mot, la survie de la Planète, loin derrière les opportunités économiques qui restent néanmoins marginales car elles représentent moins d’un pourcent du PIB européen ! Il reviendra dans les prochains mois aux Etats membres, aux eurodéputés et le cas échéant, aux parlements nationaux et régionaux d’assumer leurs responsabilités et de faire barrage à ce texte qui, une fois de plus, sert uniquement les intérêts économiques au détriment de gens, des travailleuses et travailleurs, des agriculteurs et agricultrices, et de la planète, à l’heure où tous les signaux sociaux et environnementaux sont au rouge !
De notre côté, c’est très clair: de l’Europe aux Régions, du niveau fédéral aux communes, nous continuerons de dénoncer et de nous opposer à ces échanges qui sont une véritable menace pour notre survie, à nous toutes et tous, citoyens du monde.
Hélène Ryckmans, députée wallonne Ecolo et Saski Bricmont, députée européenne Ecolo
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