Robert Mercer et sa fille © DR

Les Mercer, cette richissime famille derrière la « révolution Trump »

Muriel Lefevre

Steve Bannon a pu, un temps, croire qu’il était l’homme qui avait propulsé Trump au pouvoir. Un faiseur d’empire. Une outrecuidance qu’il a, comme Icare, payée chèrement. Cet épisode épique a surtout montré qui tirait vraiment les ficelles à Washington. Celles du cordon de la bourse. Découvrez la famille Mercer.

Après avoir été répudié par Donald Trump, Steve Bannon a quitté la présidence du site ultra-conservateur Breitbart, nouvelle rétrogradation pour celui qui fut l’un des artisans de la victoire électorale de l’homme d’affaires. Une chute largement provoquée par un camouflet plus discret, mais beaucoup plus dévastateur. Il a perdu les grâces de la richissime et pourtant discrète famille Mercer.

Arrivé en 2012 à la tête du site après le décès du fondateur Andrew Breitbart, Steve Bannon, 64 ans, avait largement contribué à en faire la plateforme d’information et d’opinion la plus suivie au sein de la droite dure américaine. C’est un nouveau coup dur pour cet idéologue, qui avait déjà dû quitter la Maison-Blanche en août. Il avait indiqué alors vouloir oeuvrer, de l’extérieur, à la consolidation d’un mouvement autour de Donald Trump, notamment grâce à Breitbart, qui lui offrait un puissant porte-voix. Mais sa situation était devenue intenable après la publication, la semaine dernière, du très polémique livre de Michael Wolff « Fire and Fury », qui relate la campagne de Donald Trump et sa première année au pouvoir. Donald Trump l’accusera d’avoir « perdu la raison » et minimisera le rôle joué dans son succès électoral par celui qu’il qualifiait encore de « type bien » au moment de son départ de la Maison-Blanche.

Pourtant, nommé directeur général d’une campagne Trump en pleine crise, en août 2016, Steve Bannon a bien joué, de l’avis général, un rôle décisif durant les trois derniers mois qui ont précédé le scrutin. Mi-août 2017, accusé de défendre une ligne très dure, défavorable aux minorités, Bannon avait dû quitter l’administration Trump après qu’une manifestation d’extrême droite eut dégénéré à Charlottesville (Virginie), causant la mort d’une jeune femme.

Avant le scandale du livre « Fire and Fury », écrit par Wolff, cet ancien officier de marine avait déjà été affaibli, mi-décembre, par la défaite électorale, dans l’Alabama, de Roy Moore, candidat ultra-conservateur au Sénat qu’il avait activement soutenu.

La famille Mercer aux commandes

Selon le New York Times, c’est l’héritière Rebekah Mercer, qui était pourtant un soutien de longue date de Steve Bannon, qui a poussé Breitbart, dont elle est actionnaire minoritaire, à se séparer de son président exécutif. La milliardaire avait déjà pris ses distances avec lui la semaine dernière, tout en renouvelant son soutien à Breitbart. Elle vient donc de donner le coup de grâce à celui qui fut longtemps son protégé.

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On dit de celle qu’on appelle la première Dame de l’alt-right qu’elle est intelligente, agressive et « ardemment conservatrice ». Le fait que les quatre enfants de Rebekah aient suivi une éducation à domicile n’a donc rien d’anecdotique.

Si la fille Mercer monte aujourd’hui en puissance, tout a commencé avec le père. Robert Mercer. Rien ne destinait le multimilliardaire Robert Mercer, un mathématicien qui adore les ordinateurs à se mêler de politique. Un homme qui préfère la compagnie des chats à celle des hommes et qui ne donne jamais d’interview ne doit aimer plus que ça les lumières de la gloire. L’homme a pourtant réussi à se rendre indispensable, grâce à de nombreuses et généreuses donations, à tous ceux qui voulaient percer du côté droit du spectre politique américain.

Une telle prodigalité n’était pas acquise puisque Mercer n’avait jusque dans les années 90 que peu de fortune personnelle. Il était employé chez IBM et a dû envoyer ses filles à l’école publique par manque d’argent. Mercer est néanmoins du genre brillant puisqu’avec l’un de ses collègues, il tente de développer un programme qui permet de traduire les textes. La base de ce qui sera plus tard Google Translate. La fortune ne viendra cependant qu’à partir de 1993 lorsqu’il passe à Renaissance Technologies. Il invente pour ce fonds spéculatif des algorithmes novateurs capables de prédire les mouvements en bourse. Il semble que ce soit surtout à travers le Medaillon Fund, estimé aujourd’hui à 50 milliards de dollars, qui était uniquement accessible aux employés, qu’il va se faire énormément d’argent. Entre 1989 et 2006 le fonds avait un rendement de 39% par an. Mercer, devenu co-CEO depuis 2009 de l’entreprise, devient richissime. On estime que rien qu’en 2015 il aura gagné 135 millions de dollars.

Un pactole qui va lui permettre de s’offrir quelques extravagances comme un train électrique dans sa cave estimé à 2.7 millions de dollars. Il a aussi une spectaculaire collection d’armes, avec comme joyau l’arme de Arnold Schwarzenegger dans The Terminator ou encore un yacht avec un faux arbre qui traverse quatre étages. Ses filles ne sont pas en reste, puisque Rebekah s’est offert six appartements transformés en un triplex pour la modique somme de 28 millions de dollars.

Autre marotte familiale, la politique. Depuis 2010, et un décret de la Cour suprême, les plus riches peuvent peser de tout leur poids dans la campagne grâce à des « superpacs ». Et la famille ne va pas s’en priver. Avec comme axe central une haine viscérale envers toute intervention étatique et l’establishment politique. « Robert croit que les êtres humains n’ont pas d’autre valeur intrinsèque que le montant d’argent qu’ils gagnent », a déclaré l’un de ses collègues de façon anonyme au New Yorker. « Si quelqu’un reçoit de l’aide sociale, il a une valeur négative. S’il gagne mille fois plus qu’un instituteur, il a mille fois plus de valeur. »

Qu’importe donc que les inégalités aient augmenté en flèche ces 20 dernières années aux États-Unis, la famille pense que les pauvres sont encore trop mis dans l’ouate et les riches trop punis à travers les taxes. « La faute aux leaders politiques qui ne sont que des vauriens et qui ont ruiné le pays ».

Une de leur cible préférée est Hillary Clinton. Pour la combattre, ils ont déjà dépensé une petite fortune. Ils auraient donné 3 millions à Citizens ¬United, une ONG qui a diffusé les e-mails de l’ancienne candidate. Une autre organisation a sorti un livre à charge. On en fera même un film dont la fête de lancement à Cannes sera célébrée sur le yacht de la famille Mercer.

Pendant que Mercer père se charge d’amasser la fortune, les cordons de la bourse passent dans les mains de sa fille Rebekah qui s’est trouvé une mission d’activiste politique. Celle qui occupe une position centrale dans la fratrie dirige la Mercer Family Foundation. Une fondation qui octroie des millions de dollars en subventions à des organisations conservatrices. La famille ,et Renaissance Technologies, aurait donné pas moins de 23,7 millions de dollars aux différentes campagnes des républicains en 2016.

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La famille Mercer a notamment financé des recherches qui montraient que les électeurs étaient fatigués de Washington. Rebekah, et Bannon, envisagent, bien avant que Trump lui-même ne le fasse, qu’il serait le candidat parfait pour leur soulèvement anti-establishment.

 » Personne ou presque n’est plus influent que Rebekah dans la galaxie Trump en ce moment », a déclaré une politicienne à Politico après l’élection. De quoi ouvrir des portes. Après la victoire de Trump, Rebekah Mercer a en effet rejoint l’équipe dite de transition et a pesé sans conteste sur certaines décisions importantes. La nomination de Jeff Sessions comme ministre de la Justice par exemple viendrait de son fait. Tout comme Michael T. Flynn nommé au poste de conseiller à la sécurité nationale. Ce dernier sera néanmoins balayé un mois après sa nomination par le scandale des contacts avec les Russes.

Autre cheval de bataille familial : la suprématie blanche. Dans la lutte pour une hégémonie culturelle façon Gramsci, l’un des principaux mouvements stratégiques a été d’investir dans le site de Breitbart à partir de 2011. Ils ont injecté pas moins de 10 millions de dollars dans ce fer de lance de l’alt-right. Lorsque Andrew Breitbart décède, les Mercer placent Bannon aux commandes. Il doit faire du site le pendant à droite du Huffington Post. Breitbart a largement bénéficié de la campagne présidentielle et de l’émergence de Donald Trump, qui ont porté son trafic mensuel de 30 millions d’utilisateurs en mars 2016 à 81millions en décembre 2017, selon les données des sites spécialisés Alexa et SimilarWeb. Il dépasse aujourd’hui largement des sites comme Politico ou The Atlantic, références du journalisme politique en ligne, porté par un mélange d’informations choisies pour alimenter les vues d’un lectorat ultra-conservateur et des billets d’opinion très marqués à droite.

Ce que l’on sait moins c’est que la famille Mercer avait au départ parié sur un autre cheval républicain: Ted Cruz. Ce n’est que lorsque ce dernier est battu, qu’ils se tournent vers Trump. Pour faire simple, ils reprennent sa campagne qui était alors au point mort. Certains vont même jusqu’à dire que Trump leur a vendu sa campagne contre les 5 millions de dollars qu’ils proposaient d’injecter afin de faire changer les sondages qui l’annonçaient laminé. En échange, leurs pions Bannon et Kellyane Conway (la porte-parole qui a lancé le terme fait alternatif) intègrent l’équipe du candidat à des positions clés.

Pas que les USA

La famille ne limite pas sa force de frappe aux États-Unis. Les Mercer ont aussi investi dans Cambridge Analytica. « Enregistrée au Delaware (États-Unis), mais avec l’essentiel de ses salariés à Londres, cette filiale de l’entreprise britannique SCL est spécialisée dans les campagnes électorales sur Internet. Elle affirme posséder pas moins de 5 000 données par individu pour 220 millions d’Américains : de quoi pouvoir cibler au plus près des sous-catégories d’électeurs, avec des publicités personnalisées, pour influencer les scrutins » précise Le Monde. En effet, une étude a démontré qu’à partir de 10 « likes sur Facebook », un ordinateur comprend le profil psychologique d’une personne mieux qu’un de ses collègues de bureau ; à 70 « likes », la machine le comprend mieux qu’un ami ; à 300 « likes », elle excède la compréhension de son conjoint. » Un algorithme qui construit une base psychométrique qui sert à influencer les électeurs. Des techniques qu’ils auraient généreusement mises à contribution pour la campagne de Trump bien sûr, mais aussi dans celle du Leave durant le Brexit. Avec, comme chacun a pu le constater, un franc succès.

Pourraient-ils lâcher Trump ?

Même si Robert Mercer est du genre peu prolixe, pour ne pas dire muet, ce n’est pas pour autant que la famille n’a pas d’agenda. La réforme des impôts que Trump a fait passer avant Noël devrait déjà les réjouir. C’est sans doute pour cela que père et fille Mercer ont réaffirmé publiquement leur soutien à Trump malgré le fait que ce dernier les aurait qualifiés de « wackos » (fou) si l’on en croit le livre de Wolff.

A n’en pas douter, cette « preuve d’affection » a dû être un soulagement pour Trump. Même s’il évite d’être dans la même pièce que Robert Mercer qui le mettrait extrêmement mal à l’aise, le moment venu, et surtout depuis que les attaques des médias traditionnels et même de la bureaucratie se font plus pressantes, il aura besoin de toute la force frappe de l’alt-right pour se maintenir à flot. « Car après tout, où serait-il sans eux ? » se demande Wolff dans son livre.

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