Le Soudan, coupé du monde, vit sa journée la plus meurtrière depuis le putsch
Quatorze personnes ont été tuées mercredi dans la répression des manifestations contre le coup d’Etat au Soudan, a indiqué un syndicat de médecins prodémocratie, dont onze dans la seule banlieue nord de Khartoum où des centaines de protestataires défilent encore.
La plupart des morts et les dizaines de blessés par balles recensés dans la capitale soudanaise ont été touchés « à la tête, au cou ou au torse« , précisent les médecins. L’Association des professionnels soudanais, un des fers de lance de la révolte de 2019 qui a renversé le dictateur Omar el-Béchir, accuse les forces de l’ordre « de meurtres prémédités« . Au total depuis le putsch, 34 personnes, dont trois adolescents, ont été tuées et des centaines blessées.
Si la répression a débuté dès le premier jour, elle a franchi un nouveau palier mercredi. Avant le déchaînement de violences, le nouveau pouvoir militaire –qui a coupé internet le 25 octobre– a également brouillé l’ensemble des communications téléphoniques dans un pays où l’opposition s’organisait par SMS ou même via des graffitis sur les murs. La brutale déconnexion des 45 millions de Soudanais a entamé la mobilisation: là où les manifestants étaient des dizaines de milliers le 30 octobre et le 13 novembre, cette fois-ci, ils n’ont plus été que des milliers.
Face à eux, les forces de sécurité étaient tout aussi nombreuses, bloquant les ponts reliant Khartoum à ses banlieues et les avenues habituellement arpentées par les manifestants –en 2019 pour dire non au dictateur Omar el-Béchir et désormais au général Abdel Fattah al-Burhane, l’auteur du putsch.
« Crimes contre l’humanité »
« Aujourd’hui, la répression est féroce, il y a eu beaucoup de violence, des grenades lacrymogènes et assourdissantes« , a dit à l’AFP Soha, une manifestante de 42 ans. « J’ai vu un blessé par balle derrière moi et il y a eu énormément d’arrestations » à Khartoum, a-t-elle ajouté.
Dans le pays où plus de 250 manifestants avaient péri lors de la révolte qui a mis fin à 30 ans de dictature en 2019, l’un des fers de lance du soulèvement de l’époque, l’Association des professionnels soudanais, a dénoncé d' »immondes crimes contre l’humanité« , accusant les forces de sécurité de « meurtres prémédités« . La police, elle, assure ne pas ouvrir le feu et la télévision d’Etat a même annoncé l’ouverture d’une enquête sur les manifestants tués.
Des centaines de manifestants continuaient en soirée de tenir leurs barricades, notamment dans la banlieue nord de Khartoum où les forces de sécurité tiraient des grenades lacrymogènes jusqu’à l’intérieur des hôpitaux, selon des médecins, tandis que les défilés dans les autres villes du Soudan s’étaient dispersés. Le 25 octobre, le général Burhane a rebattu les cartes d’une transition chancelante depuis des mois. Il a fait rafler la quasi-totalité des civils au sein du pouvoir et mis un point final à l’union sacrée formée en 2019 par civils et militaires.
Alors qu’aucune solution politique ne semble en vue, Washington a multiplié les appels du pied. Après les sanctions, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a annoncé être prêt à soutenir de nouveau le Soudan si « l’armée remet le train (de la transition) sur les rails« .
Retour de Hamdok?
Son émissaire à Khartoum ces derniers jours, la vice-secrétaire d’Etat pour les Affaires africaines, Molly Phee, a fait la navette entre le Premier ministre Abdallah Hamdok toujours en résidence surveillée et le général Burhane, pour tenter de relancer la transition démocratique au Soudan, sous dictature militaire quasiment en continu depuis son indépendance en 1956. Mais le chef de l’armée semble ne pas envisager de retour en arrière: il s’est récemment renommé à la tête de la plus haute institution de la transition, le Conseil de souveraineté. Et a reconduit tous ses membres militaires ou pro-armée, remplaçant uniquement quatre membres partisans d’un pouvoir entièrement civil par d’autres civils, apolitiques.
Pour tenter de venir à bout de la contestation, des centaines de militants, de passants ou de journalistes ont été arrêtés. Alors que les militaires tardent à nommer les nouvelles autorités qu’ils promettaient depuis des jours de façon « imminente« , Mme Phee a plaidé pour le retour de M. Hamdok, dont les quelques ministres libres affirment être toujours l’unique cabinet « légitime« , refusant de négocier avec les généraux.
Le général Burhane, lui, continue de promettre des élections en 2023 et assure n’avoir agi que pour « corriger la trajectoire de la révolution« , comme il l’a redit mardi à Mme Phee
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